L’Institut général Tiémoko Marc Garango pour la gouvernance et le développement (IGD) organise, les 28 et 29 mai 2015, à Ouagadougou, un colloque international sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique. D’éminents professeurs de droit, venus d’Afrique et d’Europe, prennent part aux travaux dont l’entame a été donnée par le président du Faso, Michel Kafando.
Depuis l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 au Burkina Faso, les révisions constitutionnelles n’en finissent pas d’alimenter les foyers de crise qui gagnent progressivement du terrain en Afrique. Pour poser le diagnostic, en vue de barrer la route au phénomène, d’éminents professeurs de droit sont réunis à Ouagadougou, les 28 et 29 mai 2015 à la faveur d’un colloque international sur le thème : «Etat de droit, démocratie et changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique», initié par l’Institut général Tiémoko Marc Garango pour la gouvernance et le développement (IGD). Selon le professeur Ismaïla Madior Fall, membre du Conseil d’administration de l’Institut, la tenue de cette rencontre internationale, fruit de recherches scientifiques, est commandée par l’évolution des régimes politiques en Afrique. «Il s’agit, à la lumière des recensions en Afrique du Nord, de l’insurrection populaire au Burkina Faso et de l’incertitude politique au Burundi, de conceptualiser la notion de changement anticonstitutionnel, d’en identifier les causes et d’y apporter les réponses concrètes susceptibles d’enraciner la gouvernance démocratique, le constitutionnalisme et l’Etat de droit en Afrique», a-t-il souligné. Pendant les deux jours, des experts venus entre autres, du Burkina Faso, du Congo, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de la France, du Canada et de la Suisse vont partager leurs expériences en matière de démocratie et d’Etat de droit dans un contexte marqué par la faiblesse du constitutionnalisme et la persistance des révisions constitutionnelles. Mais il s’agira surtout, foi du Pr Fall, de proposer des esquisses de solutions à même de rétablir les principes fondateurs de la démocratie en Afrique. Il a dénoncé et condamné les changements anticonstitutionnels dont les conséquences sont, de son avis, désastreuses pour les libertés individuelles et collectives. «Ils mettent en place une dictature, bouleversent la gouvernance démocratique, empêchent l’exercice de droit des peuples à constituer un gouvernement et entraînent de graves violations des droits humains», a-t-il dit. Présidant l’ouverture des travaux, le président du Faso, Michel Kafando, a félicité les initiateurs du colloque pour le choix du thème, «d’une actualité brulante». Car a-t-il fait remarquer, dans de nombreux pays africains, la souveraineté des peuples a été confisquée par des coalitions dirigeantes. « Ils se parent des oripeaux du constitutionnalisme, de l’Etat de droit et de la démocratie et se montrent plus soucieux de redistribuer les rentes de l’appareil d’Etat que de promouvoir les droits politiques économiques et sociaux des peuples au nom desquels ils sont censés exercer le pouvoir », a relevé le président du Faso. C’est pourquoi, a indiqué Michel Kafando : «j’attache une importance particulière aux principales recommandations de ces journées de réflexions scientifiques et intellectuelles sur la démocratie, l’Etat de droit et les changements anticonstitutionnels».
Des régimes autocratiques parés d’habits constitutionnels
Les participants ont eu droit à une « leçon inaugurale » donnée par le professeur Augustin Loada ancien directeur exécutif du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), sur le cas du Burkina Faso. Pour le conférencier, sont considérés comme changements anticonstitutionnels, tout refus d’un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou candidat vainqueur à l’issue d’élections libres justes et régulières, tout amendement ou toute révision des constitutions ou d’instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique. Le professeur Loada a signifié que le printemps arabe et l’insurrection populaire de fin octobre 2014 ont mis à nu les faiblesses de la Charte de l’Union africaine sur la démocratie. «Tous ces instruments juridiques régionaux méritent d’être repensés à l’aune de ces expériences afin de prendre en compte les aspirations démocratiques des peuples africains qui n’ont de choix que de renverser des régimes autocratiques parés d’habits constitutionnels pour combler leur soif d’alternance», a recommandé par la suite M. Loada. Il a profité de l’occasion pour expliquer aux participants les raisons de la polémique autour du nouveau code électoral burkinabè. «La Charte de l’Union africaine sur la démocratie et les élections prévoit que les auteurs de changement anticonstitutionnel peuvent être poursuivis dans leurs Etats ou faire l’objet d’extradition s’ils sont à l’étranger. Elle exclut la possibilité pour ces auteurs de prendre part à la compétition électorale ou d’occuper des postes de responsabilité dans les institutions de leurs Etats», a-t-il expliqué. Et d’ajouter : «l’application de ces dispositions aussi bien au Burkina Faso qu’ailleurs en Afrique constitue un enjeu fondamental si l’on veut bien décourager à l’avenir les pratiques tendant à favoriser les changements anticonstitutionnels de gouvernement». Il a par ailleurs fait remarquer que plusieurs citoyens et pas des moindres, qui n’ont commis aucun acte d’antijeu, sont d’office exclus des élections présidentielle et législatives à venir sans que cela ne suscite des cris d’orfèvre au plan national et international. Il s’agit du président de la Transition, celui du Conseil national de la Transition et des membres du gouvernement et cela sans susciter des cris d’indignation de ceux qui crient à l’exclusion. Quant à la traque des biens mal acquis, elle permet, selon le constitutionnaliste, de saper les bases économiques des dirigeants corrompus et de rendre justice aux peuples spoliés.
Beyon Romain NEBIE
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