J’ai fait le constat que ces derniers temps à Ouagadougou, nous sommes nombreux à nous plaindre. Venant de moi, ce n’est pas étonnant. Tout le monde le sait, je suis fou. Mais pour les autres, cela me paraît si bizarre que j’ai cherché à comprendre. En fait, l’explication est simple : les coupures intempestives de courant font que les gens se promènent avec le chargeur de leurs téléphones portables, pour pouvoir, où qu’ils se trouvent, recharger leurs batteries dès que l’électricité revient ou dès qu’ils trouvent au moindre endroit, du courant. Car, il faut le dire, les gens en ont ras-le-bol à la fin ! Quand il y a coupure, on ne sait pas combien de temps ça va durer. Certains quartiers de Ouagadougou passent souvent même des journées entières sans électricité. Il arrive même qu’on soit privé d’électricité du matin au soir ou même jusqu’à la nuit. En quête de ma pitance dans un quartier de la ville, j’ai pu le constater. C’est du jamais-vu. Et moi, fou, j’en ai gros sur le cœur !
Ce que je déplore le plus dans cette situation, c’est que le soudeur du quartier a arrêté de me gratifier de quelques pièces de monnaie. Je n’ai pas osé lui demander pourquoi, car à voir la mine qu’il affichait, cela aurait pu provoquer une bagarre si j’avais tenté de savoir de quoi il retournait. Qui est fou ? J’ai compris qu’il y avait longtemps qu’il se tournait les pouces, délestage oblige. Et il n’est pas seul dans ce cas. Tous ceux qui ont besoin de l’électricité pour travailler sont presqu’au chômage. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les affaires vont très mal. Prenez l’exemple de Moussa, le tailleur du quartier. Les femmes qui lui avaient confié leurs tenues à coudre, menacent chaque jour de retirer leurs tissus. Il sue toujours à grosses gouttes dès qu’une dame franchit le seuil de la porte de son atelier. Et ça se termine toujours par la bagarre. Pourtant, ce n’est pas sa faute. Il n’arrive pas à travailler, ses machines étant électriques et donc incapables de fonctionner. Quant au boutiquier du coin, il a arrêté de s’approvisionner en produits du frais : yaourt, chocolat, etc. Par ces temps qui courent, en faire la vente, c’est mauvais pour les affaires. Il ne veut pas faire de mévente. En tous les cas, il faut que quelque chose soit fait pour sortir le pays de cette galère, car les conséquences économiques des délestages sont énormes. Cela se ressent dans tous les domaines d’activités. L’économie se porte mal, en partie à cause des délestages. Et tout le monde s’en plaint. Même moi, je peux témoigner, j’ai de plus en plus du mal à joindre les deux bouts. Les bons samaritains se font de plus en plus rares.
La transition a peut-être hérité d’une patate chaude, mais cela ne l’exonère pas
Le gouvernement doit réagir. Il ne faut pas que le Burkina ressemble à la Guinée où l’électricité est distribuée avec parcimonie, à tour de rôle aux quartiers. A tel point que je m’amuse souvent à dire que le peuple de Guinée est plus abonné aux délestages qu’à l’électricité. En tout cas, je tire la sonnette d’alarme. Je le fais d’autant plus que j’ai lu sur une page de journal que j’ai ramassée, que les syndicats de la SONABEL, pointant du doigt la vétusté des machines, relevaient que le pire est à venir, si rien n’est fait. Han ! Si l’enfer est devant nous, avec ce qu’on voit déjà, on va entrer où ? Et pour ne rien arranger, on doit aussi faire face aux pénuries d’eau.
Voir l’eau couler des robinets est devenu aussi rare que les larmes d’un chien. Il faut se réveiller tard dans la nuit pour faire des réserves. Mais, ceux qui ont des robinets chez eux n’ont rien à envier à ceux qui s’approvisionnent dans les bornes-fontaines. Là, c’est pire. Hier, par exemple, j’ai vu une animation inhabituelle dans un quartier de la ville de Ouagadougou. M’étant approché pour comprendre, quelle ne fut ma surprise de voir tantie la restauratrice du quartier, l’œil au beurre noir, vociférer. Elle venait d’être tabassée par d’autres femmes qui estimaient qu’elle trichait pour être servie rapidement. Et malheureusement, de telles bagarres sont devenues encore plus fréquentes en ce genre d’endroit. On va où finalement ? Un pays qui manque cruellement d’eau et d’électricité ! Même sous le règne de Blaise Compaoré, on n’a pas vu ça. Décidément, quelqu’un a eu raison de dire que plus rien ne sera comme avant. De mémoire de fou, c’est la première fois que je vis avec une telle intensité, les coupures intempestives d’eau et d’électricité à Ouagadougou.
Et le pire dans tout ça, c’est qu’on ne voit rien venir. Comme si tout le monde se résignait à accepter la situation. Mais parlant du régime déchu, je me demande si les difficultés que traverse la SONABEL ne sont pas dues quelque part à la gouvernance de l’ancien régime. C’est sans doute un passif de la gestion des affaires par les puissants d’hier, que nous sommes en train de payer en ce moment. Et si c’est le cas, la transition devrait aussi nous le dire. La transition a peut-être hérité d’une patate chaude. Mais, à mon avis, cela ne l’exonère pas. Surtout qu’elle ne communique pas assez sur ce point. Il faut que les autorités actuelles se réveillent. En tout cas, si ça continue ainsi, moi je risque de péter davantage les plombs.
« Le Fou »