Des relations diplomatiques entre son pays, la France et le Burkina Faso après le départ forcé de Blaise Compaoré en passant par l’affaire Thomas Sankara au nouveau Code électoral Gilles Thibault, Ambassadeur de France au Burkina Faso n’est pas passé par quatre chemins pour donner sa lecture de la situation qui prévaut au Burkina Faso. C’était au cours d’une interview qu’il a accordée à Sidwaya le mercredi 27 mai 2015.
Sidwaya (S.): Quel est l’état de la coopération entre la France et le Burkina Faso ces dernières années?
Gilles Thibault (G.T) : La coopération entre les deux pays est aussi bonne que quand je suis arrivé. Elle était déjà très importante. Elle a cru en 2013 et 2014 pour des raisons particulières. Notamment grâce à un certain nombre de programmes soutenus par l’AFD (Agence française de développement). Ce qu’il faut retenir c’est que cette coopération est très variée, très importante et elle est continue.
S. : Quels sont les principaux axes de l’intervention de la France au Burkina Faso ?
G.T : Nous intervenons dans plusieurs domaines mais beaucoup dans le domaine du développement durable. Il n’y a rien d’étonnant car cette année, il y a une réunion très importante à Paris en fin d’année. Nous intervenons dans les domaines des infrastructures, l’eau, la voirie, l’assainissement, la mobilité des personnes à l’intérieur du Burkina Faso. Nous intervenons dans le domaine scolaire, de la santé, de la formation professionnelle, vis-à-vis de l’enseignement supérieur. Et nous soutenons de façon générale l’Etat burkinabè et toutes ses institutions en matière de bonne gouvernance. Aussi, il y a la coopération décentralisée. Le Burkina Faso est avec le Sénégal les deux pays où il y a le plus grand nombre de coopérations actives dans des domaines très variés. A Ouagadougou, nous avons le Grand Lyon, Bordeaux, Loudun, Grenoble qui sont présents. Mais il y a un nombre important de jumelages ; plus d’une centaine de communes entretiennent des liens directs avec leurs homologues burkinabè. Généralement, elles œuvrent dans le domaine scolaire, la construction d’infrastructures, la santé, la fourniture d’eau. Il y a un grand nombre d’initiatives conduites par la coopération décentralisée.
S. : Le gouvernement français a promis d’alléger le dispositif de mobilité pour les étudiants, pourtant il est encore très difficile pour un Burkinabè d’aller étudier en France qu’aux Etats-Unis. Est-ce à dire que cette décision gouvernementale n’est opérante que pour les étudiants chinois, asiatiques et non africains ?
G.T : Absolument pas ! Il n’y a pas de discrimination en fonction du lieu d’origine des demandeurs. Les seuls critères qui vaillent sont ceux de la qualité, de l’excellence académique. Le nombre d’étudiants que nous soutenons chaque année croit. Le nombre de bourses augmente et le nombre de visas à longue durée donnés aux étudiants chaque année augmente régulièrement. Il n’empêche qu’il y a forcément de déçus dont on parle plus que de tous ceux qui ont la possibilité d’aller étudier en France.
S. : Il y a autant de Français au Burkina qu’il n’y a de Burkinabè en France; preuve que la France n’est pas une terre d’immigration pour les Burkinabè. Pourquoi alors est-il si difficile d’avoir un visa français ?
G.T : La question des visas est récurrente. Mais ce n’est pas plus difficile que d’avoir un visa de l’Etat français, de l’Etat belge, allemand ou italien, parce que c’est la même procédure. Ce sont des procédures Schengen. Les réponses données à une demande de visa sont données par les Etats membres de Schengen. Quand quelqu’un dépose une demande de visa à l’Ambassade de France, tous les Etats membres sont consultés et si l’un d’entre eux dit non, ce qui arrive parfois, la personne va s’entendre dire non sans que l’on lui dise lequel des Etats s’est opposé à son entrée sur le territoire. Il n’y a pas de spécificité pour l’attribution ou l’obtention du visa français. Le visa que nous délivrons est un visa Schengen délivré en fonction des règles des Etats membres.
S. : Le Burkina occupe une place centrale dans le système de défense de la France à l’extérieur. Les forces
spéciales qui sont une pièce centrale dans l’opération Barkhane dans le Sahel sont basées à Ouagadougou. Que gagne le Burkina en retour ?
G.T : Les accords de partenariat entre la France et un certain nombre d’Etats sont anciens et portent sur des domaines variés notamment la fourniture d’une assistance dont bénéficie pleinement le Burkina Faso. La France a un dispositif aujourd’hui qui a remplacé Serval qui permet d’aider les Etats de la bande sahélo-sahélienne à assurer leur sécurité conjointement avec d’autres partenaires y compris la France. En accueillant une partie des forces françaises stationnées dans cet espace sahélien, c’est aussi un accroissement de sa sécurité notamment de son contingent présent au Mali. La France combat aux côtés des autres membres de la MINUSMA les terroristes qui agissent sur le territoire malien et s’est donnée comme mission de contribuer à la sécurité de toutes les unités militaires déployées au Mali. D’une façon générale, la lutte que nous menons contre les forces terroristes diminue le risque d’infiltration d’éléments armés au nord du Burkina Faso, au Niger et au Mali.
S. : Malgré tout, cela n’a pas empêché qu’un citoyen Roumain soit enlevé au Nord du Burkina Faso. Le système a des failles alors ?
G.T : La sécurité est tellement complexe qu’il n’y a pas de dispositif parfait. En l’occurrence l’enlèvement d’un ressortissant roumain dans le sahel burkinabè ressort de la propre responsabilité des intéressés eux-mêmes et des circonstances locales particulières. Ce serait bien difficile face à ce type d’évènement de blâmer qui que ce soit. Des gens sur place ont fait leur travail. Mais il n’y a pas de risque zéro. Aucun Etat n’est en capacité d’éviter complètement le risque terroriste. Les Américains en ont fait la triste expérience le 11 septembre 2001 ; la France à plusieurs reprises avec des attentats sur son territoire. D’autres Etats européens et malheureusement les Etats africains et arabes sont ceux qui sont plus victimes d’actions terroristes. Mais cela ne signifie pas que le travail n’a pas été fait par les autorités locales. C’est parce que c’est un combat difficile qui doit être mené en permanence et collectivement.
S. : La communauté française vivant au Burkina augmente-t-elle vu que la menace terroriste monte dans la région?
G.T : La communauté française se sent en sécurité au Burkina Faso tout autant qu’en France. Les menaces terroristes existent dans les deux pays.
S. : Les Français installés au Burkina Faso évoluent dans quels domaines ?
G.T : La plupart d’entre eux sont des Franco-burkinabè. Ils évoluent dans plusieurs domaines. Certains d’entre eux évoluent dans des activités économiques, commerciales ou artistiques. Il n’y a pas de secteur d’activités dans lequel les Français sont plus représentés. Il y a des retraités, des personnes actives, des jeunes, des femmes qui sont tous bien intégrés. C’est une population qui se sent bien ici.
S. : Combien sont-elles les entreprises françaises au Burkina et quelle est leur part contributive dans la construction de l’économie du pays ?
G.T : Il y a une centaine d’opérateurs économiques qui sont installés au Burkina. Une cinquantaine le sont par le biais de filiale et une autre cinquantaine sont des entrepreneurs individuels. Leur contribution au bon fonctionnement de l’économie burkinabè est naturellement importante puisqu’un certain nombre de ces entrepreneurs figurent parmi les plus grands employeurs du pays.
Les entreprises françaises contribuent à la richesse du pays puisqu’elles paient leurs impôts, leur personnel et remplissent au mieux toutes les obligations légales vis-à-vis de ces personnes.
S. : Lors de l’insurrection, la France a aidé à exfiltrer l’ex-président Blaise Compaoré. Pourquoi cette décision a-t-elle été prise ?
G.T : C’est une décision qui a été prise par beaucoup d’intervenants. Elle s’est imposée pour des raisons évidentes au plan humanitaire. Il ne fallait pas que les nouvelles autorités qui allaient être mises en place commencent dans des situations contestables. Il fallait éviter un effet d’entrainement. Que se serait-il passé si le président et son entourage avaient été les victimes directes et incompréhensibles de cette crise ?
S. : M. Compaoré était-il en danger dans son pays en ce moment ?
G.T : Il était en danger. L’histoire retiendra que l’insurrection a débuté d’une façon remarquable puisqu’il n’y a pas eu d’actes intolérables commis par les manifestants et c’est à l’honneur du mouvement qui a demandé la démission et le départ du président Compaoré dans la mesure où celui-ci avait initié la possibilité de rester pour un mandat supplémentaire.
S. : Vous qui suiviez l’évolution de la crise depuis l’annonce de la modification de l’article 37, pensiez-vous vraiment qu’elle allait se terminer avec une insurrection suivie du départ du Président Compaoré?
G.T : Tous les observateurs internationaux comme nationaux savaient bien que la mobilisation contre la modification de l’article 37 était très importante. Il y avait eu déjà en 2013 des manifestations qui ont repris en 2014. La première d’entre elles après la démission du MPP (Mouvement pour le progrès du peuple) a été le 18 janvier 2014.
Elle avait mobilisé des centaines de milliers de personnes. Et tout le long de l’année, chaque mobilisation avait donné des résultats importants. Je me rappelle que le 28 octobre, il y avait probablement autour d’un million de
personnes qui demandaient que l’article 37 ne soit pas modifié. Je n’ai pas été surpris par le tour des évènements. Et comme d’autres, je me suis félicité de la décision du Président Compaoré de quitter le pays.
S. : Pourquoi alors avez-vous préféré l’exfiltrer du Burkina pour Abidjan au lieu de l’amener en France ?
G.T : Le Président est allé là où il avait des amis.
S. : Est-ce à dire qu’il n’avait pas d’amis en France ?
G.T : Le Président Compaoré fait ce qu’il veut. Il est en Côte-d’Ivoire.
S. : Bien avant qu’il ne soit dans cette situation, qu’est-ce que vous avez fait ou Paris a fait pour que Compaoré ne franchisse pas le Rubicon de la modification de l’article 37 de la Constitution?
G.T : La France, comme d’autres, lui a dit très clairement tout au long de l’année 2014 et même bien avant qu’il n’était pas opportun politiquement de toucher à l’article 37 même si juridiquement certains pouvaient estimer qu’il pouvait le faire. Le Président Hollande a écrit au Président Compaoré, le 7 octobre 2014 pour lui demander d’aller au terme de son mandat dans les conditions prévues.
S. : Quel impact, le départ du président Compaoré a-t-il eu sur les relations
franco-burkinabè ?
G.T : Aucun impact. Son départ n’a pas eu d’impact négatif dans les relations franco-burkinabè. La coopération française est là pour travailler avec le Burkina Faso au profit des populations au-delà des aléas de la vie politique. C’est normal qu’il y ait des changements à la tête d’un Etat.
S. : L’exhumation des restes de Thomas Sankara et de ses 12 compagnons est en cours actuellement. Paris serait-elle prête a déclassifier certains dossiers pour permettre à la justice de faire jaillir la lumière quand on sait que certaines sources considèrent que Paris a été complice, voire le commanditaire de la mort du père de la Révolution de 1983 ?
G.T : Je suis désolé mais vous êtes dans le fantasme d’un rôle que nous avons pu jouer. Ce sont des Burkinabè qui se sont affrontés à d’autres Burkinabè dans des circonstances que la justice doit éclaircir, qui sont pour le reste assez connus. Je vous rappelle qu’il y avait des témoins dont un survivant qui a raconté ce qui s’était passé. Maintenant l’exhumation des dépouilles des personnes qui ont été assassinées le 15 octobre 1987 est en cours. La justice fait son travail et on ne peut que se féliciter qu’enfin toute la lumière soit faite.
S. : Quelle est la position de Paris par rapport à la nouvelle loi électorale ? Diriez-vous comme certaines chancelleries qu’il faut des élections inclusives ? Il y a quelques mois, les partisans de Blaise Compaoré qui veulent aujourd’hui être candidats disaient que seul Compaoré pouvait diriger le Burkina Faso ?
G.T : Je n’ai rien à dire de plus que ce que mes collègues de la communauté internationale ont dit. Le code électoral a été adopté par le Conseil national de la Transition. Maintenant, il faudra en faire une lecture intelligente. Ce qui sera le cas. Nous avons confiance aux Burkinabè pour appliquer ce nouveau texte avec le discernement et l’intelligence qui conviendront.
S. : Dites-vous comme la communauté internationale que les élections doivent être inclusives et non exclusives ?
G.T : Comment pourrait-il en être autrement quel que soit l’endroit où l’on se trouve? Les citoyens burkinabè veulent que les résultats des élections soient incontestables et pour cela il faut que les élections soient justes, loyales et inclusives.
S. : Le Burkina Faso peine à boucler son budget électoral. Comment la France compte apporter son aide au Burkina Faso pour l’organisation des élections ?
G.T : La France a déjà apporté une contribution de plus de deux milliards de FCFA directement. Nous avons apporté également une contribution via l’Union européenne encore plus importante puisqu’on contribue au 5e du budget de l’Union européenne. Nous apportons également notre contribution via les autres organisations internationales dont nous sommes membres.
S. : Quelques sondages mettent le trio Bassolé-Roch-Zéphirin (je les cite par ordre alphabétique) comme les potentiels présidents du Faso ? Avec qui des trois potentiels présidents, la France se sentirait mieux à l’aise pour travailler?
G.T : La France sera très heureuse de travailler avec la personnalité qui aurait été élue par les femmes et les hommes du Burkina Faso. Le Burkina Faso est une démocratie. Les électeurs sont libres de leur choix. Ils voteront pour qui ils voudront. Celui qui sera élu sera l’interlocuteur de la France comme l’était le Président Blaise Compaoré, aujourd’hui le Président de la Transition, Michel Kafando.
S. : Quelle est la place que le Burkina Faso occupe dans l’ordre diplomatique français? Se sent-on un «grand» ambassadeur de France parmi ses collègues quand on est ambassadeur de France au Burkina?
G.T : On se sent d’abord fier et très honoré de représenter son pays quel que soit l’endroit pour lequel on a été désigné. Au Burkina Faso comme au Cap-Vert, à Madagascar, en Afghanistan, en Chine, aux Etats-Unis ou ailleurs nous sommes des haut-fonctionnaires qui avons choisi d’être au service de la paix et de notre pays. C’est réellement un honneur et une fierté d’occuper cette fonction d’ambassadeur. Pour être très honnête, je suis très heureux d’être au Pays des hommes et des femmes intègres.
Interview réalisée par
Steven Ozias KIEMTORE