Ouagadougou- Calme mais visiblement éprouvé, Ben Ouédraogo ressasse inlassablement l’agression sexuelle présumée infligée à sa fille par un soldat français dimanche à Ouagadougou : "Je suis abasourdi. Ça fait trois jours que je ne dors pas", raconte-t-il à l’AFP.
Le jour des faits présumés, la fillette de 5 ans, élève en CP, passe l’après-midi dans une piscine avec une de ses amies, accompagnées par la mère de cette dernière. "Là, elles ont rencontré deux messieurs. L’un des deux s’amusait particulièrement avec les enfants", dit-il.
"Sympathiques", les deux hommes sont ensuite invités à prendre un café chez la mère de l’autre fillette, âgée de 3 ans. Ben Ouédraogo, venu dans la soirée chercher son enfant, les y rencontre brièvement. "Ce sont des soldats bien baraqués, bien costauds."
Quand les deux membres des forces spéciales quittent à leur tour les lieux, l’un d’entre eux oublie sa caméra, piquant la curiosité de son hôte. Qui pensant y découvrir des images de combats ou de sauts en parachute, se retrouve à contempler des attouchements perpétrés sur les deux fillettes.
"Les faits sont ignobles", affirme M. Ouédraogo, au bord des larmes. Cet artiste-graphiste de 31 ans, qui a lu "les dépositions", n’a toutefois pas vu la vidéo, consignée à l’ambassade de France, d’où on l’a selon ses dires "poliment écarté".
"On a appelé la mère de ma fille (dont il est séparé, NDLR), qui est de nationalité française. On m’a dit que l’un des deux parents suffisait lors de l’audition pour la vérification des faits."
Thierry Nabyroué, le père de la seconde victime, narre la même histoire, les yeux rouges de fatigue. Ce journaliste burkinabè de 35 ans, qui ne vit plus non plus avec son ex-compagne française, n’était pas là au moment des faits présumés.
Comme Ben Ouédraogo, il n’a pas pu visionner les images des attouchements présumés sur sa fille de 3 ans. Lui aussi dit avoir attendu en vain son audition par les gendarmes tricolores venus depuis le Niger enquêter sur l’affaire.
Puis il a constaté, sans en être averti, "l’exfiltration" des deux soldats en France, en vertu d’un accord judiciaire passé entre Ouagadougou et Paris.
- ’Dégueulasse’ -
"Ça veut dire que n’importe qui peut faire n’importe quoi du moment qu’il est soldat, étranger, Français. Mais pourquoi ne le jugerait-on pas ici ? Il y a bien une justice, des lois" au Burkina, s’énerve Ben Ouédraogo.
"Je n’ai pas entendu quelqu’un ici se prononcer sur le sujet, même pas une association de la société civile", s’indigne Thierry Nabyroué, qui appelle les Burkinabè à "réagir" face à leur statut d"’éternels dominés".
Un soldat a été mis en examen vendredi soir à Paris pour agression sexuelle sur enfant de moins de 15 ans et enregistrement d’images présentant un caractère pornographique d’enfant de moins de 15 ans, et a été laissé en liberté. Le parquet, qui avait requis le placement en détention provisoire de cet homme de 38 ans, n’a pas été suivi.
Le deuxième militaire a été libéré, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.
Ben Ouédraogo, qui espère des punitions "sévères" contre les deux hommes, pour "qu’ils ne puissent plus jamais pouvoir perpétrer ce genre d’acte", a pris un avocat en France, spécialisé dans les affaires de pédophilie.
Il compte également porter plainte au Burkina, pour contester notamment le rapatriement des soldats.
Thierry Nabyroué, lui, s’étrangle de ne pouvoir engager de procédure dans son pays du fait de "la confiscation de la (seule) pièce à conviction", la vidéo.
"Moi et ma famille avons été pris pour des idiots, peste Ben Ouédraogo, qui "remercie" toutefois "le ciel" que sa fille n’ait "pas pris conscience de ce qui s’est passé."
C’est d’ailleurs la seule bonne nouvelle dans cette si sombre histoire. Des examens médicaux pratiqués sur les deux enfants n’ont permis de déceler aucune blessure. "C’est toujours la même petite fille joviale, tranquille", qui "aime les gens et que les gens adorent", se rassure M. Nabyroué
Un peu plus âgée, celle de Ben Ouédraogo, qui continue de "rire ou chanter", "sait très bien qu’avec tout ce qui s’est passé, les questions qui lui ont été posées, il y a quelque chose de pas normal", remarque son père, qui "comme dans un film", "ne réalise pas" non plus ce qui se passe.
"Mais à un moment il faut que je garde le courage pour continuer à me battre pour ces enfants, pour ma fille, pour garder leur honneur, se reprend-il. Parce que c’est dégueulasse, dégueulasse."
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