La fistule obstétricale, cette maladie au nom bien barbare constitue le cauchemar de nombreuses femmes au Burkina Faso. Méconnue, elle reste cependant un mal qui entrave l’épanouissement des femmes qui en sont victimes et qui dans le silence de la honte se murent. La fistule touche à la dignité et à l’intégrité physique de la femme. Mais heureusement elle se guérie. C’est la douleur mais aussi l’espoir des femmes victimes de la maladie que ces lignes traduisent.
10 h 45 mn, Nous sommes à Sabtoanga, dans la commune rurale de komsilga situé à quelques 25km de Ouagadougou. Sous des karités, un groupe de femmes tissent, plus loin à l’ombre de leur maisonnette un autre groupe devise et enfin sous un arbre d’autres se tressent. Une ambiance normale, dans un village normal avec non loin de là un petit potager, un poulailler, un élevage de porcs, moutons et lapins. Hélas derrière cette façade de vie tranquille, ponctuée d’éclats de rires cristallins se cachent la souffrance indicible des femmes victimes de la fistule obstétricale. Dès que la maladie est évoquée : silence, les larmes coulent.
C’est le cas de Sally Ouattara, 25 ans venue de Banfora. Quelle est donc sa petite histoire ? Cœurs sensibles s’abstenir : «je suis ici parce que j’ai contracté la maladie difficile appelé fistule. C’est vrai aucune maladie n’est aisée mais celle-là est très pénible à vivre pour nous femmes. Elle est honteuse et dès qu’elle se complique, la soigner est difficile. La fistule c’est un cauchemar pour moi. Tout a commencé lorsque je fus enceinte de mon premier bébé. Tous les neuf mois se sont bien passés malgré le fait que je n’étais pas suivi. Mais à terme ce fut là que tout s’est gâté. Quand le travail a commencé ni mon époux, ni personne n’à songer à me conduire à la maternité. J’ai souffert de longs jours avant d’y être conduite. A mon arrivé les agents de santé ont jugé nécessaire de m’opérer. Hélas c’était tard pour le bébé, il y est resté (ses yeux larmoient, elle soupire et renifle). Quelques temps après l’intervention, je constate que mes urines coulaient d’elle-même sans que je m’en rende compte. Je me suis demandé ce qui m’arrivait et j’ai signalé cela au médecin. En son temps, il m’a libéré en disant que j’avais une maladie qu’il ne pouvait pas soigner. Alors je me suis retiré chez moi condamné à une vie de recluse et à des lessives quotidiennes. Je me détestais et détestais ce mal. Un jour en écoutant la radio, j’ai entendu parler de fistule et telle qu’on la décrivait j’ai compris que c’était ce dont je souffrais. On a aussi parlé de la structure qui prenait les malades en charge. Avec le soutien de ma grande sœur je fis mon paquetage pour Ouagadougou et depuis je suis là. J’en suis à ma troisième intervention et jusque-là j’attends la bonne nouvelle qui ne vient pas : «que je sois guérie». Hélas mon cas est compliqué et les médecins m’ont fait savoir que cela nécessite une évacuation sanitaire à l’international. Alors depuis je suis là et j’espère car oui il y a encore de l’espoir pour moi. Mais malgré tout je dis merci à Dieu d’être ici, d’avoir connu la Fondation Rama et sa coordonnatrice et de profiter de soins grâce à votre institution (l’UNFPA). Vraiment je ne saurais exprimer ma gratitude, je resterai éternellement reconnaissante (là les larmes ont séché et son visage rayonne)».
Après notre échange sally reprend ses activités. De nature sans doute joviale, elle retrouve sa gaieté et se dirige avec une de ses camarades vers la fontaine. Nous la surprendrons revenant de la fontaine en chantonnant. Chant d’espoir, chant de joie que l’UNFPA à travers son partenariat avec la fondation Rama veut permettre à chaque femme victime de fistule d’entonner.
D’ailleurs elles sont de plus en plus nombreuses à pousser cette chansonnette, femmes convalescentes ou complètement guéries de la fistule qu’elles sont.
A l’image de Zénabou Soré, 32 ans. Premier signe réconfortant chez cette trentenaire débonnaire : elle éclate de rire au quart de tour, l’entretien promet donc d’être intéressant. « Moi j’ai été victime de la fistule après une césarienne. Après avoir trainé mon incontinence de long mois, mon mari a fini par me dire qu’il ne pouvait plus me gérer et m’a répudié. Alors je suis retourné à la concession de mon père, qui m’a alloué un petit lopin de terre que je cultivais loin des autres. J’ai subi le rejet, la honte et la réclusion pendant 3 ans. Jusqu’au jour où une victime de la maladie, guérie revienne dans le village. Très vite elle m’a approché et m’a accompagné ici. J’ai été reçue par la fondation Rama et je fus conduite à l’hôpital mais j’avais peur pour l’argent car je n’en avais pas. A ma grande surprise on m’a fait comprendre que tout cela était gratuit et que je n’aurai rien à payer car une organisation (l’UNFPA) l’avait fait pour moi. Grande fut ma joie. J’ai donc été opérée et j’ai quitté l’hôpital il y a tout juste 3 jours. Et jusque-là je n’ai eu aucune fuite alors je ne peux me m’empêcher de rire à chaque instant (elle est euphorique à n’en pas douter). Je suis très heureuse. On m’a dit de rester ici le temps de faire des contrôles sur une certaine période. Dès que ce temps se sera écoulé je retournerai chez mon père en attendant que mon mari veuille bien me faire revenir chez lui »
Loin de ces femmes convalescentes ou encore malades, il y’a celles qui après avoir traversé le désert respirent à nouveau le bonheur d’être pleinement femmes. Malades il y’a quelques années de cela, Awa Ouédraogo et Safiata Zongo sont aujourd’hui des femmes épanouies et actives dans leur milieu social que nous avons rencontré à Goghin dans la commune rurale de Tanghin-Dassouri. Séjourner avec elles, nous permet de dire qu’il y a une autre vie après la fistule surtout lorsque les victimes réussissent leur réinsertion socio-économique.
C’est le cas de Safiata Zongo «en vérité ce mal je ne le souhaite même à mon pire ennemie. J’en ai vraiment souffert, moi et tout mon entourage. Ma vie avec mes coépouses était devenue infernale. Mon mari impuissant face à ma détresse avait commencé à m’abandonner. Mais grâce aux soins dont j’ai bénéficié ma vie a carrément changé ! Imaginez-vous qu’elle est même devenue mieux qu’avant. En effet après l’intervention chirurgicale j’ai pu apprendre le tissage et dès que je suis rentrée et ayant repris des forces j’ai commencé à tisser (là elle nous montre son métier à tisser et sa quenouille). Cette activité me permet de contribuer substantiellement au besoin de ma famille. Regardez depuis que je suis guérie ma vie de couple est épanouie et donne même envie. Nous avons construit de nouvelles maisons et agrandit notre concession. Mes congénères qui lors de nos rencontres se faisaient des signes pour m’éviter sont devenues aimables avec moi. Vraiment je revis et je ne saurai suffisamment remercier mes bienfaiteurs. Mon mari, Allasane Kaboré est de nouveau attentionné et heureux en ma présence. Celui-ci juste à côté renchérit « franchement quitter du désespoir que nous avons vécu lors de sa maladie à aujourd’hui ou nous rayonnons de joie relève du miracle. Depuis qu’elle est revenue guérie, notre vie a qualitativement changé et je ne peux que me joindre à elle pour remercier Dieu et nos Bienfaiteurs (UNFPA et ONG Rama)» pour nous montrer combien il est heureux de notre visite, il nous gratifie d’un poulet !
Awa Ouédraogo nage dans le même bien-être : « nous avons retrouvé notre place dans notre communauté et même bien plus». Certaines même aimeraient être à notre place aujourd’hui.
De la fistule obstétricale, Parlons-en
La période de réclusion et de rejet que nous avons vécu n’est plus que mauvais souvenir. Cela fait 3 ans aujourd’hui que je suis guérie et de retour dans mon village. Grâce à la formation que j’ai reçue lors de ma convalescence à Ouagadougou, je fabrique du savon ici à Goghin et je fais le jardinage. Avec ça je soutiens mes 7 enfants qui sont encore à l’école. Aujourd’hui je vais partout où je veux dans le village sans problème. Tous nous ouvre leur porte et nous avons repris une vie sociale normale. Moi j’ai perdu mon mari quelque temps après ma guérison, mais maintenant je suis bien acceptée et intégrée dans ma belle-famille.
La fistule Obstétricale : de plus en plus on en entend parler mais peu de gens savent en réalité ce que c’est. Pour beaucoup de femmes, elle est la maladie de la honte. Celle qui fait que les victimes de ce mal se retirent de la vie communautaire et vivent un calvaire. La fistule est pourtant un problème mondial même s’il est vrai que le continent le plus touché par le mal reste l’Afrique. Elle survient d’ordinaire pendant un accouchement prolongé, quand la femme n’obtient pas à temps la césarienne qui serait nécessaire. Techniquement la fistule obstétricale est la constitution d'une communication anormale (une fistule) entre la vessie et le vagin (fistule vésico-vaginale) ou entre la vessie et le rectum (fistule vésico-rectale) survenant à la suite d'une grossesse compliquée.
Les fistules sont favorisées par le jeune âge de la parturiente et une malnutrition, entraînant un développement insuffisant du bassin. En effet plus la nouvelle maman est jeune et/ou souffre de malnutrition, plus le passage est difficile pour le nouveau-né (disproportion marquée entre la tête du bébé et le bassin, appelée dystocie). L'accouchement requiert alors une césarienne mais cette intervention n'est pas toujours disponible dans le tiers-monde. L’accouchement peut alors durer cinq jours ou davantage (contre quelques heures normalement) sans que la femme reçoive d’aide médicale. La pression prolongée qu’exerce la tête du bébé contre le bassin de la mère interrompt l’afflux du sang dans les tissus mous qui entourent la vessie, le rectum et le vagin, entraînant la nécrose du tissu. Dans les cas non fatals pour la mère, le fœtus décède lors de cet accouchement prolongé. Il se ramollit et parvient à être expulsé au bout de quelques jours. Une escarre (plaie) se forme au niveau du tissu nécrosé et la fistule se forme secondairement, après la chute de cette dernière. Elles se différencient des fistules post-chirurgicales par leur étendue plus importante, rendant une réparation beaucoup plus complexe.
Si la fistule est située entre le vagin et la vessie (vésico-vaginale), l’urine s’écoule en permanence, et si elle est située entre le vagin et le rectum (recto-vaginale), la femme ne peut plus contrôler le mouvement de ses intestins. Dans la plupart des cas, une incontinence permanente en résulte tant que la fistule n’est pas opérée.
Les femmes victimes de la fistule sont donc incapables de rester sèches. Elles souffrent ainsi l’humiliation permanente de dégager une odeur d’urine et/ou d’excréments. Il peut aussi leur être difficile de marcher parce que les nerfs des membres inférieurs sont atteints. Elles sont souvent rejetées par leur époux ou leur partenaire, évitées par leur communauté et blâmées de leur état. Les femmes non soignées non seulement peuvent s’attendre à une vie de honte et d’isolement, mais risquent aussi de connaître une mort lente et prématurée pour cause d’infection et d’insuffisance rénale. Parce qu’elles sont pauvres et ne comptent pas sur le plan politique, sans oublier l’opprobre attaché à leur condition, ces femmes sont restées dans une large mesure invisibles aux responsables tant à l’intérieur qu’en dehors de leur pays.
La fistule n'est qu'une partie des conséquences possibles d'un difficile accouchement sans césarienne. Ce dernier peut se compliquer également par un rétrécissement du vagin, une insuffisance rénale, une stérilité et des troubles de la marche secondaire à la lésion des nerfs moteurs comprimés.
Heureusement les femmes victimes de ce mal ne sont pas condamnées à vivre leur souffrance recluses dans l’obscurité de leur maison. Le plus souvent une intervention chirurgicale permet de les faire retrouver une nouvelle vie. Mais l’idéal c’est de prévenir ce mal en luttant contre la première cause qu’est le mariage précoce.
Quelques statistiques
La prévalence de la fistule vésico-vaginale est estimée à 3 000 000 de femmes. Elles sont exceptionnelles dans les pays développés et ont d'autres causes (tel le cancer ou les complications de chirurgies).
L'incidence des accouchements difficiles a été estimée à près de 6 500 000 cas/an dans les pays défavorisés, entraînant une incidence annuelle théorique de près de 130 000 fistules obstétricales.
Il s'agit de la complication non mortelle la plus fréquente des accouchements dans ces pays.
Les fistules peuvent être également dues à d'autres causes : traumatiques dont les complications des mutilations génitales féminines, infectieuses… Mais l'accouchement compliqué en est la principale cause. Les fistules obstétricales constituent une pathologie grave qui touche actuellement 3,5 millions de femmes en Afrique et en Asie, avec 130 000 nouveaux cas dépistés chaque année (OMS 2009). La fistule obstétricale constitue un problème médical grave et comporte également une dimension socio-économique à ne pas négliger.
Les fistules ne constituent pas uniquement un problème de santé publique, mais surtout une problématique plus profonde enracinée dans les normes sociales, avec des conséquences sur les relations entre les sexes, les droits humains et le développement économique. En 2003, le Fonds des Nations unies pour la population a lancé la campagne mondiale d’élimination des fistules obstétricales.
Cette lutte est multidisciplinaire et doit impliquer plusieurs acteurs. Ainsi, afin de permettre à ces différents acteurs de s’impliquer dans la lutte contre les fistules obstétricales, la fondation RAMA en collaboration avec la direction la santé de la famille et l’appui technique et financier de l’UNFPA organise une journée d’information et sensibilisation en faveur des artistes musiciens du Burkina Faso.
Bénédicte Bama/Toé,
Unité de communication UNFPA