Cinq ans après, les pourfendeurs des aménagements du NIGER lançaient des signes avant coureurs du changement, un premier pas vers le démembrement de la HATE-VOLTA est réellement franchi en décembre 1926 par la décision de rattacher le cercle de Say à la colonie du Niger à partir de l’année 1927.
Comme il se doit, l’estocade finale est donnée par celui qui avait lancé les hostilités, EMILE BELIME, il formule sa requête au moment où il adresse au ministère, en 1929, les conclusions de son projet général d’aménagement de cette région .Il demande en clair à l’administration de constituer une " Zone neutre " dans le Yatenga et ses alentours selon des indications précises.
En éliminant le long du Niger et son affluent, le Baní, une marge de territoire qui, théoriquement par les cours d’eau communiquerait avec les voies d’évacuation ; en ménageant en bordure de chemin de fer de jonction projeté Bobo-Niger, au nord de l’embranchement du Mossi et à l’Est de Ouagadougou une distance de 100 km au-delà de laquelle l’attraction du rail ne se fait plus sentir, il reste un grand territoire que nous appellerons le zone neutre. Il y a là, une réserve de main d’œuvre suffisante pour le mise en valeur de toutes les terres irriguées. Cette zone neutre, économiquement inexploitable par tout autre moyen que la colonisation nigérienne intéresse en partie ou en totalité, les cercles de Bandiagara, Dédougou, Koudougou, Ouahigouya, Dori, Kaya, Fada N’gourma, Tenkodogo, Ouagadougou. Il appartient à l’administration d’en tracer les limites et d’ouvrir une enquête qui permettra de dénombrer exactement la population disponible, de connaître les caractères des races qu’elle englobe (….) même leur histoire, car les mossi conquirent le Mena (Zone assujettie aux travaux d’irrigation et à son repeuplement NDR) et s’en souviennent et de déterminer ainsi les moyens de créer plus tard un courant humain orienté vers le Niger. La zone neutre comprend des territoires appartenant tant à la Haute-Volta et au Niger qu’au soudan. A vrai dire, sa signification va au-delà d’une sollicitation du simple démembrement des nouvelles colonies.
Au premier abord il semblerait qu’il s’agit de l’aspiration au rétablissement de l’ancien Haut-Sénégal-Niger. Nous savons qu’il a servi en tant que point de repère à toutes les références spatiales et à tous les calculs économiques et démographiques contenus dans les rapports de Bélime.
La requête toutefois va plus loin. Sous-jacent, nous apercevons le désir de constituer un territoire ’franc’ soumis à l’autorité administrative de l’office du Niger. Une idée coloniale qui a fait son apparition à d’autres reprises, dans des moments de difficultés de l’office. Par exemple, à l’indépendance du Soudan-Mali, des voix françaises se sont levées en faveur de l’institution dans la surface couverte par l’office, d’une " zone autonome "qui devait rester française. C’est en définitive l’application de la règle d’or de la colonisation, de diviser pour mieux garder le contrôle.
Le démembrement de la Haute-Volta pour le compte de l’office du Niger :(les évènements)
La succession des évènements est à elle seule révélatrice de l’importance des pressions exercées de la part de l’office sur l’administration quant au sort à réserver à la colonie de la Haute -Volta. Nous sommes en 1929, lorsque Bélime a écrit sa requête solennelle de zone neutre dans son projet final, alors qu’en février 1931 la loi d’emprunt a incorporé le projet de 1929 dans l’ensemble des crédits réservés à l’AOF et en mars de la même ’année est approuvé le projet général des travaux d’aménagement du delta central du Niger contenant la requête susmentionnée. C’est pourquoi dès 1931, des rumeurs circulaient déjà sur un projet de suppression de la colonie. Le Moro Naba Koom 2 s’en fait l’écho dans une lettre e protestation adressée le onze avril &932 au député Blaise Diagne. Dans ce contexte, le décret de création, officielle, de l’office du Niger est intervenu le cinq janvier 1932 .La suppression de la Haute -Volta ne s’est pas fait attendre et arrive avec le décret du cinq septembre de la même année. En outre, au même moment de la création de l’office du Niger, au début de 1932, un contingent de presque 400 Mossi est déjà prêt à quitter le Yatenga pour être engagé pendant six mois à la construction des canaux et des infrastructures hydrauliques de l’office. Cependant, ces départs ne sont pas extraordinaires puisque aussi le STIN avait recruté dans le passé des Voltaïques avec des contrats de courte durée qui étaient acceptés par les intéressés. Ultérieurement, chaque année le Yatenga a fourni aux travaux des chantiers de l’Office entre 300 et 600 manœuvres pendant six ou douze mois, d’habitude dans le cadre des prestations obligatoires.
Ainsi le décret du cinq septembre concernant l’abolition de la colonie de la Haute -Volta n’a pas tardé et le partage effectif du territoire Voltaïque antre ses pays voisins intervient le 1er janvier 1933, à peine l’année suivant la création de l’office du Niger. Ce sont des circonstances significatives des préparatifs que très tôt Bélime et ses amis ont déployé afin de mettre la main sur le réservoir de main-d’œuvre du Yatenga.
Evidemment, dans cette décision de démembrement sont aussi intervenus les intérêts de la cote d’ivoire .C’est elle qui reçoit le plus gros morceau du territoire voltaïque, avec Bobo-Dioulasso et Ouagadougou, points forts du trafic du chemin de fer d’Abidjan, et en plus aussi Dédougou et Kaya, villes réclamées en 1929, comme nous l’avons vu par le Soudan et l’office par Bélime. De même, il n’a pas obtenu satisfaction dans sa revendication des cercles de Dori et Fada N’gourma passés pourtant au territoire du Niger.
L’emprise du Yatenga
En 1935, la visite, "royale", dans tous les sens, du Yatenga Naba Tigré, chef des Mossi septentrionaux, au siège de l’office du Niger à Ségou et à l’emplacement du futur centre de Kokry-Kolongotomo, dans le Macina, scelle le partage de la colonie et permet de passer un accord de collaboration concernant la fourniture de colons mossi à l’office, c’est-à-dire, en des termes autorisés, " il (le Yatenga Naba) donna son concours actif à la propagande auprès de ses ressortissants ".
Vu la préférence des Mossi d’aller travailler librement à l’étranger pour une durée limité et non imposée à l’avance, cette collaboration signifiait l’implication directe du pouvoir traditionnel dans la désignation des "volontaires partiels", destinés à être expatriés pour un temps indéterminé dans les centres aménagés. Pour échapper à cette réquisition, plusieurs villages de Kaya. Togan et Yako ont été désertés par leurs habitants en fuite vers la Côte d’Ivoire. Des cas de suicide de Mossi ont relevés à l’approche de l’arrivée des recruteurs. " La menace d’envoi en colonisation, perçue comme une véritable punition par les paysans, devenait une arme privilégiée aux mains des chefs se canton ".
L’objectif, essentiel à l’existence de l’office, consistait à les fixer comme colons sur les terres de l’Office.
Ainsi, au début de 1937, grâce au soutien de l’administration, pour la première fois le Naba Tigré du Yatenga et ses dignitaires ont envoyé d’office des Mossi, au nombre de 129 personnes, dans le périmètre irrigué de Kokry-Kolongotomo. Ils étaient essentiellement des éléments indésirables et inutilisables (malades et sommeilleux) dont on désirait se défaire ; le prétexte proclamé à justification de l’envoi forcé portait sur l’amélioration de leur situation. Le village d’accueil portait le nom évocateur de " Ouahigouya " et les dignitaires mossis y nommèrent un représentant du Naba, le Widkin Naba, chargé de veiller sur ses compatriotes.
Les administrateurs de l’Office et du Soudan ont organisé en 1938 une deuxième visite de la cour du Naba, accompagnée maintenant du commandant du poste d’Ouahigouya, Mr Donsse, en tant que responsable de la ponction de la main-d’œuvre chez ses administrés. Dans leur péroraison ils expliquaient qu’ils cherchaient à enraciner des familles voltaïques ou des villages entiers dans l’intention de créer un "second Yatenga" sur la terre du delta central nigérien. Un nouveau pays si riche qu’il aurait mis ses habitants à l’abri des famines qui nuirent tellement au "premier Yatenga".
D’autres rencontres du Naba avec les communautés voltaïques installées dans l’office ont eu lieu en 1970, 1942, 1947 et par le nouveau Naba en 1955. Elles ont servi à empêcher le départ des colons déçus, une fois rassurés par le maintien des attaches avec le pays d’origine. C’est seulement à la suite de sa visite de 1942 que les colons voltaïques de l’Office ont été régulièrement autorisés à fréquenter leurs villages d’origine, ce qui a provoqué la reprise des échanges traditionnels et l’appréciation des bienfaits de l’Office.
Les colons mossi de l’Office ont contribué au financement des campagnes de recrutement à cause de l’acquittement de l’imposition d’un gongo, c’est-à-dire 12 kg, de mil par chef de famille à l’occasion des tournées de propagande du Naba.
Yénouyaba Georges Madiéga et Oumarou Nao, Burkina Faso, Cent ans d’histoire, 1896-1995, Tome, page 1369-1373.