La cérémonie nationale d’hommage aux martyrs de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 a eu lieu au monument aux Héros nationaux à Ouaga 2000, le samedi 30 mai 2015.
Les activités d’hommage aux martyrs de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 au Burkina Faso se sont déroulées du 26 au 31 mai 2015. Le clou de l’évènement a été une cérémonie nationale tenue au pied du monument aux Héros nationaux, au quartier Ouaga 2000, dans l’après-midi du 31 mai 2015. Ce fut une cérémonie haute en couleur et pleine d’émotion en mémoire aux « vaillants combattants de la liberté ». En effet, femmes, hommes, jeunes, vieux, autorités administratives, politiques coutumières et religieuses sont sortis nombreux pour saluer la mémoire des 28 décédés et encourager les 660 blessés de l’insurrection. L’élévation à titre posthume des martyrs au grade de Chevalier de l’Ordre national, des discours, des chants de chorale, du «slam» et la pose de la première pierre de la stèle sur laquelle seront gravés les noms des martyrs, ont meublé le cérémonial. Tout a commencé par l’observation d’une minute de silence en leur mémoire.
Dans son discours, le président du Faso, Michel Kafando, a salué la forte mobilisation des Burkinabè. La preuve, pour lui, que tout le pays porte les victimes dans son cœur. Il a eu une pensée pour tous ceux qui, d’une manière générale, ont sacrifié leur vie pour la liberté et la démocratie au ‘’Pays des Hommes intègres’’. A l’endroit des morts, il a dit ceci : « Vaillants combattants de la liberté, vous, très tôt arrachés à notre affection, nous sommes venus de partout pour célébrer et perpétuer votre mémoire. Nous sommes venus des quatre coins du Burkina Faso, des provinces, des régions, des campagnes et des villes pour vous rendre cet hommage mérité. Le changement que vous avez mis en marche, la liberté pour laquelle vous êtes tombés est aujourd’hui une réalité ». Avec les familles des victimes et tous ceux qui ont été au cœur de l’insurrection, le président du Faso a pris l’engagement d’instituer la journée du souvenir qui sera célébrée annuellement. Il a, en outre, rassuré que l’Etat poursuivra ses efforts afin de faire toute la lumière sur les conséquences de cette insurrection. « En versant votre sang pour la patrie, vous avez fait germer une démocratie nouvelle. Du fonds de vos sépultures, dormez donc en paix», s’est-il adressé aux défunts. Pour lui, ce jour mémorable devait arriver quel que soit le temps que cela prendrait. A ce propos, il a demandé la compréhension de la population pour les huit mois écoulés avant la concrétisation de l’idée d’hommage. L’essentiel, a-t-il dit, était que les conditions idoines soient réunies pour une cérémonie digne de ceux-là qui sont tombés pour l’honneur de la patrie.
Des familles prêtes à la réconciliation à deux conditions
Les représentants de l’Association des blessés de l’insurrection populaire (ABIP), des parents des personnes décédées, des chefs coutumiers et religieux ont tous salué l’initiative du gouvernement d’immortaliser leurs proches à travers cette commémoration et l’érection de la stèle. Dramane Ouédraogo de l’ABIP a salué l’ensemble des Burkinabè qui étaient dans la rue pendant l’insurrection pour leur détermination à transformer le Burkina Faso. Il a rendu un hommage particulier aux agents de santé qui, malgré le nombre important des blessés, les ont traités « avec amour et professionnalisme», à l’armée pour avoir désobéi à l’ordre de tirer et aux autorités de la Transition pour la conduite de leur mission. Comme tous les autres intervenants, le représentant des familles des victimes, Babou Bamouni, a vivement souhaité que la lumière soit faite et que la justice soit rendue aux victimes. Il a confié que les parents accueillent la cérémonie d’hommage avec toute la considération qui sied. « En ces lieux et en ces moments solennels où la patrie vous exprime sa reconnaissance, nous, vos familles, en votre nom, accueillons cet hommage qui vous est rendu », a déclaré M. Bamouni. Il a marqué la disponibilité des familles des victimes à aller vers la réconciliation mais à deux conditions. La première, a-t-il indiqué, est qu’il y ait vérité et justice sur les dossiers des martyrs. La seconde est que toutes les familles pardonnent sincèrement ceux qui ont occasionné les morts. Il serait souhaitable, de son avis, que des hommages soient rendus à l’extérieur du pays à travers les ambassades et consulats. Et d’ajouter que les familles demandent que les photos des personnes décédées soient affichées à l’Assemblée nationale afin qu’elles parlent à la conscience du législateur au moment de voter la loi.
Pour le représentant des coutumiers et religieux, Pasteur Yé, en se souvenant des frères et sœurs victimes de l’insurrection, les prières vont directement au Dieu Tout-Puissant pour solliciter sa miséricorde pour les disparus, les blessés et tous les êtres qui leur sont chers. Il a souhaité que le pardon habite les cœurs de tous ceux qui ont été touchés directement ou indirectement par ces évènements de fin octobre 2014.
Daniel ZONGO
Gaspard Bayala
Victor Pouahoulabou, président de l’Union des parents des martyrs
‘’Il ne faudra pas que la Transition finisse sans que justice soit rendue’’
« Cette journée est pour nous une autre journée de deuil national. Nous sommes fiers de toute cette organisation. Je pense que Michel Kafando et son gouvernement ont bien agi en organisant cette journée d’hommage. Mais, nous voulons qu’après cette journée, l’Etat prenne des décisions concrètes pour rendre justice à nos martyrs. Il ne faudra pas que la Transition finisse sans que justice soit rendue à nos morts. Nous demandons également que l’on dédommage toutes les familles des victimes parce qu’elles vivent toutes des difficultés».
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Lydia Karambiri, épouse du martyr Gaston Karambiri
‘’Nous avons besoin de soutien, pas financier mais moral’’
« La journée d’hommage est normale quand bien même elle réveille nos plaies. Nous souhaitons que l’Etat se souvienne de nous, de nos enfants et de toutes nos familles. Il ne faudra pas qu’après cette journée, le gouvernement, le peuple burkinabè et toute la Nation oublient les familles des martyrs. Nous avons besoin de soutien, pas financier mais moral. Nous souhaitons qu’ils viennent nous voir souvent parce que chaque instant qui passe, nous vivons cette situation douloureuse ».
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Nayété Alpha Sidi, époux de la martyr Mariam Fofana
‘’Nous voulons qu’après cette célébration, la lumière soit faite’’
« La journée nous va droit au cœur parce que c’est au moins la reconnaissance de la Nation entière à des gens qui sont tombés pour le changement et la démocratie. Mais, nous voulons qu’après cette célébration, la lumière soit faite sur tous ces cas. Nous voulons la vérité, la justice et la compensation des ayants droit. Nous remercions le gouvernement et le peuple burkinabè pour ce qu’ils ont fait pour nous. Nous restons toujours Burkinabè et allons tout faire pour soutenir la Transition afin qu’elle aboutisse à des élections libres et transparentes ».
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Simon Compaoré, 2e vice-président du MPP
‘’Que l’on puisse dire qui sont les vrais instigateurs’’
« C’était un moment tant attendu du peuple. Vu ce qui s’est passé les 30 et 31 octobre, l’on se devait de magnifier tous ceux qui sont tombés sur le champ de bataille. Aujourd’hui, je crois que ceux qui ne sont pas là ont raté. C’est un jour mémorable, historique qui sera gravé à jamais dans l’histoire du Burkina Faso. Cet instant contribuera sans doute à cultiver en tous ces jeunes qui assistent à cette journée, le patriotisme et le courage. C’est donc dire que cette cérémonie était nécessaire. A propos des questions de justice, c’est tout à fait normal. Ce qui a démarré aujourd’hui est un processus et il faut aller jusqu’au bout pour rendre véritablement hommage à tous ceux qui sont tombés. Il faut que la justice enquête, que l’on puisse dire qui sont les vrais instigateurs. Il est normal que le peuple sache qui a été le donneur d’ordre. C’est comme cela que l’on va apaiser les cœurs ».
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Zéphirin Diabré, président UPC
‘’ Nous leur serons reconnaissants à jamais’’
« C’est un moment grandiose pour se rappeler la mémoire de nos martyrs et les magnifier. C’est aussi le lieu de saluer le sacrifice suprême qu’ils ont consenti pour le bien et l’avenir de la Nation. Et c’est avec une grande émotion que nous avons pris part à cette cérémonie d’hommage national. Le souvenir de ces journées dans nos mémoires est encore douloureux parce que nous étions ensemble sur le champ d’honneur et le destin en a décidé. Nous leur serons reconnaissants à jamais parce qu’ils ont apporté quelque chose d’inestimable pour l’avenir de ce pays. Il faut maintenant que justice soit faite, que la vérité soit connue. Comme le président du Faso a pris l’engagement, je ne doute pas un seul instant qu’il prendra les dispositions appropriées pour qu’il soit ainsi ».
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Me Bénéwendé Sankara, président de l’UNIR/PS
‘’ Plus jamais ça’’
« Ceux qui sont morts sont morts pour la patrie, la liberté et la démocratie. Il est donc tout à fait normal que la Nation soit reconnaissante à ces martyrs. La commémoration de cette journée est faite pour que nos martyrs ne restent pas dans l’oubli, mais également que plus jamais ça. Parce que nous avons besoin de construire ce pays sur un socle de valeurs que nos martyrs et nos blessés ont défendues. C’est aussi laisser à la postérité un signal fort, de rassemblement pour construire ce pays et que désormais la date du 30 mai soit gravée dans nos mémoires. Parce que si nous nous rappelons nos martyrs, nous allons bannir de nos discours politiques, tout ce qui divise, tout ce qui peut amener notre pays vers le bas. Mais il faut que justice soit rendue à ces personnes décédées, que la vérité soit dite. Je crois que c’est par cela qu’elles pourront désormais reposer en paix ».
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Me Titenga Pacéré, écrivain et avocat
« Il sied que nous pleurions nos morts pendant que la justice continue »
« Pour moi, cette cérémonie est émouvante. Elle s’impose et il nous faut être prudent. Il faut faire attention parce que le fait de rendre hommage aux personnes disparues n’a rien à voir avec le domaine judiciaire à savoir identifier les auteurs pour la répression. Cela fait 42 ans que je suis avocat. En 42 ans, je n’ai pas pu voir un dossier criminel pour lequel l’on a eu un jugement définitif avec cassation en moins de cinq ans. Lorsqu’un crime a été commis, l’on confie le dossier à un cabinet d’instruction. Il faut au minimum cinq jours d’audition pour que le juge puisse faire la lumière. L’année n’a que 54 semaines, c’est-à-dire que le cabinet ne peut pas faire la lumière de plus de cinquante dossiers en un an. Cela veut dire que pour un crime qui été commis, si l’on attend de faire la lumière, connaitre les criminels avant de rendre hommage, cela ne sera pas possible. Et ce n’est pas le Burkina Faso qui est comme cela, c’est pratiquement le système judiciaire. Donc, attendre la justice pour l’hommage est une confusion entre le judiciaire et le devoir que nous avons envers nos morts. Par ailleurs, nous avons en face un problème de la Transition, il nous reste au maximum six mois. Il sied que nous rendions d’abord hommage, que nous pleurions nos morts pendant que la justice continue. Pour ma part, je pense qu’il était opportun et judicieux que les acteurs de la Transition aient décidé de rendre un respect à nos morts en attendant que la justice puisse faire son travail ».
Propos recueillis par G.B et D.Z