Suite à la décision du Conseil supérieur de la communication (CSC) suspendant les émissions interactives sur les ondes radiophoniques et télévisuelles, une équipe du journal « le Quotidien » a rencontré le Directeur général des Affaires juridiques du CSC, Louis Modeste Ouédraogo, le lundi 25 mai 2015 à Ouagadougou. Il s’est agi pour lui de se prononcer sur les tenants et aboutissants d’une telle décision.
Le Quotidien : Depuis le 7 mai dernier, le Conseil supérieur de la communication a interdit les émissions interactives sur les ondes radiophoniques et télévisuelles ; qu’est- ce qui a motivé cette décision?
Louis Modeste Ouédraogo : Cette décision a été motivée par le constat fait à l’issue d’une observation du contenu de ces émissions, laquelle observation a révélé de graves dérives pouvant être préjudiciables à la paix sociale. Nous avons remarqué qu’au cours de ces émissions, beaucoup de dérapages existaient, allant de la propagation de la rumeur, à l’incitation à la haine ; à l’intolérance religieuse en passant par la diffamation. Le CSC, étant conscient que ce n’est pas forcément par l’intervention directe à travers la sanction que le problème sera résolu, a commencé en début janvier à initier des formations au profit des animateurs de ces émissions d’expression directe et des médias en général à Ouagadougou et à Bobo Dioulasso. Par la suite, le CSC a organisé des séances de formation mais aussi des conférences publiques pour sensibiliser le public sur les dangers qui peuvent provenir de ces médias pour notre société. Parallèlement à ces actions, le CSC a conçu des micro -programmes qui étaient en train d’être diffusés en boucle à la radio et à la télévision nationales dans le but de sensibiliser tous les acteurs des médias à savoir les journalistes, les animateurs, mais aussi le public qui est en même temps consommateur et producteur de l’information. Nous avons visé à travers ces micro- programmes, les acteurs des médias, en vue de les sensibiliser sur les règles minimales à respecter quand on intervient à la radio ou à la télévision en direct, car il s’agit d’un espace public. Tout ce que vous pouvez vous dire dans les espaces privés ne convient pas, forcément, d’être entendu dans les espaces publics, or les ondes des médias sont des espaces publics. Il faut retenir que l’objectif principal de la prise de cette décision était de permettre que tous les acteurs se parlent pour trouver les voies et moyens pour un meilleur encadrement de ces émissions. Il fallait que l’on fasse une halte pour voir comment améliorer ces émissions . Nous nous sommes rendus compte que nous avons eu raison de le faire, en ce sens que tous les acteurs ont reconnu que ces émissions telles que conduites actuellement, avant la prise de la décision, posaient problème.
A votre avis, n’est-ce pas sévère d’étendre cette décision à tous les médias radiophoniques et télévisuels ?
Dire que c’est une décision sévère, je ne pense pas. Je peux admettre peut- être qu’il y ait des conséquences financières qui sont liées à cette mesure quand on sait que ces radios et télévisions, au moment de la diffusion de ces émissions, ont l’occasion d’exploiter des espaces publicitaires. C’est dire que la suspension pose quelques difficultés à ces médias et nous le comprenons. Quand vous dites que c’est sévère, il faut voir aussi les moyens adéquats qui s’offraient au CSC pour un meilleur encadrement de ces émissions. Il y a une décision, depuis 2003, qui règlemente la conduite des émissions interactives et la loi organique n° 015- 2013 donne, entre autres, mission au CSC de veiller à la protection de la personne humaine contre les dangers pouvant résulter de l’activité des médias. Si on doit appliquer clairement les termes de cette décision, aucune radio ni télévision au Burkina Faso ne respecte scrupuleusement ces dispositions, ni même celles des cahiers de charges auxquels les promoteurs ont adhéré. Et, si l’on devait appliquer rigoureusement les termes de cette décision, cela va sans dire que tous les médias seraient épinglés. Comme nous comprenons les contextes et les conditions dans lesquels fonctionnent ces médias, nous n’avons pas voulu appliquer rigoureusement les clauses de ces textes. Nous avons plutôt voulu réfléchir ensemble avec ces acteurs pour voir dans quelles mesures nous pouvons mieux encadrer le contenu de ces émissions. Si nous avions sanctionné une radio ou une télévision sans que l’opinion ne soit informée des circonstances et des contenus des textes, on allait encore nous condamner. Cette mesure n’est pas une sanction, mais une interpellation à l’endroit, non seulement du public consommateur de ces émissions, mais aussi à celui des animateurs et promoteurs, afin que chacun réfléchisse à comment il joue son rôle dans la conduite de ces émissions ? Le CSC se félicite d’avoir pris cette décision, parce que les conséquences sont déjà-là. Tout le monde est entrain de réfléchir y compris ceux qui la condamnent. Je suis sûr qu’après la levée de cette mesure, beaucoup de choses vont changer.
Jusqu’à quand cette mesure va-t-elle perdurer ?
Nous sommes en train de travailler à cela. Cela n’arrange pas le CSC, si toutefois cette mesure devrait perdurer. Nous travaillons à créer des espaces de liberté à travers l’octroi des autorisations de création des médias, en organisant des appels à candidatures. Le public dirait que c’est une obligation de le faire, je dirai que « non », cela n’est pas une obligation. C’est juste, parce que le CSC veut travailler à créer des espaces de liberté, donner la parole à ceux qui n’en ont pas, permettre aux citoyens burkinabè de jouir de leur droit à l’information et de pouvoir exercer leur droit à la liberté d’expression. C’est pourquoi il serait paradoxal, que le CSC travaille à supprimer la liberté d’expression. C’est en cela que nous réfutons clairement l’idée selon laquelle le CSC serait en train de supprimer la liberté d’expression. Cette mesure sera levée. Mais, nous ne pouvons pas lever la mesure pour la lever parce que les gens demandent de lever. Nous ne sommes pas tenus à l’agenda des gens. Tant que les objectifs visés par cette mesure ne sont pas atteints, la levée n’aura pas de sens. C’est pourquoi nous avons travaillé avec des promoteurs qui nous ont apporté des propositions, de même que des citoyens, allant dans le sens d’un meilleur encadrement des contenus de ces émissions. Nous avons déjà fait la synthèse, nous sommes parvenus à deux choses notamment : l’amélioration du contenu de ces émissions, à travers la révision de la décision de 2003 qui, d’une part, réglemente la conduite de ces émissions directes et leur adaptation aux nouvelles réalités et d’autre part à l’adoption d’une charte de bonne conduite de ces émissions. Dans notre démarche participative, nous avons décidé également d’envoyer ces documents qui renferment la synthèse des propositions aux promoteurs de ces radios et télévisions en vue de recueillir leurs amendements. Nous avons demandé aux promoteurs de signer une charte de bonne conduite juste après la levée de la mesure. C’est dans cette dynamique que le CSC s’inscrit à travers un chronogramme qui prévoit, le vendredi 29 mai 2015, pour la signature de la décision, de la charte et la levée de la mesure de suspension mais dont les effets commenceront à courir à partir du 30 mai. Nous sommes dans une démarche, les gens sont en train de menacer de faire un sit-in et ce n’est pas pour cela que nous allons raccourcir notre chronogramme qui avait été établi au préalable. Nous voulons bien faire, et ce n’est pas sous la pression que nous allons nous précipiter et mal faire. Si nous reprenons ces émissions, sans un minimum d’encadrement, sans limiter les dérapages, il y a deux dangers. Le premier est celui qui guette les médias eux-mêmes car ces émissions pareilles créent des victimes dont les rangs grossissent de jour en jour et qui se plaignent au CSC. Nous ne le souhaitons pas, mais ces victimes pourraient être tentées de se faire justice elles-mêmes, si aucune autorité, telle que le CSC, ne fait rien pour faire cesser les atteintes. Et elles pourraient malheureusement s’attaquer aux médias qui permettent la violation de leurs droits. Le second danger est que, si nous ne revoyons pas le contenu de ces émissions, c’est la paix et la cohésion sociale qui sont menacées. Le média audiovisuel, comme tous les autres médias, a une mission de service public de l’information. Le média doit avoir une utilité sociale avérée. C’est pourquoi d’ailleurs l’Etat accompagne l’existence de ces médias. Ils ne doivent pas être des canaux de division. Si l’on utilise mal nos médias, les conséquences seront graves. Non seulement les médias vont disparaitre, mais aussi la cohésion sociale sera mise à mal.
Ne pensez-vous pas que cette sanction a été prise à la hâte ?
Non, pas du tout. Ce n’est pas une sanction mais une mesure générale qui vise à prévenir les dérives constatées dans ces émissions d’expression directe. Bien sûr, nous ne pouvions pas faire l’unanimité, tout le monde ne pouvait pas nous comprendre. Lorsque nous avions pris la décision, certaines personnes nous ont compris aussi. Je ne parle pas des autorités, je parle de citoyens lambda qui ont appelé dire qu’il le fallait, qui ont salué cette mesure. Avant la prise de cette mesure, nous avions enregistré plusieurs plaintes de citoyens qui disaient n’avoir pas personnellement été victimes, mais qu’en tant qu’observateurs et auditeurs, ont peur quand ils entendent ce qui se dit sur les ondes de certaines radios. Ils se demandaient ce qu’attendait le CSC pour faire son travail. .Mais à chaque fois nous avons réussi à calmer les plaignants, tout en prenant au sérieux les cas de manquements signalés auprès de nos services. C’est pourquoi nous avons pris la décision, à titre conservatoire. Même si trois jours après nous avions levé cette suspension, elle aurait eu le mérite d’avoir fait réfléchir tous les acteurs du monde de la communication. Cette décision n’a pas été prise à la hâte, c’est une décision responsable qui a été difficile à prendre, mais elle était nécessaire. Car rien n’est au-dessus de la paix sociale, de l’intérêt supérieur du Burkina Faso.
Des organisations de la société civile et des associations professionnelles des médias s’élèvent contre cette décision. Qu’entend faire le CSC afin que les choses puissent rentrer dans l’ordre ?
A ce niveau, je ne peux pas vous dire ce que nous allons faire, mais elles ont leurs activités qu’elles mènent. Que ces associations condamnent, elles sont dans leur rôle. Nous leur reconnaissons ce droit-là. Mais que leurs activités nous empêchent pas de trouver une solution, cela n’aura pas de sens. Il faut que nous trouvions une solution et ce n’est pas parce que nous serons sous la pression des organisations professionnelles, avec qui le CSC a d’ailleurs beaucoup échangé sur la question, que nous n’allons pas le faire. Du reste, nous sommes très ouverts au dialogue. La preuve, nous avons reçu plusieurs associations, des promoteurs qui sont venus comprendre et nous leur avons expliqué le bien-fondé de cette mesure. Nous disons au peuple que nous ne leur arrachons pas leur liberté d’expression comme cela leur a été servi. Si cela était vrai, ce serait contradictoire en ce sens que si le CSC n’existait pas, il n’y aurait pas eu autant de radios et de télévisions, tout simplement parce que le manque d’encadrement allait être une menace même pour le développement du secteur. .
A l’heure actuelle, quel est le point des négociations avec ces organisations professionnelles des médias ?
Nous avons eu deux rencontres avec les promoteurs. Nous nous sommes entendus et ils ont reconnu tous, qu’il faut un meilleur encadrement de ces émissions et ont proposé des solutions. Nous avons préparé des projets de textes et nous attendons leur retour au plus tard, le mardi 26, pour les finaliser. Si cela est fait, ils seront signés et la décision sera levée.
La date du 30 mai que vous avez prévue, selon votre chronogramme, sera-t-elle vraiment respectée ?
Quand nous disons que nous allons lever la décision le 30 mai, beaucoup n’y croient pas. Mais nous avons un chronogramme que nous avons établi et bien détaillé et que nous allons respecter.. Nous tenons à garantir aux populations de s’exprimer librement sur les antennes, mais dans le respect des dispositions légales et réglementaires. Nous espérons que cette mesure aura fait réfléchir les contributeurs directs de ces émissions, ceux-ci devant désormais cultiver, en tout temps, la tolérance, la paix et arrêter de véhiculer des germes de la scission et de la division au sein de notre société.
Ces émissions interactives étant une forme d’expression de la démocratie au Burkina Faso, priver le peuple de celles-ci n’est-ce pas restreindre la participation de ce peuple au processus de la bonne gouvernance ?
Pas du tout. La démocratie est une affaire de tous les jours, ce n’est pas pour un donné. Le CSC a suspendu les émissions d’expression directe, le CSC n’a pas supprimé les émissions d’expression directe. La décision du CSC vise la manière de conduire ces émissions d’expression directe et non le principe, ni les autres bonnes manières qui ne permettent pas les interventions directes à l’antenne, sans possibilité d’arrêter l’intervenant en cas de dérapage. La preuve est que malgré la prise de la décision de suspension, certaines radios ont continué leur émission, mais sous un autre format plus amélioré. Ce qui veut dire que le peuple conserve sa liberté d’expression. Ce sont les interventions directes qui créent les dérapages que nous avons condamnés et non toutes les interventions directes sur les ondes. Il faut retenir que le CSC a exempté les interventions directes à caractère culturel, les émissions ludiques, les sensibilisations que nous jugeons d’ailleurs nécessaires pour une société. Ce qui sous-entend que les interventions directes continuent de s’effectuer sur les ondes. Je ne vois pas en quoi cette mesure est liberticide. Je pense plutôt qu’elle est nécessaire pour recadrer les choses. Est-ce parce qu’il y a eu une insurrection que l’on ne doit plus se soumettre à la loi ? Non, je ne le pense pas.
Bientôt les politiques seront en campagne ; qu’est-ce que le CSC prévoit pour leur permettre un accès libre et égal aux médias ?
Nous sommes déjà dans les préparatifs des élections. Nous marchons vers une vraie démocratie à savoir des élections libres et transparentes, non contestées. C’est pourquoi nous avons pris cette décision avant qu’on arrive aux élections. Nous voulons préparer une couverture médiatique du discours politique électoral qui soit respectueuse des règles établies en la matière. Nous voulons veiller à l’égal accès aux médias du secteur public par les candidats, les partis politiques et regroupements de partis politiques. Nous devons veiller au pluralisme et à l’équilibre de l’information, tant dans les médias publics que dans les médias privés. Cette décision du CSC s’inscrit dans cette dynamique. Déjà, le CSC organise un séminaire de formation à l’intention des différents acteurs qui devront intervenir dans le discours politique électoral, du 2 au 3 juin prochain, pour échanger avec eux sur les règles minimales à respecter pour que l’information électorale puisse profiter aux citoyens, et pour que les élections puissent se dérouler dans la paix.
Après la levée de la décision, qu’entrevoit le CSC comme mesure contre les contrevenants aux textes établis ?
Le CSC va continuera à travailler comme d’habitude, en attendant l’application effective des nouvelles propositions faites l’issue des concertations et qui garantissent un meilleur encadrement des émissions interactives. Tous les acteurs disent de sanctionner dorénavant les vrais coupables. Je pense qu’accepter vivre dans la vraie démocratie consiste également à accepter d’être sanctionné positivement ou négativement, conformément à la loi. Nous espérons ne pas avoir à le faire, sauf s’il s’agit bien sûr de sanctions positives.
Quels messages savez-vous à adresser aux promoteurs des médias et aux populations ?
A l’endroit des promoteurs, je voudrais leur demander de ne pas penser que le CSC travaille contre eux. Qu’ils n’oublient pas non plus que nous sommes en relation conventionnelle depuis très longtemps. Qu’ils sachent qu’au-delà de cette décision, nos relations conventionnelles se poursuivent. Nous sommes des partenaires, nous ne sommes pas des adversaires, et qu’ils ne se trompent pas de combat, car tout ce que le CSC a posé comme actes, c’est dans l’intérêt des médias, de la nation tout entière. Nous souhaitons leur accompagnement pour que les médias ne soient pas la source de troubles quelconques. Pour ce qui est de la population, des auditeurs, nous leur demandons de ne pas se tromper de combat car des gens tentent de leur faire comprendre que c’est un combat pour la liberté d’expression. Nous disons que cela est faux, parce que la liberté d’expression, ils l’ont pour toujours et ils ne la perdront jamais. C’est un acquis démocratique et cela va demeurer. Qu’ils se rendent à l’évidence que dans toute société démocratique, il y a des règles et s’ils se contentent de les respecter, ils vont conserver et mieux exercer leur liberté d’expression. Le CSC a travaillé depuis plus d’une vingtaine d’années à leur donner la parole ; alors, qu’ils ne pensent pas un instant que le CSC travaille à la leur retirer. Ce que nous sommes en train de faire, c’est de permettre au Burkinabè de vivre dans la paix, l’acceptation mutuelle, l’acceptation de la diversité, de la différence, et c’est ce qui fait la richesse d’une nation. Antoine de Saint Exupéry disait : « Si tu diffères de moi, frère, loin de me léser, tu m’enrichis ». Alors, nous devons faire de cette pensée notre leitmotiv pour la paix au Burkina Faso1
Interview réalisé par
Lawakila Rodrigue KABARI
(Stagiaire)