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Amétropies dans les écoles du Tuy : la cécité qui plombe l’éducation
Publié le mardi 9 juin 2015  |  Sidwaya
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© Autre presse
Education : Des élèves en classe à l`éole primaire de Kounéni (Burkina)




L’amétropie ou la baisse de l’acuité visuelle est un mal pernicieux qui affecte de nombreux enfants et élèves au Burkina Faso. Dans la province du Tuy, située dans la région des Hauts-Bassins, près de 400 élèves des écoles primaires en sont victimes. Frappés de déficit visuel, ces élèves courent le risque de voir leur cursus scolaire s’écourter. Pourtant, ce mal est évitable !

Ruth Kaboré est élève en classe de CM1 à l’école «C», de la Circonscription d’éducation de base (CEB) de Houndé 2. Agée de 11 ans, elle est condamnée à porter des verres correcteurs toute sa vie. Elle s’en débarrasse uniquement lorsqu’elle prend sa douche ou quand elle va au lit. Au service d’ophtalmologie du Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Houndé, où nous l’avons rencontrée, Ruth portait des verres de fortune. La lentille droite est brisée. Accompagnée de sa mère, Abibata Kaboré, et de sa petite sœur, Ruth est venue changer le côté défectueux de ses «yeux» qu’elle porte depuis 3 ans. Elle souffre d’une myopie avancée depuis son enfance. La réparation de ses «yeux» peut prendre plusieurs jours. Ce qui l’oblige à abandonner momentanément les classes. «C’est en classe de CP2, en 2011 que nous avons su que Ruth souffrait. Mais bien avant cela, nous n’arrivions pas à lire son cahier. Quand elle revenait des cours, son écriture était illisible, alors qu’à la maison elle écrivait mieux lorsque son père l’encadrait. Elle s’efforçait à chaque fois pour être très près du tableau pour voir», raconte sa mère Bibata Kaboré. C’est pourquoi, sa génitrice préfère attendre la fin des compositions avant de l’amener à l’hôpital. Comme Ruth Kaboré, ils sont nombreux ces élèves, de la province du Tuy qui souffrent de l’amétropie. Et les statistiques parlent d’elles-mêmes. De 2013 à 2014, 388 cas d’amétropie sur 21 671 élèves examinés, ont été décelés dans les 116 écoles primaires de la province.
A la CEB de Houndé I, 151 amétropes ont été enregistrés sur 4853 élèves examinés. Tandis qu’à Houndé II, ils sont 47 sur 3492. Dans la CEB de la commune rurale de Béréba, l’on a enregistré 36 cas sur 2415 élèves dépistés, 38 sur 2661 à Founzan contre 44 sur 3 400 à Koumbia. A Boni, ce sont 33 cas sur 1484 visités. Dans la CEB de Bekuy, 21 cas détectés sur 1314 et Koti, ils sont 18 amétropes sur 2132. A la date du 14 janvier 2014, les enquêtes annuelles de l’enseignement primaire ont permis d’identifier sept élèves dont quatre garçons, souffrant d’anomalies visuelles. Il s’agit d’une première enquête, précise le directeur de l’école « D » de Houndé, Kandegma Kaboré, dans laquelle il ajoute la situation de handicap des élèves. Au cours de la première campagne de dépistage d’amétropie et de prévention des amétropies en milieu scolaire organisée en 2008 par le service ophtalmologique du CMA de Houndé, la situation des enfants amétropes n’était pas reluisante. 17320 élèves ont été examinés. 286 amétropes, dont 66 myopes et 50 hypermétropes ont été découverts. La CEB de Houndé I comptait 102 amétropes, sur 3358 élèves examinés et 43 amétropes sur 3295 élèves dépistés à Houndé II.

Et Balguissa Guelbéogo fait partie de ces cas. Agée de à 12 ans elle habite le secteur n°3 de Houndé avec ses parents. En cette année scolaire 2014-2015, elle est en classe de CE1 à l’école «A». Pourtant, ses promotionnaires du CP1 sont en 6e pour certains. Selon sa maîtresse, Marceline Sanou, si rien n’est fait, elle risque de s’éterniser dans cette classe jusqu’à ce qu’elle soit remise à ses parents, lorsqu’elle aura ses 16 ans, l’âge limite pour le primaire. Selon le chef de service ophtalmologie de Houndé, Abdoulaye Ouédraogo, Balguissa souffre d’une maculopathie, une dégénérescence de la macula. «La macula est le centre de vision et de précision de l’œil. C’est la partie qui répond 9/10 à l’acuité visuelle et la rétine 1/10», explique M. Ouédraogo. Il précise que le cas de Balguissa est une cécité irréversible. La seule solution pour cette élève, à écouter l’attaché de santé, reste son inscription à l’école des jeunes aveugles de l’Association burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants (ABPAM). «Elle perd son temps dans cette école, alors qu’elle pourrait exceller dans un établissement spécialisé», déplore M. Ouédraogo. Une vérité dure à accepter des parents, puisqu’ils tiennent à ce qu’elle poursuive ses études dans une école classique. Sakinatou Zoromé, elle, fréquente l’école Moukounia, dans la commune rurale de Boni. Elève en classe de CE1, elle a 9 ans. Elle est myope. Du fait de son handicap, elle occupe la première table. L’air fatiguée, elle dit ne pas voir les écritures lorsqu’elle est loin du tableau. Elle confie que pour écrire dans son cahier ou apprendre ses leçons, il faut qu’elle ouvre grandement les yeux. «Quand je m’efforce pour regarder, j’ai mal aux yeux», avoue-t-elle tristement. Bénéficiaire de verres correcteurs dans le cadre du projet, elle s’en est débarrassée totalement. «Quand je les porte, mes camarades se moquent de moi. La première fois, ils en ont ri jusqu’à ce que j’ai pleuré», explique-t-elle.

Forte prévalence dans le Tuy

Pour l’attaché de santé au service ophtalmologie de Houndé, Biétoa Drabo, la récurrence de cette pathologie dans cette partie du Burkina peut s’expliquer par l’absence d’intervention dans la région. «Il n’y a pas assez de campagnes d’intervention, comme dans le Plateau central, le Nord où les ONG sont beaucoup plus concentrées. Par exemple, dans la région du Centre-Nord, où j’étais en poste, il y a en moyenne 6 campagnes de dépistage et d’intervention chirurgicale par an. Certaines ONG vont jusque dans les départements», fait remarquer M. Drabo. Depuis son arrivée à Houndé en 2013, il confie avoir assisté à une seule campagne. Même argumentaire chez son collègue Abdoulaye Ouédraogo. «S’il y avait suffisamment d’interventions, cela allait réduire les cas. Plus le temps passe, plus on enregistre des cas», ajoute-t-il. Pour Dr Aimé Ouédraogo, ophtalmologue au CHU-YO, on ne peut pas incriminer une cause quelconque aux amétropies, car elles ne sont pas liées aux facteurs climatiques, alimentaires ou hydrauliques. «Les amétropies sont des défauts optiques. Ce n’est pas un problème d’infection, ni un problème parasitaire », soutient-il.
Plusieurs parents ignorent que leurs enfants souffrent d’anomalies visuelles. «Pour nous, Ruth ne voulait pas s’appliquer. Personnellement, je croyais qu’elle s’amusait jusqu’à ce que sa maîtresse attire notre attention», raconte sa mère. C’est à partir de ce moment, qu’elle décide de la suivre particulièrement en classe. Ce qui lui a permis de découvrir que Ruth ne voyait pas bien à une distance éloignée. «C’est la maîtresse qui nous a sauvés», reconnaît Mme Kaboré. «On fonde l’espoir qu’avec le temps, elle recouvre la vue. Son cas est grave. Sans les verres, elle ne peut plus bien voir», dit Mme Kaboré, la voix éraillée par l’émotion. Rainatou Barry est élève en classe de CE2, à l’école primaire de Founzan-Bwaba. Sa génitrice Aïssata Barry, n’a jamais considéré les propos de sa fille, lorsqu’elle se plaignait de maux d’yeux. «Elle nous a toujours dit qu’elle avait mal aux yeux et qu’elle avait des picotements et des brûlures. Nous la voyons frotter ses yeux tous les jours jusqu’à ce qu’ils rougissent», relate-t-elle. Un comportement qu’elle a pris à la légère : «J’ai été simplement négligente. Ce n’était même pas une question de moyens financiers», se culpabilise Mme Barry, la tête baissée. Négligence ou ignorance ? «Dès sa naissance, Balguissa avait les yeux tout blancs et le regard orienté vers le haut. Je liais cet état au fait qu’elle est venue au monde en période de pleine lune», explique Rasmané Guelbéogo, le père de Balguissa. Pour lui, le mal dont souffre sa fille, est contracté par tous ceux qui naissent à cette période appelée en langue mooré «Ki panré » ou «Kipéré», qui signifie clair de lune. Et des cas pareils, selon lui, se soignent de façon traditionnelle, avec des graines de datte brûlées, associées à de l’antimoine une autre substance appelée «kirou» en mooré qui sert à maquiller les yeux. Ce traitement administré à Balguissa n’a rien changé à sa situation. Ce n’est qu’après son inscription à l’école que ses parents l’ont emmenée en consultation au CMA de Houndé. «C’est en classe de CE1 que ses problèmes de vue ont empiré et les infirmiers nous ont informés qu’elle souffrait d’une cécité irréversible », précise M. Guelbéogo. Tous les malades d’amétropie éprouvent d’énormes difficultés dans leurs classes respectives, particulièrement lors des séances d’écriture et de lecture. Toute chose qui influe négativement sur leurs rendements scolaires.

"Ils recopient les leçons avec des erreurs"

«Comme, ils ne voient pas bien, ils recopient les leçons avec des erreurs et les restituent lors des évaluations. Alors, qu’actuellement nous sommes dans un contexte de compétition où on a besoin des meilleurs», constate avec regret le chef de service ophtalmologie au CMA de Houndé, Abdoulaye Ouédraogo. Sa collègue Thérèse Nanema d’ajouter : «un élève qui ne voit pas bien en classe aura à coup sûr de mauvais résultats. Il se trouve dans une situation où il est défavorisé par rapport à ses camarades». Ainsi, sur les 388 amétropes détectés, en 2013-2014, 165 élèves ont déjà repris leurs classes une ou plusieurs fois au cours du cycle. Soit, 63 pour Houndé I, 22 pour Houndé II, 16 à Béréba, 13 à Founzan, 23 à Koumbia, 17 à Boni, 21 à Békuy et 5 à Koti.
Pour la campagne de dépistage de 2008-2009, ils étaient à 137 redoublants sur les 286 cas.
Convaincu que ces déficits visuels peuvent être évités à travers un dépistage précoce et une prise en charge adéquate par le port de verres correcteurs, le service ophtalmologique de Houndé a initié un projet dans ce sens, en 2008. Cette initiative est soutenue par une ONG espagnole, Médicus Mundi Castila La Mancha et la fondation française, Occitane. «Nous pensons contribuer à la réduction des échecs scolaires souvent imputables aux déficits visuels», explique l’initiateur du projet, Abdoulaye Ouédraogo. Ce projet prévoyait octroyer 120 verres correcteurs aux élèves concernés. Mais, seulement 46 ont été livrés à cause d’une panne de l’appareil de montage. Pour le directeur logistique des projets de Médicus Mundi, Boubakar Maïga, l’ONG intervient dans la province depuis 1994, à travers des campagnes annuelles de chirurgie de la cataracte. Et la chasse aux amétropies, l’une des cécités évitables, s’inscrit dans ses domaines d’intervention, d’où son implication dans la campagne de dépistage menée par l’équipe medicale de Houndé.

Les enseignants, un maillon incontournable

«A l’issue de la visite médicale, nous avons reçu comme consignes d’alerter les parents afin qu’ils envoient les enfants au CMA pour une prise en charge», explique le directeur de cette école, Lacina Seré. Bien que n’étant pas spécialistes de la santé, les enseignants ont détecté des élèves souffrant de ce mal, bien avant le passage de l’équipe médicale. «Quand certains élèves vous regardent, vous avez l’impression que leurs regards sont orientés vers autre chose», mentionne M. Séré. «Quand nous détectons des cas nous les portons à la connaissance des parents. Sinon, aucun parent n’avoue que son enfant a un tel type d’anomalie», a déploré le premier responsable de l’établissement.
Les enseignants saluent cette démarche du CMA de combattre le mal à la racine. Toutefois, ils estiment qu’il faut une synergie d’action, entre agents de santé et les éducateurs contre ce mal. En dehors des traumatismes graves de l’œil, les autres amétropies sont évitables par le simple port de verres. Mais, il faut qu’elles soient dépistées à temps. C’est pourquoi, il est souhaitable que les parents s’y mettent, car la plupart des cas sont liés aux consultations tardives. Fort de ce constat, le major du CSPS de Boni, Cheik Sissoko, invite les parents à faire consulter leurs enfants dès qu’ils constatent une anomalie. «En consultant très tôt, cela permet une prise en charge rapide, efficace et à moindre coût», insiste-t-il.



Mariam OUEDRAOGO
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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