Il est né en 1969 à Dakar, capitale du Sénégal, d'un père originaire du Bénin et d'une mère originaire du Cap-Vert, pionnier du mouvement rap au Sénégal et plus largement en Afrique de l'Ouest. Didier Awadi c’est bien de lui dont on parle, est co-fondateur du groupe Positive Black Soul (PBS) avec Doug-E-Tee (Amadou Barry). Leur premier succès sera l’album Boul Faalé, sorti en 1994. En 2002, il sort son premier album solo « Kaddu Gor » en wolof, qui veut dire « Parole d'honneur » en français. Cet album lui vaudra d'être le lauréat du prix RFI Musique du Monde, en 2003. Le Sénégalais Didier Awadi est devenu au file du temps, l’un des porte-paroles les plus écoutés, de la jeunesse africaine. En marge du Festival « Ciné droit libre » nous l’avons rencontré. Awadi nous a donné sa lecture de la situation politique en Afrique en ratissant les questions sur le Régiment de sécurité présidentielle au Burkina. De plus il nous fait un diagnostic sur l’état de santé de l’activisme en Afrique.
Le quotidien : Awadi, dites-nous que devient PBS ?
Awadi : Je ne sais quoi dire de nouveau. On reste PBS. On a commencé notre carrière ensemble et on reste ensemble, même s’il arrive que chacun évolue en Solo souvent. Le 07 Aout à venir on sera en concert PBS, à Montréal. Et probablement à New York aussi. On continue notre chemin de Positif Black Soul parce que c’est la maison mère. Mais cela n’empêche que chacun mène son combat à côté. On a commencé ce métier par passion et elle y est toujours. Donc, on continue.
Awadi, Béninois d’origine, Cap-verdois de part sa maman, Sénégalais de nationalité, Burkinabè d’adoption, alors qu’est ce que cela fait d’être au carrefour de ce « melting-culture » ?
Je dis toujours, je suis un africain avec un passeport sénégalais. J’aimerais avoir un passeport plus large et je milite pour cela. Parce que pour moi, l’union est la seule voie de survie pour l’Afrique et les africains. Si je dis que c’est la seule voie de survie c’est comme quand on porte un regard sur le Mali aujourd’hui, on se rend compte que c’est aussi la seule voie qui reste au Mali. En résumé, on en revient à la feuille de route de Kwamé N’kruma, en 1963, un passeport unique, une armée unique, une banque centrale unique, une monnaie unique. C’est notre seule voie de survie. Kwamé N’kruma, Thomas Sankara et autres panafricanistes, l’ont dit ce n’est pas parce que c’était des utopistes, mais c’est parce que c’était une urgence. Nous sommes toujours dans cette urgence d’avoir des institutions uniques. Je me sens à l’aise partout en Afrique parce que je sens que c’est les mêmes aspirations des peuples. Tout compte fait, Je suis d’abord africain.
Cela explique t-il ton panafricanisme?
Tout à fait. Toutes les origines dans mon corps m’empêchent d’appartenir à tel ou tel pays africain. Je suis un concentré de beaucoup de choses. Avec toutes ces origines je ne peux pas me sentir autrement.
Pourquoi avoir décidé d’être artiste engagé ?
Je n’ai pas décidé délibérément d’être un artiste engagé. On s’engage par vocation, c’est un sacerdoce. La réalité de la vie au tour de moi me pousse à dire des choses. Les gens appellent cela de l’engagement, mais moi j’appelle cela de la responsabilité.
Quel est le rôle des artistes dans le processus démocratique en Afrique?
Le rôle des artistes engagés, c’est normalement le rôle de tout citoyen. Il faut prendre nos responsabilités à des moments historiques donnés. Il ne faut pas les fuir. Chaque citoyen doit prendre ses responsabilités par rapport à l’écriture de l’histoire de son pays et de son continent. Et le rôle de l’artiste, c’est de ne pas être spectateur de l’écriture de cette histoire, mais être un acteur de cette histoire.
Quel avenir réel pour la jeunesse africaine, en général et burkinabé, en particulier ? L'espoir est-il permis?
La jeunesse fait 60% de la population. C’est elle qui, démocratiquement, devrait avoir le pouvoir. Mais malheureusement elle n’est pas prise en compte dans les décisions. Il faut que la jeunesse aille au cœur des décisions, prenne ses responsabilités pas seulement pour faire des insurrections mais pour imposer ses rêves. La jeunesse africaine est une élite qui, très souvent, ne rêve plus. Quand on est jeune, on a encore des rêves. C’est parce qu’il y a eu à l’époque des rêveurs comme Thomas Sankara à l’époque qui a pris des décisions avec la fraîcheur de ces rêves qu’ils ont pu faire de grosses réformes dans nos pays. Voilà pourquoi ils sont cités comme des exemples. Donc si on ne rêve pas et qu’on ne se donne pas les moyens de réaliser ces rêves on ne va pas avancer. L’espoir est permis pour cette jeunesse et à l’échelle de l’histoire on a des preuves que l’espoir est permis. Et quand la jeunesse se met débout, le pouvoir tremble. Pour paraphraser Thomas Sankara. On l’a vu au Sénégal, au Kenya, au Burkina Faso. Je profite féliciter Smokey et Sams’K et tout le Balai citoyen.
Comment avez-vous vécu l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 ?
J’au suivi l’insurrection burkinabè au Téléphone, grâce à Smokey et Abdoulaye Diallo Menez, le coordinateur du Centre de presse Norbert Zongo. C’est avec beaucoup de fierté que j’ai vu qu’il était possible de rêver. Qu’il était possible de se donner les moyens de ces rêve et qu’on n’avait pas besoin d’user de violence pour faire plier un chef militaire.
Les causes de l’insurrection n’étaient- elles pas l’expression de la haine ou plutôt une aspiration profonde de l'Ethique et de la Morale bafouées ?
C’est le besoin de justice, c’est un trou plein d’injustices. Et quand il y a un trou plein, ça finit par déborder. Cette jeunesse a débordé et a exprimé fermement son ras-le-bol. On l’a vu, en Tunisie, en Egypte. Malgré l’armée et les services secrets de Moubarack, il a fini par plier. En Tunisie, Ben Ali l’a été aussi.
La Transition burkinabè est menacée par les caprices du Rsp, quelle est votre lecture et quelle solution proposez-vous ?
Il est très difficile et prétentieux pour moi de parler au nom des Burkinabè, mais il est clair que cette Transition n’arrivera à atteindre ses objectifs que si elle arrive à redéfinir le rôle du RSP dans l’histoire burkinabè. Il ne faudrait pas que la révolution de jeunesse burkinabè soit piégée.
Sankara disait « tuer Sankara et demain vous aurez 20 Sankara. Et aussi l’ouverture de sa supposée tombe tout dernièrement. Alors pensez-vous que cette insurrection est la réincarnation de Sankara ?
Mais attendez. Regardez autour de vous. Les rues de Ouagadougou les t-shirts que les gens portent, qui se vendent à Ouagadougou, c’est du Sankara partout. Il est partout dans cette ville et dans ce pays. On peut éliminer un homme mais pas ses idées. Quand les idées sont fortes et justes, elles survivent autant. Les idées de Sankara survivent autant et pour moi ce n’est que le début de l’ère Sankara
Pourquoi ne pas réorienter votre combat dans d’autres domaines tels l’économie et l’essor de la technologie en Afrique ?
Chacun a son domaine dans la lutte. On ne peut pas faire toutes les luttes. Maintenant dans notre lutte on te parlera de santé d’éducation. On te parlera que de beaucoup de choses. C’est vrai que se sera plus virulent au moment des problèmes d’alternance mais tout cela est pris en compte dans nos préoccupations.
Que penses-tu de la position du Balai citoyen sur le RSP ?
Je m’aligne derrière le Balai citoyen, qui a légitiment plus d’information que moi sur le RSP. Je ne peux que raisonner de la sorte parce qu’il prenne le temps de faire des analyses par rapport à ce pays. Comme je le dis il faut savoir humilité gardée, que ce n’est pas à moi de venir décliner un mode d’empli ou ligne de conduite à qui ce soit. C’est eux qui ont fait le combat savent pourquoi et comment ils l’ont fait. Donc je ne peux que m’aligner derrière leur analyse.
S’aligner derrière leur analyse est ce à dire que vous êtes membre actif du Balai citoyen ?
Je suis membre de Balai citoyen, parce que je me sens entièrement dans leur combat. J’ai vu ce mouvement naître et comment il a refusé aux offres d’entrée en politique. Il a préféré son rôle de sentinelle de la République. Je trouve cela très noble et digne. OUI je suis fortement affilié au Balai citoyen.
Penses-tu que le Balai citoyen influence les décisions du président ou du Premier ministre ?
Non je ne pense pas qu’il influence. Mais je pense qu’à chaque fois le président veut prendre une décision, il fait attention aux désirs de son peuple. Et le Balai est une émanation de ce peuple. Il y a du tout, dans le balai citoyen.
Comment as-tu vécu l’arrestation des membres du mouvement Y’en a marre, du Balai citoyen, du Filimbi au Congo ?
Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai été, a priori, choqué, mais par la suite j’ai souri. Cela, pour dire que ce que nous faisons a un impact. Je pense que le gouvernement congolais a fait la grosse erreur de son règne, en essayant de bâillonner la jeunesse, parce que pour moi et je l’ai aussi dit à une autorité congolaise, ils ont créé le monstre qui risque de les dévorer.
Pierre N’kurunziza est en fin de mandat et veut se présenter pour un 3e mandat. Comment apprécies-tu cette situation ?
Si on se bat c’est pour qu’il y ait de l’alternance. On sait qu’on ne va pas changer le monde avec une marche, on va ne pas transformer le monde avec une chanson. Mais il y a des principes qui, en 2015, on ne doit pas rigoler avec. Les alternances sont nécessaires pour que nos pays évoluent. Parce que personne n’a le monopole de l’intelligence. Et si tu penses que c’est toi seul qui a la solution, trouve quelqu’un dans ton parti qui va continuer pour toi et il va aux élections. S’il gagne tant mieux. S’il ne gagne pas tant pis. Mais un homme ne doit pas garder le pouvoir à vie parce que lui et son clan, soi-disant, ils doivent finir leur chantier. Non c’est de la connerie. Tout le monde peut finir le chantier. Cela à un moment, il faut accepter arrêter. Quand bien même dans ton pays les hommes te disent, on n’en peut plus et on en veut plus. Il faut écouter et accepter arrêter. Il faut entendre le message sinon tu entendras un qui ne te fera pas plaisir. Il faut partir de la tête et non par le pied, devant, comme on l’a vu récemment.
Depuis la chute de Wade on ne vous sent plus comme avant. Est-ce à dire que Macky Sall gère bien le pays ?
Macky Sall est là il n’y a pas longtemps. Donc c’est tôt. Nous, on ne provoque pas pour provoquer. On ne parle que quand il faut. Si on sent qu’il y a une mauvaise gestion, tu nous verras. Mais maintenant, il ne faut pas se faire voir pour ce faire voir et comme on le dit, le monde des activistes, il faut savoir humilité gardée. Il faut se faire respecter, savoir quand agir avec pertinence et mettre la pression quand il le faut. Cela est un processus normal. Mais les gens qui aiment que l’on soit tout le temps dans les rues pour crier, c’est aussi eux qui nous disent, on en a marre, vous en faites trop.
Êtes-vous membre actif de Y’en a marre ?
Y’en a marre, c’est des petits frères. Je les soutiens quand il le faut. Je soutiens leur combat parce que l’on a un devoir de solidarité, par rapport à nos objectifs communs. Ces objectifs c’est être des sentinelles de la République. Il y a beaucoup de mouvements au Sénégal dont Y’en a marre qui a fait un bon boulot. Mais moi je soutiens tous ces mouvements qui sont là pour l’expression de la démocratie dans nos pays.
Quelle est l’état de santé de l’activisme en Afrique ?
L’activisme se solidarise, s’internationalise pour se donner la main parce qu’on sait que tout cela, on ne peut pas arriver seul. C’est seulement en se donnant la main que l’on finira par y arriver. Les mouvements lors de cette édition de Ciné droit se sont mis ensemble pour faire avancer les choses, pour faire avancer le combat. C’était historique ce qui s’est passé à Ougadougou. Des Camerounais étaient là, des Togolais, Sénégalais Burkinabè, Maliens. C’est le début de quelque chose qui va signifier que « plus rien ne sera plus comme avant » en Afrique à partir de Ouagadougou.
Vous avez animé un point de presse le mercredi 1er juillet sous la bannière des Ambassadeurs de la liberté d’expression. Alors parlez-nous de ce groupe et qu’est ce de la chanson « Le droit de vivre » ?
« Le droit de vivre » c’est beaucoup d’artistes qui se sont mis ensemble pour dire que l’on voudrait avoir le droit de vivre librement et ne pas être piégé par tous ces extrémistes qui sont entrain de toucher nos pays, redonner de l’espoir aux populations endeuillées par les extrémistes et reprendre du courage parce que l’on est ensemble et continuer à garder la tête haute avec espoir pour dire que chaque Africain à le droit de vivre et que nul ne détient le monopole de la vie et de la mort sur qui que ce soit.
Un dernier mot un appel ?
Un appel ! C’est juste pour dire aux Burkinabè de continuer le travail magnifique qu’ils ont abattu parce que l’Afrique regarde le Burkina Faso avec d’admiration. Il ne faut pas que cette Transition ne réussisse pas à relever le défi du vrai changement.
Propos recueillis et retranscrits par Ibrahima ZALLE