Un journaliste arrêté et expulsé manu militari, et sans la moindre explication, ce n’est pas qu’en Corée du Nord ou en Union soviétique que l’on voit cela. Le Tchad de Idriss Deby vient, en effet, de s’illustrer négativement dans ce registre. Et c’est Laurent Correau, envoyé spécial de Radio France Internationale (RFI), qui a fait les frais de la peur panique qui s’est emparée des autorités tchadiennes.
En effet, arrivé au Tchad dans le cadre du procès de Hissène Habré, Laurent Correau a été interpellé sans ménagement à son hôtel par deux agents de la police, avant d’être expédié comme un colis, dans le premier avion, à destination de Paris. Et tout cela, sans la moindre explication des autorités policières, ni des plus hautes autorités du pays. En tout cas, il n’en était rien jusqu’au moment où nous tracions ces lignes. Un silence total qui, évidemment, ne manque pas de donner lieu à toutes les supputations. On sait que le journaliste était venu réaliser une série de reportages en lien avec le procès de Hissène Habré. On peut donc légitimement penser que l’expulsion du journaliste, du territoire tchadien, a un lien avec cette affaire. Alors, que pouvaient craindre les autorités du pays, de la présence de Laurent Correau sur le sol tchadien ?
Une série de reportages en lien avec l’affaire Habré pouvait avoir son lot de révélations qui n’auraient certainement pas manqué d’embarrasser Idriss Deby et son gouvernement.
Deby, cet ancien sécurocrate de Hissène Habré à l’époque où il était son chef d’Etat-major, pourrait avoir des choses à se reprocher dans les nombreux meurtres qui ont marqué la gouvernance de Hissène Habré.
Cette expulsion est une mauvaise publicité pour le Tchad
Laurent Correau était-il déjà en possession d’informations dont la révélation dans une période aussi sensible, pouvait porter préjudice au régime de Deby ? Rien n’est moins sûr. Une seule certitude : cette expulsion de notre confrère est une mauvaise publicité pour le Tchad. Elle renforce l’image selon laquelle la démocratie sous Deby est une démocratie en trompe-l’oeil.
De fait, qui peut avoir peur d’un journaliste, pour autant que son professionnalisme ne souffre pas de débat, si ce n’est un dictateur ? Il est vrai que l’indépendance qu’affichent généralement les journalistes de RFI dans le traitement de l’information, peut parfois mettre mal à l’aise bon nombre de chefs d’Etat africains qui ont plutôt tendance à vouloir contrôler les médias de leur pays. De peur que les dossiers sales de la République ne soient révélés au grand jour. Sous cet angle, on peut comprendre que le régime d’Idriss Deby ait fait montre de fébrilité au point d’expulser Laurent Correau.
Cela dit, si Idriss Deby a mauvaise conscience au point de ne pas se soucier des retombées négatives, en termes d’image, de cette expulsion, il y a fort à craindre que son départ du pouvoir ne soit pas envisageable dans l’immédiat. L’alternance risque d’être encore ajournée. D’autant qu’ une alternance pourrait faire sortir des placards de nombreux cadavres, ce qui pourrait encore donner lieu à d’autres procès, à l’image de celui d’Hissène Habré. Et puis, il y a la menace de la Cour pénale internationale (CPI). Au totat, cette fébrilité qui s’est emparée des autorités de N’Djamena pourrait cacher le désir de Ìdriss Déby de réécrire l’Histoire à son propre compte ; loin des questions gênantes et des investigations dérangeantes de journalistes.
Dieudonné MAKIENI