«Si le temps manque pour aller à une nouvelle république de façon sereine et concertée, portons des aménagements à celle qui existe. Le Burkina Faso ne se portera pas plus mal parce que c’est surtout l’attachement des Hommes aux idéaux démocratiques qui assure l’épanouissement de la Nation.» C’est la conclusion à laquelle parvient Amadou Traoré, juriste de son état, suite à son analyse contributive au débat sur la problématique d’une Vè république au Burkina.
Le Burkina Faso est à sa IVème République. Aujourd’hui, il est question de passer à une Vème République en l’absence de toute évaluation concertée de la démocratie burkinabè.
D’aucuns avancent l’existence de plusieurs dizaines de points de révision de la Constitution actuelle, ce qui, de leur avis, nécessiterait le passage à une nouvelle République. L’on est en droit de se demander quelle est l’instance compétente qui a constaté et homologué ces insuffisances. Nul ne le sait.
Au sortir des évènements des 30 et 31 octobre 2014, l’idéal aurait été de faire l’état des lieux de la démocratie sous l’égide du peuple souverain. Sous la forme d’états généraux de la démocratie ou de conférence nationale, cet état des lieux aurait permis de relever les insuffisances de la Constitution du 11 juin 1991 au cours d’échanges ouverts. Cela n’a pas été! Cette insuffisance plombe le constitutionnalisme burkinabè en cette fin de transition.
En tout état de cause, le temps parait ne pas suffire pour procéder à l’exercice des états généraux d’évaluation de la Démocratie burkinabè.
Il reste à trouver les formules qui permettent de doter le Burkina Faso d’institutions post-transitionnelles solides dans deux conditions:
élaborer et faire adopter par voie de référendum une nouvelle constitution;
apporter des réaménagements à la Constitution actuelle par le CNT.
Mais dans tous les deux cas de figure, le processus d’adoption de la constitution devra être achevé avant l’organisation des élections de fin de transition.
L’analyse ci-après permet de conforter ce point de vue.
LE PRINCIPE D’ANTERIORITE DE LA CONSTITUTION PAR RAPPORT AUX INSTITUTIONS GOUVERNANTES
L’idéal aurait été de doter le Burkina Faso d’une nouvelle constitution si telle est la volonté du peuple burkinabè. Mais la contrainte majeure est qu’elle devra être établie en la forme définitive avant toute convocation de scrutins de fin de transition.
Certains constitutionnalistes ont évoqué les possibilités de couplage du référendum constitutionnel avec des élections générales. Un tel cas de figure me parait contraire au principe d’antériorité de la constitution par rapport aux institutions républicaines.
En effet, toutes les institutions trouvent leur fondement dans la constitution. Cela augure qu’elle soit élaborée en la forme définitive pour produire des effets, ce qui ne peut s’obtenir qu’avec le respect du principe d’antériorité de la constitution par rapport à toutes les institutions étatiques.
La question d’antériorité de la Constitution ne peut pas être réglée par une (simple) promulgation rapide du résultat du référendum avant ceux des élections générales tenues le même jour.
Pour qu’une nouvelle République soit valable, sa création ne peut pas être confondue avec des scrutins dont les résultats doivent s’appliquer au cours de la période qu’elle doit régir.
Les institutions nouvelles dont les électives, ne peuvent trouver leur légitimité que dans une constitution dont le processus d’élaboration est achevé.
L’antériorité d’une constitution ne doit pas être déduite de délais qui peuvent prêter à confusion. Elle doit être franche et libre de toute ambiguïté.
LES INDUCTIONS DE LA NOUVELLE REPUBLIQUE
Une Nouvelle République se crée avec une nouvelle constitution adoptée par voie de référendum et promulguée régulièrement. Dans le principe, la Nouvelle République met à plat toutes les institutions. Des institutions conformes à l’ordre politique nouveau doivent être progressivement mises en place pour un nouveau départ.
Il ne pouvait en être autrement dès lors que la source de tous les pouvoirs se trouve dans la constitution, le référendum étant l’opération d’adoption des règles nouvelles de gestion de l’Etat souhaitées par le peuple souverain.
Toute élection qui a lieu avant la création formelle et achevée de cette république est tout naturellement mise à plat. Il doit être procédé à de nouvelles élections et désignations (selon les cas) pour pourvoir au fonctionnement des institutions au regard de la nouvelle constitution.
En outre, il doit être procédé également à la revue d’ensemble des principaux textes adjacents conformément au nouvel ordre constitutionnel, au risque de créer un hiatus institutionnel préjudiciable en cette période.
Trois exemples permettent de conforter ce point de vue. Il s’agit de la mise en place de la Vème République française de 1958, de celle de la IIIème République malienne post-insurrectionnelle de 1992 et de celle de la IIIè République guinéenne de 2010.
Dans chaque cas, il a d’abord été procédé au référendum constitutionnel portant création de la nouvelle République. La promulgation de la constitution a marqué la dissolution de toutes les instituions essentielles existantes.
Pendant la période de mise en place des nouvelles institutions, le Gouvernement et l’organe représentatif de la transition (cas du Mali et de la Guinée), détenaient les pouvoirs exceptionnels et prenaient par ordonnance ayant force de loi, les mesures législatives nécessaires au fonctionnement des pouvoirs publics.
Le dernier cas qui illustre le respect de ce formalisme est celui de la République centrafricaine. Invitée Afrique sur RFI le lundi 15 juin 2015 à 5h 30 minutes, la Présidente de la transition, Madame Cathérine Samba Panza a déclaré que « …Nous avons deux scrutins. Le premier concerne le référendum constitutionnel. La Constitution est en train d’être finalisée. Une fois que nous aurons finalisé la Constitution, nous allons organiser le référendum constitutionnel. La deuxième phase concerne les élections groupées: législatives et présidentielle…». Son interview peut être intégralement écoutée en podcast sur le site de RFI.
Malgré les difficultés financières que traverse la Centrafrique, il est manifeste que la Présidente tient au respect du principe de l’antériorité du référendum par rapport à l’organisation des élections générales.
Le référendum peut être couplé avec des élections générales dans un seul cas de figure: lorsqu’il a pour effet de réviser des dispositions d’une constitution qui reste en vigueur et seulement pour des questions qui n’ont pas trait aux élections avec lesquelles il est couplé.
Ici, le référendum n’aboutit pas à la création d’une nouvelle république, mais à un réaménagement des pouvoirs dans d’autres secteurs publics.
LES INDUCTIONS DE LA SOUVERAINETE DU PEUPLE
Le peuple est souverain. C’est au peuple de donner le format du pouvoir qui doit le régir à travers la constitution. C’est à l’issue de cette précision que les gouvernants sont choisis dans les conditions voulues par ce peuple et nantis des pouvoirs prédéterminés.
Il est donc malaisé de comprendre que l’on puisse insérer dans la nouvelle constitution que des élections tenues sous le coup de la république abrogée seront validées par la constitution en préparation.
Il n’est pas superflu de rappeler à ce propos que la constitution, en tant que Loi est soumise aux principes de non rétroactivité et de disposition pour l’avenir.
Comment peut-on élire des gouvernants dont les pouvoirs ne sont pas encore définis par le souverain sans écorcher ses prérogatives?
Comment peut-on pourvoir à des institutions non encore établies par le souverain, même si l’on en a connaissance?
Se pose donc la légitimité de gouvernants élus avant la création formelle de la nouvelle république.
Pire, dans le cas de figure du référendum constitutionnel couplé avec des élections générales, il sera loisible à tout perdant d’évoquer la nullité de l’élection de ses adversaires comme étant intervenue sous le coup de la constitution abrogée. Toute une bataille juridique en perspective.
LA SOLUTION DE REVISION DE LA CONSTITUTION DU 11 JUIN 1991
La solution du constitutionnalisme post-transitionnel de notre pays pourrait consister à un réaménagement en profondeur de la Constitution du 11 juin 1991, laquelle prévoit sa révision en son TITRE XV, sans autre limitation que l’irrecevabilité des projets ou propositions de textes qui remettraient en cause la nature et la forme républicaine de l’Etat, le multipartisme ou l’intégrité du territoire national. La révision de la constitution n’a donc de limite que la volonté du peuple.
La Constitution de la Vème république française de 1958 que toutes les constitutions africaines, dont la nôtre du 11 juin 1991, ont mimée, est considérée par les spécialistes comme un exemple de Loi fondamentale complet. La République française est antérieure à la nôtre, mais sa Constitution, plusieurs fois modifiée, demeure toujours en vigueur.
Il est donc tout à fait possible de réaménager les attributs des pouvoirs publics dans la Constitution du 11 juin 1991.
CONCLUSION
Le constitutionnalisme nécessité beaucoup d’analyse, de tempérance et de concertation des acteurs. Une course effrénée à la nouvelle république sans avoir pris le soin de baliser les contours de nos réalités institutionnelles pourrait conduire à une impasse.
La séparation du référendum et des élections générales n’est pas une faculté, mais une obligation qui conditionne la légitimité des institutions de la nouvelle république. L’organisation d’un référendum constitutionnel au rabais ne saurait être justifiée par l’insuffisance de deniers au regard des atteintes au constitutionnalisme et aux principes démocratiques qu’elle provoque.
Aussi, si le temps manque pour aller à une nouvelle république de façon sereine et concertée, portons des aménagements à celle qui existe. Le Burkina Faso ne se portera pas plus mal parce que c’est surtout l’attachement des Hommes aux idéaux démocratiques qui assure l’épanouissement de la Nation.
Amadou Traoré, Juriste