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Sidwaya N° 7374 du 13/3/2013

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Cheick Boubacar Doukouré, guide spirituel, président du Conseil exécutif de ISESCO : « Prétendre travailler au nom de l’islam et tuer les autres est un paradoxe effarant »
Publié le jeudi 14 mars 2013   |  Sidwaya




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Depuis le 23 novembre 2012, le Burkinabè Cheick Boubacar Doukouré a été élu, pour la troisième fois consécutive, président du Conseil exécutif de l’Organisation islamique pour l’éducation, la culture, la science et la communication (ISESCO). Guide spirituel, promoteur de centres de formation et de station de radio, c’est une personnalité religieuse de premier ordre qui dresse ici le bilan de ses deux mandats écoulés à la tête de cette institution basée à Rabat au Maroc. Dr Doukouré se prononce également sur les dérives et l’intolérance constatées çà et là dans le monde.

Sidwaya (S.) : A quel souci répond la création de l’ISESCO alors que tous les pays musulmans sont d’office membres de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture ?

Cheick Boubacar Doukouré (C.B.D.) : L’ISESCO signifie en anglais « Islamic science, education and culture organisation » c’est-à-dire l’Organisation islamique pour l’éducation, la science et la culture. Elle résulte d’une recommandation de la neuvième conférence des ministres des Affaires étrangères de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) qui s’est tenue du 24 au 28 avril 1978 à Dakar au Sénégal. La conférence constitutive la créant s’est déroulée du 3 au 5 mai à Fès au Maroc. C’est à cette occasion que la charte de l’ISESCO a été adoptée. Sa mission première est d’assurer la coordination entre les universités et les institutions scientifiques d’éducation islamique ainsi que la supervision de la politique d’enseignement islamique.
L’ISESCO a son siège à Rabat au Maroc. Elle accomplit les mêmes missions que l’UNESCO. Sauf qu’elle se compose essentiellement de tous les pays membres de l’OCI. L’ISESCO met l’accent sur la spécificité du caractère islamique dans l’éducation, la culture, les sciences et la communication. Elle se compose de la conférence générale, du conseil exécutif dont je suis l’actuel président et de la direction générale.

S. : Pour la troisième fois consécutive, vous êtes porté à la tête du Conseil exécutif. Comment avez-vous accueilli l’expression renouvelée de cette marque de confiance intervenue le 23 novembre 2012 ?

C.B.D. : Cela a été une belle surprise. Je suis membre de cette instance depuis vingt (20) ans. C’est en 2006 que j’ai été élu pour la première fois comme président du Conseil exécutif. J’ai été reconduit en 2009. En décembre 2012, mon mandat parvenait à sa fin et je songeais déjà à rendre le tablier en me disant qu’après avoir atteint le sommet d’une telle organisation, il n’était pas décent de redevenir un membre ordinaire. J’estime qu’il y a beaucoup de jeunes compétents dans le pays qui pourraient bien me remplacer au sein du Conseil exécutif de l’ISESCO. A ma grande surprise, j’ai encore mérité la confiance des pays membres. Depuis la création de cette organisation, je suis le deuxième Africain noir à accéder au poste de président du Conseil exécutif après le Guinéen Lamine Camara.
Quand la proposition m’a été soumise, je l’ai acceptée en me convainquant que c’est mon pays, le Burkina Faso, qui est honoré à travers le choix de ma modeste personne. D’ailleurs, lors de l’annonce de la composition du bureau, c’est le drapeau burkinabè qui a flotté à la tribune. Au-delà de moi, cela traduit une marque de confiance au pays et au continent. Lorsqu’on œuvre dans un organisme international comptant plus de cinquante (50) Etats membres, un choix sur sa personne promue à la tête d’une instance aussi importante que le Conseil exécutif est une source de fierté. Au regard du capital de sympathie dont je bénéficie au sein du secrétariat exécutif, je ne peux qu’être content.

S. : Quelles sont les missions assignées au Conseil exécutif dans le cadre du rayonnement de l’ISESCO ?

C.B.D. : Le Conseil exécutif joue le rôle de conseil d’administration de l’Organisation. Il est composé d’un représentant de chaque Etat membre. Il tient une session ordinaire chaque année. Mais en cas de besoin, des sessions extraordinaires peuvent être convoquées. C’est pendant cette séance que le directeur général soumet pour examen les programmes, le budget, le plan d’action. C’est le conseil exécutif qui donne quitus au directeur général, qui a un pouvoir d’exécution pour la mise en œuvre des activités de l’ISESCO prévues au cours de l’année.

S : Comment le Burkina Faso bénéficie-t-il du soutien de l’ISESCO ?

C.B.D. : En tant que membre actif de cette organisation, deux possibilités s’offrent à notre pays. Premièrement, le Burkina Faso peut faire la demande de toute sollicitation entrant dans le cadre de la Charte de l’ISESCO. Deuxièmement, cette organisation peut prendre l’initiative d’intervenir dans tel ou tel secteur, en rapport avec les domaines d’intervention de l’ISESCO. Les interventions de l’ISESCO sont menées selon trois groupes géographiques : Asie, Afrique, Arabe. C’est dans ces espaces que s’organisent ses appuis. Un voyage du directeur général au Burkina Faso est en vue pour le mois d’avril. Lors de son séjour, il va explorer les voies et moyens pour conduire des actions en faveur de notre pays. Celles-ci s’inscriront dans les domaines de prédilection traditionnels de l’Organisation que sont l’éducation, les sciences, la culture et la communication.

S. : Que peut-on retenir de vos deux précédents mandats à la tête du Conseil exécutif ?

C.B.D. : Nous avons réussi à instaurer un bon climat de travail entre les membres de cette instance. Chacun représente un pays souverain avec parfois des avis contradictoires susceptibles de créer des tensions. Ce sont des réalités que nous avons connues de par le passé. Aujourd’hui, elles sont en passe d’être surmontées. Nous avons, à chaque fois que de besoin, pu mener les débats constructifs et aboutir à des décisions sans que des situations de divergences ne prennent le pas sur l’essentiel. Je crois que cela est très important quand on est à la tête d’une instance d’une si importante organisation. Le deuxième motif de satisfaction réside dans le fait que l’ISESCO est une organisation dont la voix porte de plus en plus dans le monde. Elle prend régulièrement part à des activités au plan international et ses interventions sont toujours appréciées positivement. Par ailleurs, l’ISESCO a signé des accords de coopération avec tous les grands organismes internationaux. Dans ce sens, elle travaille étroitement avec l’UNESCO notamment dans le domaine du dialogue entre civilisations. Cela est très important pour notre organisation car rien ne peut être réalisé dans ce monde sans l’entente, la paix, la stabilité. Si la communauté internationale œuvre dans ce sens et parvient à ce que les différentes communautés s’engagent à régler leurs différends sans recourir à la violence, c’est un grand pas de franchi pour l’humanité. Au niveau national, nous avons réussi la prise en charge d’étudiants arabisants rentrés au pays et qui sont sans emploi.

S. : Quels sont les grands projets de votre organisation ?

C.B.D. : Nous évoluons dans la continuité. Les projets que nous avons arrêtés entrent dans ce credo. Il ne reste qu’à les développer et à corriger en cas de besoin. L’ISESCO continue de miser sur l’éducation, particulièrement l’éducation pour tous, en partenariat avec d’autres organismes, notamment ceux du système des Nations unies. Nous sommes convaincus qu’une bonne éducation peut favoriser la paix et la stabilité. Il existe une fédération des universités islamiques dont deux de notre pays sont membres. Si ces institutions universitaires arrivent à mettre un programme commun en œuvre, leurs diplômes seront reconnus et homologués. Ainsi, les ressortissants de chaque Etat membre pourront travailler dans un autre et vice versa. C’est l’un des projets qui nous tient à cœur. Il y a également la construction d’une représentation locale de l’ISESCO à Ouagadougou. Jusqu’à présent, elle squatte le bâtiment de l’UNESCO.

S. : Qu’est-ce qui est envisagé par l’ISESCO pour aider les écoles franco-arabes à mieux se développer ?

C.B.D. : C’est aux promoteurs de ces écoles-là d’œuvrer en sorte que l’opinion ne confonde pas l’enseignement arabe à la religion islamique. L’arabe est à la fois une langue et une culture comme cela est du français et des autres. C’est la quatrième langue dans le monde. A cet effet, elle mérite un important regard au plan national au même titre que les autres langues étrangères. Si l’Etat burkinabè est convaincu que l’arabe est utile, étant donné que dans toutes les contrées du pays il existe des écoles franco-arabes, il doit travailler à les développer. Bien formés, les arabisants peuvent être utiles à la société et au pays.
Il faut que l’Etat s’occupe particulièrement des écoles franco-arabes en même temps que leurs fondateurs consentent des efforts pour mieux valoriser leurs activités. Si notre pays négocie véritablement avec la Banque islamique de développement (BID) et l’ISESCO, un plan national de développement peut être envisagé en faveur de ces écoles qui accueillent de nombreux enfants.

S. : La finance islamique apparaît, de plus en plus, comme une aubaine pour l’Afrique. Quelle pourrait être la contribution de l’ISESCO à la facilitation de l’accès à cette source de financement ?

C.B.D. : Pour peu que les projets soumis correspondent aux domaines d’intervention ci-dessus cités de notre organisation, leurs financements sont possibles. Il y a un correspondant national en charge des affaires de l’ISESCO au sein de la commission nationale pour l’UNESCO. En collaboration avec le secrétaire national, il retient tous les besoins en matière d’éducation, de culture, de sciences et de communication pour être pris en compte dans les interventions de l’organisation. Il arrive parfois que l’ISESCO décide elle-même de soutenir tel ou tel secteur, surtout dans la formation.

S. : Quels sont les efforts menés par votre organisation pour enseigner à l’humanité un islam de paix dans un contexte où des contradictions foisonnent dans le domaine de la religion ?

C.B.D. : L’ISESCO dispose d’un organe qui s’occupe exclusivement de la promotion et de la culture du dialogue entre les civilisations. Cette structure travaille en permanence avec toutes les communautés dans le seul souci de préserver la paix dans le monde. Un autre organe a pour vocation de rapprocher les différentes écoles islamiques. Cette approche peut aussi favoriser la paix dans la mesure où, si toutes les écoles échangent des programmes ou développent des modules communs, elles seront en mesure de corriger les éventuels dérapages ou de les prévenir. Elle permet de rappeler aux uns et aux autres, les principes nobles de l’islam qui sont entre autres, la paix et la tolérance.

S. : En tant que guide spirituel, comment expliquez-vous la montée de l’intolérance et de l’extrémisme dans le monde musulman ?

C.B.D. : C’est un problème qui nous étonne tous. Je pense que l’histoire va nous révéler beaucoup de secrets. Car, voir des individus qui prétendent travailler au nom de l’islam, tuer les autres est un paradoxe effarant. Il est d’une exigence de l’islam que lorsqu’on rencontre quelqu’un, on lui dise « Assalam aléikoum ». Cela signifie tout simplement : « Vous avez la paix ». C’est une garantie de paix que l’on donne à son prochain avant d’entreprendre quoi que ce soit avec lui. C’est un engagement ferme à lui rassurer sa bonne foi. Deuxièmement, l’islam oblige ses fidèles à croire et à respecter tous les prophètes. Quand il y a eu le scandale des caricatures du prophète Mohamed, nous avons vu toutes sortes de réactions, sauf des injures proférées à l’encontre de Jésus, parce que ce sont des actes contraires à leur religion. Quand un musulman prononce un seul mot contre Jésus, cela va au-delà du péché. On peut dire qu’il n’est même plus musulman. La guerre n’est pas souhaitable. Mais c’est quelque chose qui arrive malheureusement dans la vie. L’islam recommande que si vos ennemis choisissent la voie de la paix, de les suivre sur ce chemin. En islam, il est interdit même pendant la guerre, de toucher aux femmes, aux enfants, aux personnes âgées ainsi qu’aux membres d’autres confessions tant qu’ils n’ont pas pris des armes contre les musulmans. Aujourd’hui, des soi-disant musulmans mettent des bombes dans des lieux publics pour tuer. Ils ne tuent pas que les non musulmans. Ils causent plus de dégâts parmi leurs coreligionnaires que chez les autres. Parce qu’ils placent des bombes dans des mosquées ! C’est simplement incompréhensible !

S. : Quel remède préconisez-vous pour éradiquer la violence et humaniser ce monde ?

C.B.D. : Cela commande de mettre l’accent sur trois aspects fondamentaux. Il s’agit premièrement de l’éducation, la bonne. Car si chacun connaît ses droits et ses devoirs, cela l’aide à être raisonnable et responsable. Il saura de ce fait que ses droits finissent là où commencent ceux des autres. Le deuxième aspect concerne le développement.
Il est évident qu’un homme affamé, accablé de problèmes peut devenir aigre et violent. Il faut que les pays se donnent la main pour permettre à leurs citoyens de gagner leur vie dans la dignité. Quand on observe bien les dérives de l’humanité et on les appréhende dans le fond, l’aspect économique semble donner la meilleure explication aux actes de terrorisme. Un homme sans ressources est facilement influençable. Troisièmement, il sied d’instaurer une justice équitable au sein de la société. Parce que tant que l’injustice règnera, le monde ne sera jamais en paix. Le monde va s’humaniser davantage si ces trois aspects sont réglés.

S. : L’ISESCO n’aurait-elle pas pu jouer les premiers rôles dans la résolution des crises, par exemple celle au Mali ?

C.B.D. : L’ISESCO étant une organisation spécialisée de l’OCI, il revient à la maison-mère qui est l’organisme de tutelle de prendre des décisions d’ordre politique vis-à-vis de ses pays membres. D’ailleurs, le ministre burkinabè des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Djibrill Bassolé, a été désigné comme représentant de l’OCI dans l’élan de résolution de la crise malienne. Les cinquante-six (56) Etats membres de cette organisation lui ont accordé leur confiance et l’ont mandaté pour conduire leur politique visant à régler de façon durable ce conflit.

S. : Revenant aux domaines d’intervention spécifiques à l’ISESCO, qu’est-ce qui est entrepris pour réhabiliter l’immense patrimoine culturel détruit au Nord-Mali ?

C.B.D. : Cette question interpelle vraiment l’ISESCO. Et elle travaille dans ce sens. Voilà pourquoi un émissaire a été dépéché à Tombouctou où des manuscrits et d’autres ouvrages très précieux pour le monde entier sont aujourd’hui en péril. Sa mission consiste à constater l’ampleur du phénomène et à évaluer les dégâts pour qu’une aide soit envisagée en vue de restaurer ces précieux documents.

S. : Quel message avez-vous à adresser au monde ?

C.B.D : Les valeurs de tolérance doivent être privilégiées partout entre les hommes dans toutes les sociétés de la planète. Il y a de la place pour tout le monde sur cette terre. Mais il faut reconnaître que tous ses habitants ne peuvent pas être pareils.
C’est Dieu lui-même qui a voulu cette diversité raciale, ethnique, linguistique, religieuse, culturelle, etc. Accepter cette donne divine amène à être plus tolérant. En outre, un homme ne doit pas juger son prochain. Toutefois, il peut le conseiller étant donné que Dieu reste le seul juge absolu.
Guider les uns et les autres vers le chemin de Dieu, avec sagesse et respect, sans leur exprimer sa supériorité ou un mépris quelconque, est une attitude susceptible de les ramener à la raison. Alors, qu’on se donne la main pour construire ce qui est bon pour l’humanité en encourageant chacun à être tolérant envers l’autre, dans sa différence.

Interview réalisée par Assetou BADOH

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