Hier, 3 juin 2015, à l’occasion de sa visite officielle en France, le président de la transition, Michel Kafando, a accordé une interview à RFI. Au cours de cet entretien que nous vous proposons, le président du Faso est revenu sur la question du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), le nouveau Code électoral et l’exhumation des restes de l’ex-président Thomas Sankara.
RFI : En février dernier, vous avez mis sur pied une commission chargée de réfléchir sur le rôle futur du RSP, l’ancienne garde présidentielle de Blaise Compaoré. Cette commission a rendu ses conclusions en mi-avril. Quelles sont les recommandations formulées par les auteurs de ce rapport ?
Michel Kafando : Vous avez raison, j’ai reçu le rapport mais permettez-moi de ne pas trop en parler, parce que jusqu’à présent, je n’en ai pas communiqué la teneur aux Burkinabè.
Pour quelles raisons ces conclusions sont encore tenues secrètes ?
Ces conclusions ne sont pas tenues secrètes. Le rapport doit être aussi examiné au niveau gouvernemental. Nous avons eu un programme tellement chargé que je me suis donné un certain temps parce qu’il s’agit quand même d’un rapport extrêmement important.
Pourquoi avoir confié la tête de cette commission au général Gilbert Diendéré ? Est-ce qu’en tant que ex-n°1 du RSP et chef d’état-major particulier de l’ancien président, il n’est pas à la fois juge et partie ?
C’est une question interne à l’armée. Et j’ai confié la mission au chef d’état-major général. Probablement, c’est à la suite des consultations entre eux que la tâche a été confiée au général Diendéré. Je sais qu’il est juge et partie comme vous le dites, mais c’est une question qui relève de l’armée.
A titre personnel, vous ne craignez pas que cela décrédibilise un peu les recommandations qui vont sortir ?
On ne peut pas dire à l’avance ce qui va se passer. Mais je me dis que, fondamentalement, la nature de la mission confiée au RSP va changer et probablement la dénomination. A partir de là, peut-être que les gens pourront comprendre qu’il s’agit tout de même d’une question fondamentale. Il faut qu’on accorde nos violons pour que les conclusions soient acceptées par tous. Je dois le dire très franchement, la question de la dissolution intégrale pourrait ne pas être la bonne solution.
Pour quelles raisons ?
On a mis beaucoup d’argent pour former ce corps d’élite qui participe aussi à la formation des militaires. Il y a donc tout un ensemble de considérations qu’il faut quand même prendre en compte.
Est-ce qu’aujourd’hui, pour ce dossier, vous subissez à nouveau des pressions ?
Non, je crois qu’il n’y a plus de pressions parce que j’ai été assez clair avec les officiers de l’armée. Donc, depuis, nous n’avons plus vu véritablement des mouvements du côté de ce régiment-là.
Le nouveau Code électoral qui exclut des élections les personnes qui ont soutenu le projet de modification constitutionnelle a essuyé quelques critiques. Que répondez-vous à ceux qui estiment que ce Code est contraire à l’esprit de la transition parce qu’il est non inclusif ?
On ne peut pas tolérer que ceux qui ont été vaincus par une insurrection et par une révolution, qui ont été la cause de ces changements violents, de la mort de plusieurs jeunes, puissent allègrement revenir à la faveur d’élections. Nous avons même été tolérants, parce que nous l’avions dit ; ces personnes, on ne peut pas les admettre. Mais, c’est juste le temps de la transition et ils pourront revenir dans cinq ans. Même le CDP, qui est l’ancien parti du président déchu, qui s’exprime toujours en toute liberté, va même participer aux compétitions électorales. Mais à ceux qui ont été la cause de l’insurrection, qui se sont obstinés, le peuple dit qu’il n’est pas question qu’ils veuillent prétendre revenir à la surface aussi tôt et aussi allègrement.
Pourquoi ne pas laisser la sanction venir par les urnes ?
A partir du moment où l’insurrection a imposé un amendement au code électoral qui exclut ces personnes, on ne peut pas ! C’est une sanction et il faut qu’ils l’acceptent. Je peux citer des cas historiques où des régimes sont tombés et on ne les a plus revus, surtout pas aux élections !
Concrètement, qui va décider de qui a soutenu ou non le projet de réforme constitutionnelle ?
Ce sera de la compétence du Conseil constitutionnel. Dans tous les cas, au Burkina, tout le monde se connaît. On a vu des gens dans des conférences, péremptoirement déclarer que de toutes les façons, qu’on le veuille ou pas, ce texte passera devant l’Assemblée. Donc, il y a beaucoup de choses qu’on connaît. Le Conseil constitutionnel, dans sa sagesse, examinera chaque dossier et dira quels sont ceux qui sont éligibles et ceux dont on ne pourra pas accepter la candidature. Ce n’est pas systématique.
Et si on prend par exemple des gens qui étaient à l’origine de cette volonté de réforme constitutionnelle, comme Roch Marc Christian Kaboré qui a ensuite quitté le parti, est-ce qu’ils vont être frappés par cette disposition ?
Monsieur Roch Marc Christian Kaboré était membre du CDP. Il en était même le président. Et à partir du moment où quelque huit mois avant, il ait changé de camp en reconnaissant qu’il avait commis une erreur, vous ne pouvez pas le poursuivre au même titre que ceux qui sont restés dans leur entêtement !
Récemment, au cours d’une cérémonie d’hommage aux victimes de l’insurrection, vous avez promis que justice leur serait rendue. Que voulez-vous dire aux familles qui se demandent pourquoi les enquêtes n’ont pas débuté ?
Nous sommes en train de faire des investigations et en la matière, ce n’est pas facile ! Ce ne sont pas des gens qu’on a vu directement tirer sur les jeunes ! C’est une situation confuse. Mais, si au bout des investigations, nous arrivons à identifier tous ceux qui ont fait usage de leurs armes pour tirer sur des jeunes, ces personnes devront répondre de leurs actes. Vous avez vu que le dossier Thomas Sankara a pris trente-deux ans. C’est vous dire qu’en la matière, ce n’est jamais facile de trouver une solution immédiate.
A propos de Thomas Sankara, en novembre dernier, votre Premier ministre avait estimé que Blaise Compaoré était au minimum une pièce importante dans ce dossier. Est-ce que c’est votre ligne également, monsieur le président ?
Je ne peux rien vous dire là-dessus ! Ce que je sais, c’est qu’on a exhumé un corps de la tombe du président Thomas Sankara. Le gouvernement a fait un effort pour que cette question soit résolue. Nous sommes en train d’attendre les expertises. Maintenant, qui est coupable et qui ne l’est pas ? Franchement, ce n’est pas à nous de le déterminer.
Interview réalisée par RFI