Le village de Guénon, dans la province du Nahouri, tristement célèbre à cause de la tuerie de mars 2012 qu’elle a connue, a vécu un épisode tragique. Un membre de la famille Akongba, Doua Tangoam, bénéficiaire d’une liberté conditionnelle, a trouvé la mort le mardi 7 juillet 2015, suite à une altercation avec un Liliou, Apouri Liliou. Cet incident a provoqué le déplacement de plusieurs dizaines de villageois. Nous avons séjourné dans le patelin, le week-end, pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette crise qui mérite une attention particulière des autorités.
A Tiébélé, commune rurale située, dans la province du Nahouri, à 30 km de Pô, les habitants sont toujours choqués par ce qui se passe à Guénon. Partout, on en parle avec un fort sentiment de déception que l’identité de la bourgade soit associée à la tuerie de Guénon, les 2 et 3 mars 2012. En effet, ce jour-là, les Akongba et les Liliou ont poussé leur rivalité à bout. 12 personnes ont trouvé la mort dans des conditions très tragiques. Certaines ont succombé à leurs blessures, suite aux coups de machettes qu’elles ont reçus. D’autres ont été brûlées vives. D’autres encore, mortes, ont été dévorées par les cochons qui traînaient dans les parages. Des centaines de personnes ont fui leurs concessions pour aller se refugier au Ghana. Depuis lors, il y a eu des concertations pour apaiser la situation. La justice étant commise pour faire sa part du boulot. En tout, une vingtaine de personnes ont été interpellées et incarcérées, en attente d’un jugement. Le drame qui s’est produit, le mardi 7 juillet 2015, à Guénon, vient montrer aux yeux de l’opinion publique que la crise est encore latente. En effet, Doua Tangoam, bénéficiaire d’une liberté conditionnelle, pour raison de santé, a eu une altercation avec Apouri Liliou. Le premier a trouvé la mort alors qu’il avait quitté la prison il y a 5 mois. Ce nouvel épisode dans l’affaire Guénon a provoqué le déplacement de plusieurs dizaines de personnes.
Lors de notre séjour, du 11 au 13 juillet 2015, malgré l’accalmie, on sentait que Guénon vivait dans une sorte d’hibernation. Le marché est resté fermé. La forte présence des forces de l’ordre et de sécurité témoigne de la crise qui sévit dans la localité. Sur la route, en passant par Lô, pour aller à Guelwongo, cette autre bourgade très renommée pour son marché d’ignames, il n’était pas rare de rencontrer, on imagine, des membres de la famille Liliou transporter leurs bagages. Le vendredi 10 juillet 2015, un minibus a même convoyé des membres de la famille Liliou pour Ouagadougou. Nous avons rencontré quelques jeunes à Lô qui, dans l’anxiété, sont revenus sur la crise que vit Guénon. C’est Salif Liliou et Kouzoupiou Salomon Liliou qui ont été nos interlocuteurs pour relater ce qui est survenu dans le village. Ils étaient accompagnés d’autres jeunes qui se retournaient le pouce en ses temps de saison pluvieuse.
Selon Kouzoupiou Salomon Liliou, le malentendu entre le nommé Tangoam et Apouri n’est pas récent. Les deux individus se regardaient en chien de faïence bien avant la crise de 2012. Chaque fois que les deux se retrouvaient ensemble, ils s’injuriaient, nous a-t-il confié. Cela a continué jusqu’à ce qu’il y ait la fatidique bagarre du 7 juillet 2015 au cours de laquelle Adoua Tangoam a trouvé la mort. « Cela n’a pas été préparé comme certains le disent », a-t-il averti tout en soutenant que les Liliou étaient dans une démarche de réconciliation. « Lors de la tuerie, beaucoup de gens avaient fui. Si nous sommes revenus reconstruire nos maisons, c’est parce que nous voulions vivre dans la paix et la tranquillité. Personne d’entre nous n’a souhaité ce qui est arrivé. Aujourd’hui, nous sommes déçus d’être indexés comme étant responsables de la mort de Adoua Tangoam. Maintenant que le mal est fait, nous demandons au gouvernement de nous protéger et surtout d’agir pour prévenir d’éventuels déplacements des populations », a-t-il sollicité en précisant que le nombre des déplacés peut être évalué à 400 personnes. « Nous avons fui parce que l’on ne veut plus de nous dans le village. Nous n’avons pas des nouvelles d’un jeune jusqu’à ce jour (Ndlr : notre séjour a pris fin le 13 juillet 2015). A part lui, tout le monde est sain et sauf. C’est vrai que nous avons été accueillis par certains villages. Mais jusqu’à quand cela va durer ? Nous sommes au Burkina. Si on ne veut pas de nous, où allons-nous aller ? Nous ne sommes pas tous responsables de ce qui est arrivé. Pourquoi devons-nous en payer alors le prix ? », s’est demandé le jeune Kouzoupiou visiblement toujours sous le choc.
Pour le chef de Guénon, Louka Akongba que nous avons rencontré dans son palais royal, le lundi 13 juillet, il n’a jamais été question pour lui et ses éléments de chasser les membres de la famille Liliou. « Le village de Guénon est constitué de 18 quartiers. Quand la famille Liliou a pris la fuite, elle est allée raconter qu’il y a eu 4 quartiers qui se sont déplacés. Cela est faux parce que c’est seulement la famille qui a commis le forfait qui a pris la fuite. Les gendarmes et la CRS peuvent témoigner de cela. Ce n’est pas moi qui les ai chassés. C’est eux-mêmes qui ont compris que ce qu’ils avaient fait n’était pas bien. Ils sont partis d’eux-mêmes. Celui qui conteste cela peut venir à Guénon et le vérifier. Il faut souligner aussi que les femmes des Liliou sont toujours dans leurs maisons. Vous pouvez le constater. Il y a quelques hommes qui sont toujours dans la cour. Dans la journée, on les voit venir. Si on les avait chassés, ils n’allaient pas revenir pour prendre leur matériel », a confié le chef de Guénon. Effectivement, lors de notre passage, nous nous sommes rendus dans quelques concessions de la famille Liliou. Nous avons pu échanger avec des femmes. Une jeune fille, à l’aide d’un vélo, s’affairait à ramasser quelques effets qu’elle attachait sur le porte-bagage.
Par rapport à ce qui s’est passé, le 7 juillet 2015, Kouzoupiou Salomon Liliou s’est voulu réservé parce qu’il n’était pas sur les lieux de la bagarre. Toutefois, il nous a livré les informations qu’il avait en sa possession, en l’absence de témoins oculaires, réfugiés dans d’autres villages. « C’est dans la nuit du 7 juillet 2015, aux environs de 21 heures, que la bagarre a eu lieu quand Doua Tangoam est venu garer sa moto au bord de la grande voie et a commencé à invectiver. Il a dit que personne ne pouvait l’empêcher de vivre dans le village. Par la suite, il a indexé Apouri Liliou pour lui dire qu’il ne pouvait pas l’empêcher de vivre à Guénon. C’est ainsi que Apouri a réagi. Doua Tangoam s’est approché de lui et a dit que s’il était un homme de le suivre pour qu’ils se battent. Ils sont effectivement allés à l’écart. C’est Doua Tangoam qui a été le premier à vouloir donner un coup de poing à Apouri Liliou. Celui-ci l’a devancé. Quand il a reçu le coup de poing, il est tombé et sa tête a heurté une pierre. Il y a une de nos sœurs qui a suivi la scène. Elle est allée pour séparer les deux. Elle a supplié Apouri Liliou de le laisser parce qu’il pouvait le tuer. Apouri Liliou s’est retourné contre la sœur pour la bastonner. C’est quand la sœur s’est mise à crier que tout le monde a su qu’il y avait une bagarre parce qu’il y avait une projection vidéo sur le terrain du village. Apouri Liliou, lui-même a confié que quand Doua Tangoam est tombé, il a perdu connaissance », a relaté Kouzoupiou Salomon Liliou. Pour le chef Louka, les choses se sont passées tout autrement car, selon lui, il y a eu un assassinat, donc un coup monté pour tuer le jeune Doua Tangoam.
Voici la version du chef : « Doua Tangoam était à la Maison d’arrêt et de correction de Manga, suite à la crise de 2012. Il souffrait de maux d’yeux. Il a traité le mal à Ouagadougou en vain. C’est ainsi qu’il a souhaité traiter traditionnellement. Cela nécessitait, bien attendu, une liberté conditionnelle. C’est son médecin traitant qui a demandé à ce qu’il soit libéré, pour aller même se traiter dans un autre pays, notamment au Ghana. C’est ainsi que la liberté provisoire lui a été accordée. Quand il est revenu au village, il faisait l’objet de plusieurs provocations. Les jeunes du camp de la famille Liliou n’appréciaient pas le fait de le voir libre. Ils ont essayé de l’agresser au marché. Nous sommes allés aviser la gendarmerie. Ce jour-là, les jeunes ont dit qu’il ne devait pas quitter la prison et se promener encore au village et qu’il devait aller dans un autre pays. Les gendarmes leur ont demandé s’ils savaient pourquoi Doua Tangoam était en liberté provisoire. Après cela, les provocations ont continué de plus bel. Je suis allé voir le Haut-commissaire pour qu’il fasse la médiation afin que les choses rentrent dans l’ordre. Le père du regretté est même allé dans la famille Liliou pour contenir la bagarre qui existait entre les deux jeunes. Notre vœu est que la crise de 2012 ne survienne plus dans le village », a introduit le chef Louka sous le regard attentif de ses sujets. Il faut par ailleurs souligné que le village de Guénon connaît actuellement deux chefs. Il s’agit du Danhoura Liliou et du chef Louka Akongba. C’est leur investiture en 2012 qui a été la base de la crise tragique qu’a vécue le village. Le chef Danhoura Liliou suite à la crise qui est survenue le 7 juillet 2015 est allé se réfugier dans un autre village. Nous n’avons pas eu justement l’occasion de le rencontrer. Après avoir expliqué les circonstances qui ont conduit à la libération du jeune Doua Tangoam, le chef Louka qui impressionne par sa coiffure et sa barbe blanche a expliqué comment il a été tué. « Quand on analyse les circonstances dans lesquelles le jeune est mort, on peut dire qu’il s’agit d’un assassinat. Les choses ont été montées depuis Ouagadougou. Jusqu’à ce que l’on finisse d’assassiner le jeune, personne dans le village n’était au courant. C’est quand ils ont fini de commettre leurs sales besognes qu’ ils sont allés signaler à la gendarmerie. Je me reposais tranquillement quand des gendarmes sont venus me réveiller pour m’informer de ce qui s’est passé. C’était aux environs de 23 heures. Les gendarmes m’ont informé qu’un jeune a été tué. Je ne pouvais pas imaginer qu’un tel drame puisse se produire sur mon territoire sans que je ne sois pas mis au courant. La gendarmerie, après avoir fait le constat a conclu que l’assassinat a eu lieu au bord de la grande voie. C’est aux environs de 4 heures du matin qu’ils ont dit que le corps pouvait être inhumé. Les jeunes du village ont eu l’initiative d’aller voir si vraiment le jeune a été tué au bord de la voie. En inspectant aux alentours, ils se sont rendus compte que le jeune a été tué dans les buissons et trimbalé jusqu’à la grande voie. Il a été tué à coups de machette. Sa bouche a été fendue jusqu’au cou. Son sang a été recueilli et versé dans un abreuvoir de porcs. Cela a révolté les jeunes. Quand les jeunes ont été informés, ils voulaient manifester. C’est moi qui les ai calmés. Je leur ai dit que s’il y avait des casses, ils ne sont pas dignes de moi. Les jeunes ont été outrés par la manière dont le jeune a été assassiné. Les gendarmes se sont rendus compte par la suite que le jeune n’a pas été tué sur la grande voie. Les jeunes ont été choqués par le fait que le sang du jeune a été recueilli. Pour nous, c’est un sacrifice qui a été fait. Les jeunes voulaient saccager les concessions. Même les forces de l’ordre et de sécurité étaient impuissantes face à la mobilisation. J’étais obligé de me rendre sur les lieux pour calmer les gens. Ce qui a encore révolté les jeunes est que le lendemain, les femmes de la famille Liliou sont sorties pour cultiver. Vous trouvez cela normal ? Même si c’était une mort naturelle, elles ne devraient pas sortir le lendemain de la mort d’une personne pour travailler. Généralement, il faut attendre trois jours avant de reprendre les travaux. C’est leur famille qui a commis le forfait. Le fait de sortir le lendemain pour travailler est en quelque sorte une façon de nous narguer. L’analyse que l’on peut faire c’est comme si les gendarmes étaient là pour leur permettre de travailler. C’est pour cela que les jeunes sont sortis. Il a fallu mon intervention pour qu’ils rentrent de nouveau. Quand les sages du village sont sortis, ils n’ont pas pu contenir les jeunes. Il a fallu que j’intervienne. Je suis sorti torse nu pour appeler les jeunes au calme. C’est pour cela qu’il n’y a pas eu beaucoup de dégâts », a confié le chef Louka. Du côté des membres de la famille Liliou, on soutient que les femmes ne sont pas sorties pour cultiver. Voici le témoignage de Kouzoupiou Salomon Liliou : « La femme qui était sortie pour les travaux champêtres n’est pas de notre famille. C’est à cause de la famine qu’elle est venue se réfugier auprès de notre famille. En plus, elle ne jouit pas de toutes ses facultés mentales. Elle s’appelle Kapiou », foi de Kouzoupiou Salomon Liliou. Salif Liliou a, lui, confié qu’il a perdu du bien matériel lors de la crise. « Nous avons perdu des biens matériels. Des boutiques ont été vandalisées. Beaucoup de biens ont été éparpillés dans la rue. Certains biens ont été emportés. Nous n’avons plus rien comme animaux. Nous avons 7 boutiques au marché. Actuellement, il n’y a plus rien dans ces boutiques », a-t-il confié tout en reconnaissant que les boutiques n’ont pas été brûlées. Il a pu sauver quelques biens grâce à l’intervention de la gendarmerie. « J’ai demandé au commandant de brigade de gendarmerie de déléguer des éléments pour m’accompagner ramasser mon matériel dans le village. J’ai été accompagné, une première fois. Dans ma boutique, il y avait du matériel d’au moins 10 voyages de tricycle. Mais, je n’ai pu ramasser qu’un seul voyage. Tout est resté à Guénon. Actuellement, la boutique est carrément vide. C’est au niveau de la famille que j’ai pu ramasser quelques babioles », a confié tristement le boutiquier Salif Liliou.
L’autorité pointée du doigt par les deux parties
Pour le chef Louka, l’administration doit prendre ses responsabilités. « J’accuse les autorités parce que c’est elles qui laissent les choses se compliquer de la sorte. Je n’arrive pas à comprendre comment une seule famille peut mettre le village dans cette situation. Je me dis que ce sont les membres de la famille Liliou qui sont à Ouagadougou qui complotent avec les autorités pour envenimer la situation dans le village. Plusieurs médiations ont été menées par les autorités gouvernementales. En son temps, j’avais donné un coq blanc au ministre Vincent Zakané pour prouver ma disponibilité à travailler pour que la paix revienne au village. Les ministres sont venus par 4 fois. A chaque fois, nous nous sommes montrés disponibles. Mais ceux de la famille Liliou ont toujours été réticents. Ce qui fait mal à la famille Liliou, c’est que les 17 autres villages sont acquis à ma cause. C’est pour cela qu’elle cause les problèmes pour faire croire que c’est tout Guénon qui est en ébullition », a confessé le chef Louka.
Du côté de la famille Liliou, c’est parce qu’il n’y a pas la sécurité dans le village qu’il y a autant de tensions. « La vraie raison du désordre récurrent à Guénon est l’absence de l’administration ou des représentants de la loi au sein d’une population de plus de 20 000 habitants. En effet, Guénon est un canton de 18 gros villages autogérés depuis des décennies. Il faut donc nécessairement un poste de police ou de gendarmerie définitivement installé à Guénon. Une autre solution, la meilleure dans l’immédiat, serait la suspension, par le MATDS de la chefferie traditionnelle de ce village qui connaît deux chefs actuellement », nous a soufflé un Liliou1