Les chefs d’Etat et de gouvernement africains vont-ils suivre le président en exercice de l’Union africaine (UA), le Zimbabwéen Robert Mugabe ? En prêtant serment, le 21 février 2015, pour prendre les rênes de la présidence de l’UA, il avait menacé de retirer l’Afrique de la Cour pénale internationale (CPI) dès le 25e sommet de l'Union africaine, ouvert ce 14 juin 2015 à Johannesburg. Pour le président Mugabe, l’Afrique doit plutôt avoir affaire à la Cour africaine de justice qu’à la CPI jugée « très raciste ». Et pourtant, l’Afrique a intérêt à reconnaître toujours la CPI. Penser que la Cour pénale internationale s'acharne uniquement sur l'Afrique est un faux procès. Pourquoi occultons-nous les raisons qui poussent la CPI à se diriger vers l’Afrique ? Les crimes, les injustices les plus inimaginables et ou inqualifiables ne sont-ils pas de nos jours commis en Afrique ?
Sur d’autres continents, il y a parfois des crimes qui sont perpétrés mais ceux qualifiés de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre ou autres sont le plus souvent à rechercher en Afrique. Jetons un coup d’œil au Darfour (Soudan), en République démocratique du Congo ou encore en Centrafrique. Des Africains tuent des Africains, massacrent des habitants de villages entiers, violent ou éventrent des femmes enceintes, exterminent leurs semblables et il n’y a rien. L’Afrique peut-elle en être fière ? Qu’a pu faire la Cour africaine de justice face à de telles atrocités ? Rien, absolument rien. Ne dit-on pas que c’est l’existence de l’interdit qui tempère souvent les ardeurs du méchant?
L’Afrique ne doit en aucun cas se réjouir de la barbarie de ses fils. Les dirigeants de l'Armée de résistance du seigneur (Ouganda), les chefs de guerre comme Thomas Lubanga, Germain Katanga en RDC, Jean-Pierre Bemba en Centrafrique, les rebelles soudanais, Bahr Abu Garda, Abdallah Banda, ou encore le président Omar El- Béchir (Soudan), Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et compagnie en Côte d’Ivoire doivent répondre de la mort de milliers d’Africains devant la CPI reconnue par leur pays.
On accuse Fatou Bensouda et sa Cour de ne pas poursuivre des criminels à la peau blanche mais rappelons que les grandes puissances comme les Etats-Unis, la Russie, la Chine n'ont pas ratifié le Statut de Rome parce qu’elles ont vu ses implications, contrairement à nombre d’Etats africains. On ne peut pas ratifier une convention et refuser sa mise en œuvre. Le Statut de Rome signé le 17 juillet 1998 a prévu la création de la Cour pénale internationale. A la date du 2 janvier 2015, 123 Etats sur les 193 Etats membres de l'ONU ont ratifié le Statut de Rome. La preuve qu’ils acceptent tous l'autorité de la CPI. Dura lex sed lex (Dure est la loi, mais c'est la loi).
En réalité, la CPI complète les systèmes judiciaires nationaux. Elle n’exerce d’ailleurs sa compétence que lorsque les juridictions nationales n’ont pas la volonté ou la compétence pour juger les crimes commis. Le cas Hissène Habré est assez illustratif de la dangerosité de l’intention de Robert Mugabe. Hissène Habré, soupçonné d'être responsable de la mort de près de 40 000 personnes au Tchad, dont 300 détenus politiques exécutés en novembre 1990, mène toujours une vie tranquille au Sénégal. Les régimes passent et point de procès Habré. Pendant ce temps, les quelque 80 000 orphelins produits par la terreur du régime Habré ont encore les larmes aux yeux. N’est-ce pas là un cas d’impunité qui atteste que la Cour africaine de justice n’est pas la solution à la barbarie des Africains ?
Si les dirigeants africains semblent être les seuls à répondre devant la CPI, c’est parce qu’ils n’ont jamais agi avec le sentiment d’être un jour inquiètés par les juridictions nationales. Il convient de mieux orienter les actions de la CPI pour qu’elles soient applicables à toutes l’humanité et les Etats parties que de se retirer. Sur un continent où la démocratie reste un vain mot dans de nombreux pays, ce serait exposer des populations déjà confrontées à plusieurs maux à une dictature sournoise entretenue par la boulimie des dirigeants qui n’hésitent pas à croire qu’ils ont un droit de "vie et de mort” sur leurs concitoyen(ne)s.
Les Etats africains ont accepté ratifier le Statut de Rome avec parfois en contrepartie des espèces sonnantes et trébuchantes. Il faut simplement assumer les conséquences. L'Afrique ne doit pas se retirer de la Cour, dans la mesure où elle a besoin de cette justice pénale pour dissuader ses criminels et génocidaires. Ce n’est pas un continent qui a ratifié le Statut mais plutôt des Etats pris individuellement. Alors, à chacun de s’assumer. Le pire scénario c’est de voir tous les pays africains se retirer de la CPI. Ce sera bonjour le crime en Afrique. Cela est-il souhaitable?
Par Rabankhi Abou-Bâkr Zida