Conakry- L'ex-chef de la junte guinéenne, le "petit capitaine" Moussa Dadis Camara, à l'ambition présidentielle compromise par le massacre du stade de Conakry en 2009 et exilé au Burkina Faso depuis cinq ans, se retrouve rattrapé par la justice, qui l'a inculpé mercredi.
Agé d'une cinquantaine d'années, ce militaire mince et de petite taille, qui a marqué le pays lors de son pouvoir éphémère d'un an, en particulier avec ses prestations télévisées incongrues, rebaptisées "Dadis Show", s'était un peu fait oublier.
Mais dans l'incrédulité générale, celui qui fut propulsé chef du pays après la mort du président Lansana Conté (1984-2008), a annoncé en mai son intention de se présenter à l'élection présidentielle d'octobre, à la tête d'un nouveau parti, "ni ethnique, ni discriminatoire".
"Je suis guinéen avant tout et rien ne m'interdit de rentrer dans mon pays", assurait le proscrit, exilé à Ouagadougou après s'être fait soigner au Maroc d'une tentative d'assassinat en décembre 2009 par son aide de camp Aboubacar Sidiki Diakité dit Toumba, qui lui reprochait de vouloir lui faire porter l'entière responsabilité du massacre du strade de Conakry.
Autre coup de théâtre, en juin à Ouagadougou : il scelle une alliance électorale avec le chef de l'opposition au président Alpha Condé, l'ex-Premier ministre Cellou Dalein Diallo, dirigeant de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), avec accord de désistement au second tour.
M. Diallo faisait pourtant partie des blessés de la répression de la manifestation des opposants à la candidature à la présidentielle de M. Camara, le 28 septembre 2009 à Conakry (au moins 157 morts, dont de nombreux partisans de l'UDFG, et 109 femmes violées).
En cause, l'armée, "incontrôlable", disait le capitaine Camara, qui a fait carrière dans l'intendance militaire et effectué une partie de sa formation en Allemagne.
- 'Style populiste' -
Mais ce Guerzé, une ethnie de Guinée forestière, est considéré comme un "faiseur de roi" à la prochaine présidentielle.
"Dadis a encore une grosse influence en Guinée forestière", soulignait l'opposant Aboubacar Sylla, "il peut faire basculer la majorité de l'électorat du Sud dans le camp de son choix".
Pour Vincent Foucher, spécialiste de la Guinée au groupe de réflexion International Crisis Group (ICG), "Dadis a en fait conservé une partie de la popularité que son style populiste lui avait acquise durant sa présidence", surtout dans sa région d'origine.
Dans tout le pays, ils sont nombreux, "en particulier parmi les jeunes scolarisés sans emploi, déçus de l'Etat et des hommes politiques, à avoir une bonne image de Dadis Camara, le jeune capitaine parlant vrai, qui se mettait en scène prêt à secouer l'Etat et les ministres, engagé contre la corruption et la vie chère", dit-il, en référence au "Dadis show".
Lors de ses apparitions télévisées qui ont inspiré les humoristes au-delà des frontières, tour à tour blagueur et colérique, tenant des discours exaltés et confus, il humiliait en direct les puissants de la veille : les fils du défunt président Conté, accusés de trafic de cocaïne, un investisseur russe traité d'"escroc international" ou l'ambassadeur d'Allemagne...
Si, vu de Paris, il passait pour "la fin du politique en Guinée, un soudard", explique Frédéric Le Marcis, anthropologue à l'Ecole normale supérieure de Lyon (France), qui a effectué plusieurs séjours en Guinée, notamment dans le Sud, sur place beaucoup le créditent d'avoir "tenu la Guinée et empêché la +vente+ de la Guinée à la France".
Le 23 décembre 2008, Moussa Dadis Camara annonce à la radio la prise du pouvoir sans effusion de sang par une junte militaire qui le proclame chef le lendemain.
Il se présente comme un enfant d'une "famille pauvre" de Koulé (1.000 km de Conakry), "né dans une case", qui a "marché pour aller à l'école".
Mais il semble déjà grisé par son rôle de "petit capitaine devenu président par le biais du destin", voire "choisi par Dieu", selon ses propres termes.
Du temps de sa superbe, "Dadis" vivait et travaillait dans le camp militaire Alpha Yaya Diallo de Conakry, au milieu de très nombreux portraits de lui-même.
Les ONG dénoncent alors une "dérive dictatoriale" après que de hauts responsables de l'armée et des civils sont jetés en prison sans autre forme de procès et exposés au risque de torture.
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