Elles m’ont bien eu Madame Toégui et son groupe de priantes. Une plaisanterie de mauvais goût et me voilà avec le genou déboité. Le jour de l’élection du nouveau pape, elles avaient rempli mon salon. J’avais donc du monde comme à la finale de la CAN. Mi-anxieuses, mi-sereines, les bonnes dames bavardaient l’œil fixé sur la télé où on apercevait Place Saint Pierre de Rome plus de 100 000 croyants attendant de connaître le nom du nouveau souverain pontife. Il y a de cela deux heures en effet que la fumée blanche avait annoncé au monde que l’élection était faite. Il ne restait plus que l’identité du nouveau chef de l’Eglise catholique. Nous étions donc dans l’attente. Ce n’était pas une attente oppressante, non. Plutôt une douce attente avec néanmoins un zeste de suspense.
Le suspense devenait même tenace avec le temps qui s’écoulait et on avait tous les yeux rivés sur le balcon pontifical. Place Saint Pierre, les 100 000 fidèles ne se lassaient pas de pousser des cris de joie avec chacun un parapluie au-dessus de la tête. A un moment donné, je me rendis dehors pour faire pipi. Pendant que je balançais de longs jets d’urine, des clameurs me parvinrent du salon. J’entendis bien clairement :
- C’est un pape noir Toégui c’est un pape noir… c’est un pape noir Toégui.
Je ne sais plus si j’avais pris soin de mettre le bon bouton à la bonne place, mais je rengainai Bakary en toute hâte et en deux temps trois mouvements, j’opérai un sprint pour regagner le salon. Dans la précipitation, je perdis l’équilibre et tombai par terre. Mon genou heurta violemment le sol. Je me relevai et me dirigeai au salon en boitant. Contrairement à ce que j’espérais, le balcon pontifical était toujours vide. Ni pape noir ni pape blanc. Et les 100 000 fidèles étaient toujours là, Place Saint Pierre. Les dames du salon avaient l’air de sourire malicieusement. Je demandai :
- Où il est le pape noir ?
- Non Toégui, asseois-toi. Y a pas encore de pape. Nous avions cru voir un pape noir mais ce n’était qu’un effet d’illusion, c’était une simple silhouette.
Je ne voulais pas me mettre en colère le jour de l’élection d’un pape et me tus donc. En réalité je n’avais plus envie de parler. J’étais plus préoccupé par mon genou que par l’élection du pape. J’avais très mal. Et puis je voyais bien à la télé que rien n’était joué. Les 100 000 fidèles étaient toujours là, Place Saint Pierre et ne devaient pas avoir mal au genou comme moi. D’autre part, j’étais convaincu que si on avait élu un pape noir, la foule se serait dispensée en moins d’une minute. Sûrement même que certains seraient en train de verser des larmes. Un pape noir ! Pensez donc !
Soudain, je pensai à Narcisse, Narcisse le coupeur de jus. Il a repris du service. Je n’ai pas vu son programme de délestage mais je sais que si les cardinaux ne se dépêchent pas, Narcisse va me couper le jus avant qu’on annonce le nom du nouveau pape. Il est comme ça Narcisse, c’est toujours au plus fort du suspense qu’il me coupe le jus.
Nous avons dû attendre au moins une heure encore avant d’entendre le fameux Habemus Pam. Un pape Argentin. Voilà qui met tout le monde d’accord.
Passation de charges à Rome, passation de charges à Simonville.
Oui, j’ai bien dit Simonville. Simonville for ever !
C’est dans un taxi que j’ai appris que Simon Tebguéré avait cédé son fauteuil à Casimir Marin Ilboudo. Comme beaucoup de concitoyens de la capitale, j’avais espéré qu’on finirait peut être par prendre la décision d’offrir 10 autres années de bonus à notre maire bien aimé. C’était une solution possible voyons. Where there is the will, thère is the way.
Tout d’un coup, mon taxi faillit écrabouiller un Brûleur de feu rouge qui en moto Ching Ching avait débouché de la gauche sans crier gare. Pendant qu’il était à terre, le chauffeur de taxi descendit et, fou de colère, il lui rappela à haute voix en Mochichi l’arbre généalogique de son père de même que les écarts de conduite que sa mère avait fait pour le mettre au monde. Il termina par lui donner ce conseil :
- Ecoute, si le jour de ta mort est arrivé, vas donc te pendre au lieu de chercher à créer des problèmes aux gens.
Il reprit sa place dans le taxi en continuant de vociférer.
- Karissa ! Nous sommes foutus. Maintenant que Simon est parti sans venir à bout des Brûleurs de feu rouge, personne d’autre ne pourra rien contre eux. Karissa !
Je sursautai :
- Simon est parti ?
- Oui, c’est ce qu’on dit.
- Simon est parti ? Comment est-ce possible !? Et qui a pris sa place ?
- Je ne sais pas mon cher frère. Mais je sais que ça va arriver à notre argent, c’est moi qui vous le dis. Karissa ! Dans quel pays sommes-nous ? Moi, j’ai fait la Côte d’Ivoire, j’ai fait le Mali… J’ai fait la Guinée… J’ai fait le Ghana… J’ai fait jusqu’au Congo Brazzaville. Mais nulle part je n’ai vu des gens comme les gens de Ouagadougou. Ce qu’on leur dit de ne pas faire là, c’est ça ils vont faire. Karissa !
- Mais peut être que le nouveau maire va tout arranger en mieux...
- Mon frère, si Simon n’a pas pu, personne d’autre ne pourra.
C’est ainsi que j’ai appris le départ de Simon Compaoré puis l’élection de Marin Casimir Ilboudo. Comme le chauffeur de taxi, la majorité des habitants de Ouagadougou, ont un préjugé défavorable à l’endroit de Marin Casimir Ilboudo. Tout le monde, ou presque tout le monde a l’opinion préconçue selon laquelle Marin Casimir ou n’importe quelle autre personne ne pourra faire face aux nombreux problèmes de la capitale comme Simon. Marin Casimir le sait, il a un grand défi à relever.
En ce qui concerne les méthodes à utiliser, le nouvel édile a dit avec sagesse : "Lui c’est lui, moi c’est moi...". D’accord, mais en tant que nouveau maire il a tout de même l’obligation de faire mieux que son prédécesseur. En d’autres termes, il ne doit pas être le successeur de Simon Compaoré, il doit être son remplaçant. Certains estiment en effet qu’il y a une différence entre être le successeur de quelqu’un et être le remplaçant de quelqu’un. Ils disent que le successeur ne fait que combler un vide et que, contrairement au remplaçant il n’a pas d’obligation de réussite.
Ainsi dit, Assimi Kouanda est-il le successeur de Roch Marc Christian Kaboré ou son remplaçant ? Je n’en sais rien. Soungalo Ouattara est-il le remplaçant de Roch ou son successeur ? Je n’en sais rien. Zéphirin Diabré est-il le remplaçant de Sankara Bénéwendé ou son successeur au poste de chef de file de l’opposition ? Je n’en sais rien du tout.
Et Tahirou Barry ? Est-il un des successeurs ou un des remplaçants de Laurent Bado au poste de président du PAREN ? Là, je sais une chose, Tahirou Barry n’est pas n’importe qui. J’ai suivi une fois une émission où il était l’invité vedette de la radio Ouaga FM. Je peux vous dire que ce garçon a de la suite dans les idées et qu’il a une tête bien faite et bien pleine. Quand il ne sait pas quelle réponse donner à une question, il n’y répond pas. Lorsque le journaliste lui a demandé ce qu’il pensait de l’absence de l’ADF-RDA dans le dernier gouvernement Tiao et ce qu’il pensait des relations entre l’ADF/RDA et Blaise Compaoré, le président Tahirou Barry a donné la réponse suivante : "Entre l’ADF/RDA et Blaise Compaoré, Dieu seul sait..."
En ce qui concerne le nouveau maire Marin Casimir Ilboudo, je vois bien ce qu’il devrait faire pour gagner l’estime des habitants de la capitale au plus vite : il faut qu’il reprenne les chantiers inachevés ou ceux abandonnés par son illustre prédécesseur. En premier lieu il doit veiller à réduire à néant les Brûleurs de feu rouge. Pour ce faire, il devrait créer au sein de la Brigade Verte, une section spéciale chargée de faire respecter les feux rouges. Les femmes de cette brigade seraient dotées de fouets fabriqués à l’aide de Bakary de bœuf. Ça fait très mal et je sais de quoi je parle. Ces femmes se posteront aux différents carrefours, à environ 20 mètres en amont des feux tricolores. Un motocycliste débouche-t-il sans marquer l’arrêt au feu rouge, ....frippp ! Un coup de fouet dans le dos.
Le nouveau maire devra aussi revenir sur le port obligatoire du casque. La loi existe et la loi c’est la loi. Casque pour tous !
A l’intention toujours du nouveau maire, une dernière recommandation mais non des moindres.
Depuis plus de 10 ans, la star de la chanson Sana Bob suggère en vain à la municipalité, l’installation de toilettes publiques susceptibles de générer des ressources pour la commune mais surtout de soulager les habitants de la ville de leurs besoins naturels. "Pisser 25 francs, chier 50 francs" (sic). Comme c’est génial. Le nouveau maire devrait donc veiller à mettre en application le conseil du chanteur rasta. J’ai été victime une fois de l’absence de toilettes publiques à Simonville. J’avais piqué un besoin pressant alors que je me trouvais à la Place de la Nation un jour de super djandjoba.
Ce que j’ai trouvé comme solution pour remédier à la situation, je n’ose pas vous le dire.