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Projecteur : les leçons d’histoire d’Edouard Ouédraogo
Publié le jeudi 16 juillet 2015  |  L`Observateur Paalga




Heurs et malheurs de la politique et du journalisme au Burkina Faso : quelles leçons ? Voilà le deuxième essai que le directeur de publication de L’Observateur paalga consacre à l’histoire politique vue à travers les tribulations du premier quotidien du pays. Plongée dans les arcanes du pouvoir et dans les aléas du journalisme.

On dit que l’historien s’occupe du passé et le journaliste du présent. Aussi quand le journalisme et l’histoire se conjuguent comme dans ce livre, on a un tableau peint à grands traits marquants de l’historien mais enchâssé d’un autre pointilliste, fourmillant de détails et d’anecdotes. En somme, on a la petite histoire qui palpite au cœur de la grande et l’éclaire. On retrouve réunis le roman du passé et l’histoire du présent.

On n’en attendait pas moins de l’auteur qui est une belle plume et un témoin privilégié de notre jeune histoire qu’il a vue prendre forme et qu’il a suivie en tant que journaliste. A 74 ans, il est normal qu’il commette un livre qui en contient plusieurs. Car ce sont quatre livres en un. C’est surtout une autobiographie pour raconter son parcours et celui de son entreprise de presse, un mémoire en défense contre certaines accusations, une tentative de sauver de l’oubli des choses du passé qu’il juge essentielles, et enfin un plaisir d’écrivain de raconter et de revivre, par l’écriture, des moments heureux.

Le livre s’ouvre sur la naissance de l’auteur dans une famille modeste avec quatre frères et la formation du petit Edouard dans le Ouagadougou des années 50, qui n’était encore qu’un gros bourg. L’auteur ressuscite cette période d’insouciance et de formation jusqu’aux premières prises de conscience citoyenne. Cela adviendra avec les heurts entre l’organisation traditionnelle et les diktats de l’urbanisation. C’est d’ailleurs un incident, lors de la venue du président français Georges Pompidou à Ouaga en 1972, qui va entraîner la destruction de leur quartier, Nonsin, par des Caterpillars de la mairie, sans concertation avec les locataires, qui va inciter Edouard et son frère aîné Martial à porter sur les fonts baptismaux le quotidien L’Observateur en mai 1973.

On suivra les premiers pas de ce journal privé dans un pays où rien n’autorise l’optimisme de ses jeunes fondateurs. Le quotidien va pourtant s’imposer au bout de quelques années, et va accompagner la marche du pays vers la démocratie. Journal d’informations ouvert à toutes les sensibilités politiques, ce canard aura souvent maille à partir avec les autorités du moment qui veulent mettre le bâillon aux voix discordantes. Le livre fourmille d’anecdotes sur les relations tumultueuses entre L’Obs. et les puissants du moment, entre saisie de numéros, convocation manu militari du directeur de publication, mais cela n’aura pas de grave incidence sur la marche du journal. L’auteur le raconte avec un regard parfois amusé.

Dans ce livre aussi, l’auteur veut remettre les pendules à l’heure. Donner sa part de vérité contre plusieurs accusations, dont trois qui lui sont restées en travers de la gorge. Il entend vider les rumeurs. Il jure qu’il ne murmure pas à l’oreille des puissants comme cela se susurre. Et il n’a jamais été un conseiller de Blaise Compaoré. Non, il n’appartient pas au Mossi Power, cette organisation dont on dit qu’elle existe et manœuvre pour conserver le pouvoir d’Etat entre les mains des élites Mossi de Ouagadougou. Et il s’explique sur l’affaire Norbert Zongo. Il avait refusé, en tant que patron de presse et président d’une association de droits de l’homme, le GERDDES, de se joindre au Collectif contre l’impunité. Pour lui, une telle association était contrenature, car réunissant des partis politiques et des organisations de la société civile qui étaient, comme on dit souvent, couchés sur la même natte mais n’ont pas forcément les mêmes rêves. Pour cela, il s’est vu accuser d’être passé à l’ennemi. On apprendra bien des choses ici, qui éclaireront après coup les actions du Collectif.



Dans les coulisses des différentes républiques



On remarquera le regard bienveillant que l’auteur pose sur bien des personnages des différentes républiques malgré les démêlés qu’il eut avec nombre d’entre eux à cause de la ligne médiane de son journal. De ce théâtre politique, il peint les personnages avec leurs faiblesses et surtout leurs forces, sans acrimonie. On y voit défiler Maurice Yaméogo avec sa faconde proverbiale et son autoritarisme, Joseph Ouédraogo, dit Jo Weder, Gérard Kango Ouédraogo, Sangoulé Lamizana, Saye Zerbo, etc. On y voit les ravages de l’effet papillon, des querelles d’égo faire couler des républiques, des malentendus qui pouvaient être vidés par une entrevue, déboucher sur des crises politiques.

Mais avec la Révolution d’août 1983, finis les coups à fleurets mouchetés. L’auteur porte l’estoc à ce pouvoir qui, pour lui, est une peste rouge. Il règle ses comptes ! Il y a effectivement un lourd passif avec ces jeunes révolutionnaires qui ont pris les rênes du pouvoir. N’est-ce pas pendant cette révolution qu’une fameuse nuit de juin, les machines de L’Obs. partent en fumée, arrêtant pendant 7 ans la parution du journal ? N’est-ce pas cette même révolution qui nationalise sans dédommagement l’usine d’allumettes de son aîné Martial ? Edouard Ouédraogo voit son rêve et son œuvre partir en fumée.

Est-ce pour cela que la révolution est peinte en noir monochrome, plus proche de la tonalité unique de Klein que de l’anthracite pleine de nuances de gris de Pierre Soulages? On peut ne pas aimer la Révolution, mais il est difficile de n’y voir qu’une nuit noire sans aucune étoile, de ne pas reconnaître les deux mérites de ce régime : avoir permis l’accès à l’école et à la santé à un plus grand nombre de Burkinabè. On ne manquera pas de lui rappeler et de lui reprocher cette omission... volontaire.

Toutefois, l’auteur connaît bien ses adversaires ; il démonte les rouages et les mécanismes de la révolution et de son irrésistible montée devant les autres forces politiques médusées. Il croit d’ailleurs que les socialistes modérés à l’exemple des cadres du parti de Ki-Zerbo auraient pu contrecarrer les révolutionnaires, en montrant la dangerosité de leur idéologie et en éventant leurs stratagèmes populistes. L’auteur reconnaît que c’est le confort du recul qui permet de regarder dans le rétroviseur et de se dire que l’on aurait pu faire autrement. Effectivement, Edouard Ouédraogo qui, par rapport à la philosophie de l’histoire, est plus proche de la conception libérale de Raymond Aron que de la dialectique d’Hegel, connaît ce constat du penseur français : L’histoire est la tragédie d’une humanité qui fait son histoire, mais qui ne sait pas l’histoire qu’elle fait.



L’histoire est-elle une roue qui tourne ?



On a l’impression, à la lecture de cet opuscule, que l’histoire du pays est un palimpseste où on reécrit toujours le même texte avec les mêmes fautes. Tenez ! Une coalition de partis politiques et de centrales syndicales paralysent le pays et amènent le chef de l’Etat à la démission. Cette même coalition, se pensant incapable de gérer la transition, appelle l’armée au pouvoir. Cela vous rappelle l’insurrection d’octobre avec la chute de Blaise ? C’est juste, mais ce fut aussi le même scénario en 1966 avec la chute de Maurice, le 1er président du pays.

L’armée conservera le pouvoir pendant un demi-siècle ! Aujourd’hui, la transition est transie par le froid que jette l’armée sur sa marche vers les élections d’octobre prochain. Faut-il en conclure que l’expérience dans ce pays est, comme le disait Confucius, « une lampe que l’on porte sur le dos et qui n’éclaire que le chemin parcouru ? » Ce pays, bien qu’à l’avant-garde de toutes les innovations en matière de formules de gestion démocratique, semble tourner en rond ou piétiner comme un baudet rétif.

L’auteur ne partage pas ce point de vue. Son ouvrage, dont le titre est explicite sur son didactisme, se veut un viatique, une besace de leçons à tirer du passé pour poursuivre la marche vers plus de démocratie, même si on a l’impression que cette marche est lente. En cela, il rejoint Jean Jaurès qui disait justement que « l'histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais elle justifie l'invincible espoir. » Cet livre entend donc allumer les espoirs.

Cet essai, où la grande histoire et la petite se télescopent, se lit comme un roman, avec ses personnages politiques pris entre grandeur et misère. La politique est ainsi vue sous le lorgnon de l’analytique et de l’anecdotique. Heurs et Malheurs de la politique… est un véritable document historique où le sérieux de la démarche ne rechigne pas à frayer avec l’humour et le trait d’esprit. Comme quoi le journalisme mène à tout à condition… d’y rester.

Le fondateur de L’Obs. a choisi de se mettre sous le magistère du Rousseau des Confessions, en cherchant la sincérité du témoignage et en assumant les erreurs d’appréciation. Pourtant, au regard de son parcours où les heurs sont plus nombreux que les malheurs, il aurait pu tout aussi bien mettre en exergue dans son ouvrage ces mots de Napoléon: « Quel roman que ma vie ! » Mais on comprend que la modestie de celui qui a refusé qu’une rue porte son nom de son vivant en aurait pâti.

Saïdou Alcény BARRY
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