Suite à la requête présentée au greffe, le 21 mai 2015 par des partis et des citoyens de l’ex-majorité, pour contester le nouveau code électoral voté le 7 avril dernier, la Cour de justice de la CEDEAO a finalement tranché, hier 13 juillet 2015. Dans sa décision, la Cour ouest-africaine a, notamment, ordonné « à l’État du Burkina de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification ». Nous avons recueilli les avis de membres de partis politiques et de citoyens sur la question. Si certains se réjouissent de la décision, d’autres, au contraire, la rejettent tout en accusant l’institution.
Eddie Komboïgo, président et candidat du CDP sur Jeune Afrique
« Il appartient au peuple d’aller élire celui qu’il veut »
« Nous sommes satisfaits. Nous dénoncions ce code électoral parce qu’il était liberticide. D’autant que la sanction des politiques appartient aux électeurs : nous avons tenté de modifier l’article 37 de la Constitution et nous avons perdu le pouvoir par ce fait. Pour nous, c’était déjà là une sanction. De la même manière, pour la reconquête du pouvoir, il appartient au peuple d’aller élire celui qu’il veut. Il n’appartenait donc à personne d’utiliser le code électoral pour écarter un certain nombre de Burkinabè du jeu démocratique. L’arrêt de la Cour condamne l’État burkinabè et l’invite à lever tous les obstacles consécutifs à la modification du code électoral pour permettre à tous les candidats de se présenter au scrutin présidentiel à venir. »
Yacouba Jacob Barry, secrétaire général de l’Union pour un Burkina nouveau (UBN)
« Ce verdict va permettre de laisser l’opinion publique trancher à travers les urnes »
« L’Union pour un Burkina nouveau est un parti qui, depuis sa création, parle de paix et de réconciliation sociale. L’un des principes qui garantissent la paix et la réconciliation sociale, c’est l’inclusion. C’est pourquoi, en son temps, nous avions, d’une part, apprécié le code électoral dans son ensemble. Nous avions quand même émis la critique selon laquelle l’exclusion n’était pas de nature à amener notre pays vers la cohésion sociale et des lendemains meilleurs. La Cour de la CEDEAO a tranché. Ce verdict nous convient. Cela va permettre d’aller librement aux élections et laisser l’opinion publique trancher à travers les urnes. Ceux qui seront élus le seront avec la volonté de tous les Burkinabè. Ceux qui vont être recalés au niveau des urnes le seront de par la sentence populaire. Dans les deux cas, chacun prendra acte. C’est ainsi que nous allons construire ensemble un pays de paix où la voie. Il y a eu, certes, des moments d’hésitation parce qu’en tant que républicains, nous ne pouvions pas outrepasser les lois de notre pays. Mais, à partir du moment où le verdict international vient nous permettre d’aller aux élections, nous allons nous réorganiser pour repartir vers nos bases, vers les populations pour leur demander leur suffrage pour aller librement et de façon démocratique. Nous souhaitons que tout cela se passe dans la transparence, afin que les urnes parlent et que le message des urnes soit celui du peuple burkinabè. »
Tasséré Sawadogo dit Tass Tass (Ouahigouya)
« Nous devons nous conformer à la décision de la CEDEAO »
J’ai affirmé qu’elle est doublement contraire à nos textes fondamentaux. Il s’agit de la violation de l’article 1 de notre constitution qui dit : « Les discriminations de toutes sortes, notamment celles fondées sur la race, l’ethnie, la région, la couleur, le sexe, la langue, la religion, la caste, les opinions politiques, la fortune et la naissance, sont prohibées. » et lav iolation de la charte en son article 1 qui dit : « Outre les valeurs affirmées par la Constitution en son préambule, la présente Charte consacre les valeurs suivantes pour guider la transition, ses organes et l’ensemble des personnalités appelées à la conduire : le pardon et la réconciliation; l’inclusion; le sens de la responsabilité; la tolérance et le dialogue; la discipline et le civisme ;la solidarité; la fraternité; l’esprit de consensus et de discernement ». Sur ce code électoral, j’estime que la procédure a été escamotée. Quant au fond, j’ai toujours soutenu qu’il ne peut pas être une cause d’invalidation d’une candidature, dans la mesure où au plan pénal, la tentative de modification de la Constitution n’est pas un crime. Les critères d’inéligibilité de l’ancien code électoral article 135 alinéas 2 réglaient ce problème qui précise que toute personne condamnée n’est pas éligible. Il fallait passer par la justice et non par une loi politique. Administrateur électoral mais Profane en droit, j’ai lu plus tard que le Pr Abdoulaye Soma, un grand prof que je salue et je respecte, a abondé dans le même sens. Comme dit plus haut, cette loi pose un problème d’adaptation à l’article de la constitution et l’article 1 de la charte son article1 Constant dans ma vision, pour ceux qui m’ont suivi sur ma page Facebook et dans les organes de presse, cette décision de la CEDEAO ne m’a pas surpris. Nous devons nous conformer à la décision de la CEDEAO, aux lois supra nationales qui, du reste, étaient un référentiel au moment de l’adoption de cette loi controversée. Je souhaite et prie que tous les Burkinabè enterrent ce débat sur le code pour une inclusion de tous les fils et filles dans le processus démocratique ».
Abraham Nignan, président du Rassemblement patriotique du Faso (RPF)
« La décision est la bienvenue si cela peut contribuer consolider la paix au Burkina Faso »
« Tout compte fait, la Cour de justice ne pouvait pas donner un autre verdict que celui qu’elle vient de donner. Car, s’il y a une crise au Burkina Faso, la CEDEAO sera concernée. La décision est la bienvenue si cela peut contribuer à consolider la paix au Burkina Faso. Il n’y a pas de meilleur opposant qu’Abraham Nignan, au Burkina Faso. Je suis le seul opposant qui n’a jamais accepté de légitimer le pouvoir de Blaise Compaoré pendant 27 ans. Je suis le seul opposant qui n’a jamais accepté d’être député ou conseiller de Blaise Compaoré. Je ne sais même pas comment cette loi a été votée. Je ne sais pas non plus qui est initiateur de cette loi. Nous n’avions rien que trois combats : empêcher Blaise Compaoré de modifier l’article 37, empêcher Blaise Compaoré d’installer le sénat et empêcher Blaise Compaoré d’être candidat en 2015. Dès lors que ce combat a abouti, il faut remettre les compteurs à zéro pour permettre aux filles et aux fils du Burkina Faso de se donner la main. Nous ne souhaitons pas qu’on laisse d’autres Burkinabè, d’une manière ou d’une autre, au bord de la route. Que la Cour de justice juge cette loi recevable ou irrecevable, nous nous serions réjouis si cette loi vise à consolider la paix dans notre pays. Je suis le chef de file de l’opposition radicale au Burkina Faso, président du Rassemblement patriotique du Faso. Or qui dit rassemblement, se départit de la division. Noter slogan, c’est l’amour pour la patrie et l’amour du prochain. Donc, nous ne voulons pas que notre pays sombre dans le chaos. Je demande de ce fait, aux Burkinabè de mettre leurs intérêts individuels dans la poche et de sortir l’intérêt général. Je dis souvent qu’il n’y a pas de honte à se mettre à genoux quand il s’agit de l’intérêt du peuple.
Nous voulons que le peuple burkinabè vive librement. Nous ne voulons pas qu’on amène les mêmes pratiques que Blaise Compaoré à instaurer depuis 27 ans. Il faut que les gens sachent que je ne suis pour personne. Je suis pour moi-même. Il faut que les gens fassent attention, car si le pays brûle, nous allons tous crouler. L’heure n’est plus aux divisions, mais au rassemblement pour la construction de notre pays ».
Frédéric Dabré, agent au ministère en charge de la Fonction publique
« Pour l’intérêt des Burkinabè, il ne faut pas appliquer ce verdict »
« Nous avons constaté le verdict de la CEDEAO concernant notre électoral adopté par le CNT et qui est l’aspiration du peuple qui et sorti les 30 et 31 octobre 2014 pour demander un changement radical par rapport à ce qu’il vivait pendant 27 ans. Je respecte bien la décision de la Haute Cour de la CEDEAO, mais il faut savoir que le Burkina est un pays indépendant et souverain. Nous, nous avons notre aspiration, mais la CEDEAO ne connaît pas notre politique interne qui est maintenant mieux que celle que nous vivions avant l’insurrection. En tant que peuple souverain, nous avons pensé que ceux qui ont voulu la modification de l’article 37 s’écarte lors des échéances électorales à venir. Il ne faut pas oublier que ce sont les mêmes qui disaient qu’il n’y a pas d’autre candidat que Blaise Compaoré. En moins d’une année, s’ils viennent dire qu’ils veulent être candidats, c’est contraire à leur aspiration politique. Ils se sont exclus eux-mêmes avant que le nouveau code électoral ne vienne le confirmer. Il faut qu’ils acceptent donner raison au peuple qui a chassé Blaise Compaoré pour montrer qu’il y avait autre candidat que Blaise Compaoré. Vraiment, pour l’intérêt des Burkinabè, il ne faut pas appliquer le verdict de la CEDEAO. Ce verdict est purement politique, et il ne faut pas l’appliquer »
Éric Sibiri Kam, juriste de formation
« L’Etat burkinabè doit s’incliner devant cette décision »
« Si la Cour de la CEDEAO dit que la loi dite Shérrif contrevient à la législation sous régionale, on prend acte et puis c’est tout. Quand on prend acte, cela veut dire qu’il faut revoir la disposition en question et relire la loi pour se conformer à la disposition de la justice. La norme internationale prime sur la norme nationale, le droit communautaire prime sur le droit national et la décision des juges communautaires s’imposent à l’administration nationale. On peut ne pas être d’accord mais la cour a rendu sa décision. Elle n’a pas statut d’appel ni de révision. Nous sommes dans un Etat de droit et il faut appliquer le droit. L’Etat burkinabè doit s’incliner devant la décision de la CEDEAO ».
Moussa Soulama, citoyen
« Je suis déçu de ce verdict »
« Je suis étonné de cette décision de la CEDEAO. Vraiment je ne comprends pas, parce que quand Blaise Compaoré voulait modifier l’article 37 ils n’ont rien dit. Il ne faut pas oublier que ce projet de modification constitutionnelle a même entrainé des morts. C’est maintenant qu’ils demandent à ce qu’on retire la loi. Vraiment je suis déçu de ce verdict ».
Moussa Kaboré, agent au ministère en charge de la Fonction publique
« Si c’est pour la paix et la quiétude du Burkina qu’il faut inclure tout le monde, cette décision est la bienvenue »
« On ne peut rien dire sur ce verdict, car c’est une décision de justice. Donc tout le monde doit s’y soumettre. Si c’est pour la paix et la quiétude du Burkina qu’il faut inclure tout le monde, même ceux qui ont voulu modifier l’article 37, cette décision est la bienvenue. Tout le monde doit se soumettre à la décision, parce que c’est le dernier recours. Quand même, on attend de voir ce que le Conseil constitutionnel va décider, mais je pense que tout le monde doit accepter le verdict de la CEDEAO ».
Issaka Zéba, élève-fonctionnaire à l’ENAM
« C’est une décision qui n’engage que la CEDEAO, Kadré Désiré Ouédraogo, Blaise Compaoré et Alassane Ouattara »
« Je pense que c’est la Haute Cour de justice de la CEDEAO qui a donné son verdict. Ces juges ne se sont pas inspirés de la volonté du peuple burkinabè pour délibérer. Nous, on s’en fout de cette décision-là. C’est une décision qui n’engage que la CEDEAO, Kadré Désiré Ouédraogo, Blaise Compaoré et Alassane Ouattara. De toutes les façons, nous nous en tenons à notre loi. Une Cour de justice ne peut pas défendre des individus contre une institution. Il faut savoir que le Burkina Faso est une institution à part entière. De toutes les façons notre loi ne vise pas de parti politique, donc que ces partis politiques-là, investissent des candidats qui ne sont pas frappés par la loi. C’est aussi clair que cela. Par exemple celui que le CDP a investi comme candidat a dit ouvertement que sans Blaise, il n’y a pas de candidat. Blaise était leur Dieu mais non le nôtre. D’ailleurs le Burkina a été trop clément envers l’ex-majorité. Si on prend par exemple l’insurrection malienne qui a chassé Moussa Traoré, le parti de Moussa Traoré a été dissous. En Tunisie quand on a chassé Ben Ali, son parti a été également dissous. Si la CEDEAO veut envoyer la guerre au Burkina, nous sommes intelligents. Maintenant, il faut que les gens empêchent tout le CDP de participer aux élections. Nous allons marcher contre la CEDEAO. Quand on voulait réviser l’article 37, le Burkina a écrit à la CEDEAO pour lui dire que Blaise est en train d’amener le Burkina vers un chaos, mais la CEDEAO n’a rien dit. La décision de la CEDEAO ne va aucunement enlever quelque chose de la décision du peuple, validée par le Conseil national de la Transition (CNT) »1
Propos recueillis et retranscrits
par PBB et LS