Le huis clos des chefs d’Etat et de gouvernement, à l’occasion du 25e sommet de l’Union africaine, a démarré hier dimanche 14 juin 2015 dans le luxueux Centre des affaires de Sandton de Johannesburg, en Afrique du sud. Au menu de cette rencontre annuelle de l’instance continentale dont le plat de résistance est « l'autonomisation et le développement des femmes pour la réalisation de l'agenda 2063 », plusieurs autres sujets d’actualité, au nombre desquels la migration, le terrorisme, la gouvernance, le Burundi, la Lybie et le Soudan du sud.
Mais la présence à ce sommet de Omar El Béchir, le président soudanais dont une ONG sud-africaine a demandé l’arrestation conformément aux mandats lancés contre lui par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide, tous en relation avec la guerre au Darfour, a certainement chamboulé l’agenda des chefs d’Etat.
Avec cette affaire El Béchir, c’est un test grandeur nature sur la capacité de l’UA à respecter ses engagements et à se démarquer des satrapes qui président aux destinées de certains pays.
L’interdiction faite à Omar El Béchir de quitter le territoire, par un tribunal sud-africain, avant qu’il ne rende son arrêt ce lundi 15 juin sur l’arrestation ou non du président soudanais, est en soi un acte fort, mais on aurait tort de manifester un enthousiasme débordant, tant les chefs d’Etat africains ont imprimé à l’Union africaine, l’image d’un club de dictateurs se soutenant mutuellement.
L’organisation continentale nous a, en effet, habitués depuis sa création à des louvoiements, à chaque fois que l’occasion lui est donnée de rappeler à l’ordre tous les chefs d’Etat en rupture de banc avec la communauté internationale ou avec leur propre peuple.
Le cas du Burundi où NKurunziza a décidé de pulvériser au bazooka les accords d’Arusha pour se maintenir au pouvoir, était par exemple, une occasion pour l’UA de démontrer qu’elle a définitivement rompu avec le laxisme vis-à-vis des despotes qui sont parvenus aux manettes des Etats et y restent grâce à des procédés illégaux. Mais hélas, mille fois hélas ; l’institution continentale s’est encore bornée à rappeler des principes et ipso facto, à ménager étrangement le satrape de Bujumbura en se réfugiant derrière les résolutions des pays de l’EAC prises à Dar-es-Salaam le mois dernier.
Il faut travailler à renforcer les pouvoirs de la commission en rognant les prérogatives des chefs d’Etat
En toute logique et en toute lucidité, comment peut-il en être autrement, quand le continent manque cruellement de leaders ou d’hommes d’Etat à même de cracher leurs vérités aux autres sans qu’on ne leur oppose leurs propres frasques ou turpitudes? En vérité, il n’existe quasiment plus cette race des Alpha Omar Konaré pour secouer le cocotier, quitte à être taxé, comme ce fut le cas pour le natif de Kayes, de subversif et d’empêcheur de « bâillonner les peuples » en rond.
En tout état de cause, on est bien loin de ce 9 juillet 2002, quand on entonnait en chœur au grand Stade de Durban, l’hymne continental et où on déclarait caduques les frontières héritées de la colonisation, avec en perspective une armée, une monnaie, un gouvernement et une banque centrale uniques.
En un mot comme en mille, l’UA est plombée par l’incapacité ou plus exactement par le manque de volonté politique de ses membres dirigeants d’appliquer les dispositions contenues dans son acte constitutif, mais aussi, ne l’oublions pas, par une impasse financière.
L’UA ne finance, en effet, que 28% de son budget de fonctionnement, le reste étant pris en charge par de généreux donateurs, parmi lesquels l’Union européenne, la Banque mondiale, la Chine et la Turquie. Et les turbulences financières que traversent les plus gros contributeurs au budget de l’organisation que sont la Lybie et l’Egypte, ne sont pas de nature à arranger les choses.
On comprend dès lors pourquoi l’UA est obligée de tendre la sébile à ses sœurs des autres continents, en faisant grise mine pour émouvoir les éventuels donateurs et susciter leur compassion.
Faut-il laisser l’institution continentale tanguer parce que dirigée par des aventuriers et des despotes de tous poils, tenant à distance les peuples pour lesquels cette union est censée exister ? Assurément non ! Et il faut travailler à renforcer les pouvoirs de la commission en rognant les prérogatives des chefs d’Etat dont la fidélité et la loyauté aux textes fondateurs de l’union sont plus qu’aléatoires.
Il faudrait en outre que l’union descende au niveau des populations, des OSC et des institutions au plus bas niveau, qu’elle soit une union des peuples pour les intérêts des peuples et non un conglomérat de satrapes le plus souvent ostracisés par les bailleurs de fonds et vomis par leurs propres peuples.
Gageons qu’avec le réveil des OSC dans bon nombre de pays africains, l’UA emboîtera le pas aux organisations sous-régionales comme la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la SADC et dans une certaine mesure la Ligue arabe qui sont, l’on est bien obligé de le reconnaître, plus efficaces parce que plus proactives et pragmatiques, surtout en matière de résolution de crises.
En attendant les conclusions de ce 25e sommet qui, comme les précédents, risque d’accoucher de vœux pieux et de discours convenus, on peut déjà se réjouir du fait que l’un des membres du club des puissants d’Afrique ait passé la nuit du dimanche au lundi suspendu à la décision du tribunal de Johannesburg. Peut-être que de ce côté-là, « plus rien ne sera comme avant ». Mais attendons de voir. Car ces conférences tam-tam de l’UA, très souvent, n’apportent rien de nouveau ni de bon pour la démocratie et le progrès sur le continent.
Hamadou GADIAGA