La messe est définitivement dite pour «l’évangéliste suprême», renvoyé à ses lectures bibliques au Cameroun où il a trouvé refuge après la marche triomphale de la rébellion sur Bangui. Place maintenant, sur les bords de l’Oubangui-Chari, au prêche de Michel Djotodia, nouvel homme fort de la Centrafrique, que l’on attend de voir à l’œuvre. Mais le moins qu’on puisse déjà dire, c’est que le chef politique de la Seleka n’offre pas de gages suffisants de rupture avec la conception bozizéenne du pouvoir.
La preuve : lors de sa première interview accordée à notre confrère RFI, le chef autoproclamé à certes clairement annoncé la tenue d’élections libres et transparentes au terme de trois ans de transition, mais sur la question de la transmission du pouvoir à l’issue de ces consultations électorales à venir, il a préféré faire dans le clair-obscur: «Je n’ai pas dit que dans trois ans je remettrais le pouvoir».
Quand on dit qu’on ne remettra pas quelque chose, c’est qu’on entend le garder. Une lapalissade.
En attendant cette échéance électorale, si Dieu prête longue vie au Soyouznik (par allusions aux études effectuées par Djotodia en ex-URSS) dans un pays où les coups d’Etat se succèdent à un rythme effréné, le ton est donné : suspension de la Constitution, dissolution du gouvernement, application des Accords de Libreville et transition au cours de laquelle le président gouvernera par ordonnances. Le tout sur fond de chaos et d’insécurité dans une capitale tombée presque sans résistance aux mains des assaillants.
On remarquera qu’il a suffi de quelque trois heures pour que les forces combattantes de la Seleka, stationnées à l’entrée de la ville, s’emparent du palais. Une célérité due à la supériorité militaire de la rébellion ? Peut-être.
Mais pour sûr, si Bangui est tombée aussi facilement, c’est que le général Bozizé a été lâché par tous ses pairs de la sous-région, dont certains sont même suspectés d’avoir soutenu activement les insurgés.
L’hôte de luxe de Paul Biya a-t-il fini par agacer ses homologues par son refus d’appliquer le modus vivendi de Libreville à la lettre ? Ou est-ce que ces derniers ont voulu, par attentisme, faire payer à « Boz » son incurie d’avoir fait intervenir l’Afrique du Sud dans des affaires domestiques ?
En tous les cas, on constatera le silence assourdissant de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) dans ce concert de condamnations et de suspensions qui s’abattent sur la rébellion et sur la Centrafrique. Preuve qu’ici, le président déchu est désormais vu comme un paria et son éviction considérée comme une mesure de salubrité sous-régionale. Mais lequel des princes qui gouvernent cette partie du continent peut jeter la première pierre au proscrit de Bangui ? Aucun. Qui pouvait lui faire des leçons de bonne gouvernance politique et économique ? Personne.
Voulez-vous qu’on les passe en revue ? Eh bien, allons-y donc !
Idriss Deby Itno
A son ex-allié, Bozizé, à qui il a voulu du bien, le président tchadien prodigua ce sage conseil : «Garde-toi de te présenter à la présidentielle de 2016». N’en riez pas. Même si c’est comme Gros-Jean qui en remontre à son curé. Voilà quelqu’un qui, après avoir barboté dans la même mare de la dictature qu’Hissène Habré (aujourd’hui poursuivi pour crime contre l’humanité) a fini par prendre sa place par les armes en 1990. Elu président pour un premier mandat en 1996, Idriss Deby Itno, par une modification constitutionnelle, est entré dans un exercice solitaire du pouvoir. En 2011, il a rempilé pour un…quatrième mandat. Que dire de sa gestion de la manne pétrolière dont il se sert, entre autres, pour suréquiper son armée dominée par son ethnie, les Zaghawas ? Brumeuse. Et ce n’est pas tout. L’ancien petit berger de Berdoba surnommé le «mangeur d’opposant» n’a pas son pareil lorsqu’il s’agit de réduire un adversaire politique au silence.
Denis Sassou-Nguesso
Marxiste-léniniste reconverti sur le tard à la démocratie libérale, le président congolais est au pouvoir depuis 1979. Contraint au multipartisme au début des années 90, il a été battu par Pascal Lissouba à la présidentielle de 1992 avant de revenir aux affaires au terme d’une longue et meurtrière guerre civile en 1997.
Elu et réélu au premier tour, respectivement en 2002 et en 2009 (78%), il traîne l’image d’un chef de l’Etat rompu à la gabegie. Rien d’étonnant donc qu’il soit régulièrement cité dans les rapports anticorruption d’ONG comme Transparency International et l’Association Sherpa.
En 2007, l’Office central de répression de la grande délinquance financière a recensé 112 comptes bancaires enregistrés au nom de sa famille.
Omar el-Béchir
Chef de l’Etat de 1989 à 1993 et président de la République depuis 1993, le tombeur du Premier ministre soudanais Sadiq al-Mahdi est aujourd’hui poursuivi par la CPI pour crime de guerre, crime contre l’humanité et génocide dans le cadre de la guerre civile au Darfour.
Difficile d’avoir un pédigree similaire à celui de l’homme fort de Khartoum.
Ali Bongo Ondimba
Malgré la volonté et les efforts de l’hôte des Accords de Libreville de s’affranchir de l’image de son défunt père, Omar Bongo, il ne parvient pas à laver le péché originel qui le souille : l’accession au pouvoir par une succession dynastique. Et comme « papa » avait eu la géniale idée de sauter le verrou constitutionnel, Ali Bongo n’a plus eu besoin de se taper le sale boulot. Un cadeau sur un plateau d’argent pour ce jeune quinqua qui a la possibilité et la légalité de rempiler autant de fois que sa santé le lui permettra.
Il a beau s’essayer aux règles de bonne gouvernance politique et économique, il traîne son patronyme tel un boulet à la cheville. La famille Bongo renvoie l’image d’un clan qui a fait de la gestion patrimoniale de l’Etat son jeu favori.
Joseph Kabila
Cet autre fils de… est, lui aussi, arrivé aux affaires en enjambant la dépouille de son géniteur, Laurent-Désiré Kabila, assassiné en janvier 2001.
Elu au second tour en 2006 après une transition chaotique, Joseph Kabila rebelote en 2006 à l’issue d’un scrutin truqué, entaché de fraudes massives, d’irrégularités stupéfiantes. Plusieurs fois épinglé par les organisations de la société civile, il est soupçonné d’être le commanditaire, entre autres, de l’assassinat du célèbre militant des droits humains, Floribert Chebeya, si bien que la tenue dans son pays, la République démocratique du Congo, du XIVe Sommet de la Francophonie a suscité de vives protestations au sein de la communauté internationale.
«L’oncle» Obiang
A la tête d’un véritable émirat pétrolier en pleine reconstruction, Teodoro Obiang Ngema dirige son pays d’une main de fer depuis 1979 à la suite d’un coup d’Etat militaire contre son oncle.
Froid, impassible, derrière ses apparences d’ascète ce cache un véritable prédateur jamais repu de prébendes. Accumuler, accumuler et toujours accumuler, telle est sa raison de gouverner.
Le Magazine « Forbes » ne le considère-t-il pas comme « l’un des chefs d’Etat les plus riches de la planète » ?
Estampillé « prédateur de la liberté de la presse » par Reporters sans frontières, le satrape de la Guinée Equatoriale nourrit lui aussi des velléités de transmission dynastique du pouvoir à son fils Teodorino, ministre du pétrole.
Les membres de sa famille, plusieurs fois visés par les enquêtes d’organisations anticorruption, sont passés maîtres dans l’esbroufe et leurs hauts faits d’armes défraient la chronique sans discontinuer.
Paul Biya, «monsieur sans problème»
S’il y a un président accro farniente (plaisir à ne rien faire), c’est bien « Big Paul ».
Après le legs que lui a fait l’ancien président Ahmadou Ahidjo, en 1982, le Cameroun est entré en mode pilotage automatique.
Voilà un pays qui, au regard de ses richesses naturelles, aurait pu être aujourd’hui au même niveau de développement que certains pays de l’hémisphère Nord. Mais encore faut-il que son dirigeant ait le temps de travailler. Il est plus facile de rencontrer Paul Biya en Suisse, où il possède de nombreux chalets, qu’au palais Etoudi.
Et à quatre-vingts ans, le mari de la sémillante Chantal n’est pas prêt à faire valoir ses droits à la retraite. Inox.
Par une révision rétrograde de la loi fondamentale, il a fait sauter le verrou constitutionnel qui limite le nombre de mandats présidentiels à deux.
De temps à autre, pour donner l’illusion d’une moralité dans la gestion publique, la « doublure de Machiavel » n’hésite pas à faire le ménage au sein de son milieu. Souci d’une gouvernance vertueuse ? Vous n’y êtes pas. Juste pour la survie du système.
Son régime est classé parmi les Etats les plus corrompus et les plus autoritaires du monde.
Au terme de cette fiche signalétique des chefs d’Etat de l’Afrique centrale, on se rend aisément compte que l’affreux Bozizé a été lâché par ses semblables, des clones politiques.
Au-delà de la Centrafrique, c’est toute la sous-région qui a besoin d’un remodelage vertueux, comme disait l’ancien président américain George Walker Bush.
Cela dit, il n’y a pas que l’Afrique Centrale qui ait le monopole de la démocrature. D’autres contrées pas très lointaines de là n’en sont pas en reste.