La Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (NASAN) est une initiative lancée par le gouvernement américain au sommet du G8 de Camp David en juin 2012 pour aider les pays africains à lutter contre la faim et améliorer la nutrition dans le continent. Trois ans après son lancement, qu’en est-il de sa mise en œuvre au «pays des Hommes intègres» ? Les producteurs burkinabè ont-ils reçu les financements tant espérés dans le cadre de cette nouvelle alliance ? Constat !
Saïdou Ouédraogo est un agriculteur privé. Maraîcher, son activité, il l’exerce autour du lac Dem, dans la région du Centre-nord. Producteur de tomate, de choux, de haricot vert destinés au marché local, son chiffre d’affaires se situe entre 100 et 150 millions de F CFA. Directeur de la société Pickou, il a été sélectionné pour bénéficier du financement de la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (NASAN). Mais, il affirme à ce jour, n’avoir reçu aucun kopeck. «Il y a eu une incompréhension dès le départ. Car, beaucoup pensaient que c’est un projet qui venait animer nos entreprises agricoles privées, comme ils nous l’ont fait comprendre. Ce qui a fait que nous avons presque tous soumissionné. A la longue, nous avons compris qu’ils servent de courroie de transmission entre des éventuelles financiers (entreprises privés internationales) et les soumissionnaires», soutient-il, lui qui espérait obtenir du cash pour le développement de son activité agricole. Aujourd’hui, même si son entreprise Pickou fait toujours partie des potentiels bénéficiaires de l’«aide» des pays du G8, il dit ne plus croire en la NASAN. Qu’en est-il exactement ? En effet, les membres du gouvernement du G8 et celui du Burkina Faso se sont engagés à travailler ensemble pour mobiliser davantage d’investissements privés dans le développement agricole, encourager l’innovation, obtenir des résultats durables en matière de sécurité alimentaire, réduire la pauvreté et éliminer la faim. A travers la NASAN, le G8 impose aux Etats africains qui en sont membres de modifier leurs législations nationales pour les rendre plus favorables aux investisseurs privés, en particulier internationaux. Cela devrait se traduire par des réformes tarifaires et douanières favorisant les importations des entreprises internationales, des réformes fiscales avec la création de zones franches sur lesquelles les richesses créées ne bénéficient qu’aux investisseurs privés sans aucune redistribution. A celles-ci, s’ajoutent la facilité d’accès au foncier domanial pour les entreprises membres de la NASAN, les politiques de semences qui renforcent les propriétés intellectuels en faveur de grandes multinationales de semences comme Monsanto, Dupont et Syngenta. Dès son lancement, la NASAN est apparue comme une opportunité à saisir par les autorités burkinabè pour réduire la faim et lutter contre la malnutrition sur les 274 000 km2. Ce qui a conduit le «pays des Hommes intègres» a adopté des nouvelles mesures pour l’atteinte des objectifs escomptés, faire sortir 1,6 million de personnes de la pauvreté d’ici à 2022.
Un mauvais deal pour le Burkina Faso ?
Pour le coordonnateur du Secrétariat permanent des organisations non gouvernementales (SPONG), Sylvestre Tiemtoré, cette nouvelle alliance qui, à l’origine, était destinée à faire sortir les pays subsahariens de l’insécurité alimentaire et à financer les producteurs agricoles, a un bilan mitigé, trois ans après son lancement. Car les capitaux attendus dans les pays du Sud, en l’occurrence au Burkina Faso sont «invisibles». Ce qui suscite, selon lui, l’inquiétude chez les producteurs et témoigne de l’inefficacité de cette nouvelle alliance censée dynamiser le secteur agricole pour sortir les pays africains de l’insécurité alimentaire récurrente. «De notre analyse, cette NASAN ne va pas apporter de nouveaux fonds comme les pays africains l’attendaient. Parce que lorsqu’on dit que c’est un financement privé, avec le tissu économique d’un pays comme le Burkina, on peut douter que notre secteur privé puisse financer de façon structurante l’agriculture», explique le coordonnateur du SPONG. Or, beaucoup d’acteurs privés sont plus intéressés par l’accaparement des sols que par un investissement structurant dans le secteur agricole, dénonce-t-il. Dans l’esprit de la NASAN, les textes des pays doivent être plus attractifs pour de nouveaux investisseurs internationaux. «Qui sont ces investisseurs ?», s’interroge-t-il ? «Beaucoup d’acteurs au niveau des grands agropoles comme Bagré qui attendaient ces ressources et qui avaient cru que la NASAN allaient apporter de nouvelles ressources ont commencé à déchanter. Car, ils ont compris que ce sont de nouveaux mécanismes et un ensemble de mesures à mettre en place pour permettre au privé d’investir. Or, ce n’est pas cela, le deal au départ», s’indigne le coordonnateur Sylvestre Tiemtoré. Déception ou incompréhension ? En tous les cas, pour lui, cette nouvelle trouvaille du G8 est une nouvelle «arnaque» sur la sécurité alimentaire et la nutrition pour les pays africains. «Pourquoi, nos Etats sont-ils capables de dégager leurs priorités et de se laisser distraire par de nouvelles initiatives qui n’ont aucun contenu et qui ne changeront rien en réalité dans leurs politiques pour atteindre l’autosuffisance alimentaire», se demande-t-il. En réalité, il pense que cette nouvelle stratégie n’a aucune garantie pour assurer la sécurité alimentaire aux pays bénéficiaires. Paraphrasant le président de la Confédération paysanne du Faso (CPF), Bassiaka Dao, il déclare : «On ne peut pas se développer en confiant son ventre à l’extérieur». Pourtant, les efforts des pays africains pour promouvoir le secteur agricole remontent à 2003 où les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine ont adopté à Maputo au Mozambique, un Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA) en l’assortissant d’une déclaration sur l’agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique.
Soutenir les producteurs locaux
La déclaration obligeait chaque Etat africain à consacrer au moins 10% de son budget public au secteur agricole. Et ce, conformément aux Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) visant pour 2015, l’objectif stratégique de la sécurité alimentaire, l’accès des pauvres à une alimentation et une nutrition adéquates. Selon la présidente de la Fédération nationale des industries agroalimentaires de transformation du Burkina (FAIB), Simone Zoundi, pour le développement de l’initiative, depuis 2012, dix entreprises (FAIB, Pickou…) ont signé des lettres d’engagement pour contribuer à développer des investissements dans l’optique de contribuer à la lutte contre l’insécurité alimentaire et à la malnutrition. Mais, trois ans durant, la recherche de partenariats internationaux n’a pas produit les résultats escomptés. «Parmi les 10 entreprises, quelques-unes ont eu des promesses de collaboration de la part des industries étrangères qui sont restées sans suite», explicite Mme Zoundi. Selon les perspectives que laissait entrevoir le G8, les partenaires dit-elle, doivent accepter de venir partager la création de ces unités tout en les soutenant pour développer les industries agroalimentaires locales qui contribuent à la lutte contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Face à cette situation, elle estime qu’il sera très difficile pour la NASAN d’aider les agro-industries burkinabè, car les investissements prévus peinent à voir le jour. «Il faut être réaliste. La réalisation des investissements pose problème», dénonce la présidente de la FIAB. «Avec le G8, nous avons souhaité développer les coentreprises, c’est-à-dire, les partenaires du Nord peuvent venir avec les investissements et collaborer avec nous», propose-t-elle. L’initiative de la coentreprise pourrait être soutenue par les autorités politiques afin qu’ils y aient plus de confiance pour que nous puissions développer nos activités agroalimentaires, poursuit-elle.
Un danger pour les exploitations familiales ?
Président de l’association des producteurs de Komsilga, Jean-Baptiste Ouédraogo, ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, lutter contre la faim, ne signifie pas augmenter les volumes de céréales produites ou de légumes pour l’exportation, principalement. Mais, d’investir dans les plus pauvres, et leur donner les moyens d’améliorer leur sort. «A ce jour, pourtant, on peut se demander si la pauvreté, l’insécurité alimentaire et nutritionnelle sont vraiment les préoccupations principales des acteurs de la NASAN», s’indigne M. Ouédraogo. A l’entendre, les mesures incitatives à l’investissement privé prises dans le cadre de la NASAN risquent de déboucher sur une incapacité pour les Etats à obtenir les ressources nécessaires à leurs propres investissements et à mettre en péril les exploitations familiales. D’où l’inquiétude de Sita Diallo qui produit depuis plus d’une décennie pour sa subsistance. «Les agriculteurs familiaux et les paysans représentent à la fois les populations les plus vulnérables à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle en Afrique, et les principaux investisseurs dans l’agriculture africaine», argumente M. Diallo. Deux raisons pour lesquelles, selon lui, il semble à la fois incohérent et injustifiable de les exclure de la NASAN. Du bilan de la NASAN, en août 2014, M. Franck Humbert, conseiller de coopération et d'actions culturelles à l’ambassade de France au Burkina Faso, affirme qu’il est mitigé, car tous les objectifs n’ont pas été atteints tels qu'ils avaient été définis dès son lancement en 2012. «Les objectifs ont été atteints entre 50 à 60%. Des actions qui impliquent beaucoup d’acteurs sont déjà engagées et cela prend énormément de temps», se défend-il. Il fait savoir que, l’engagement des partenaires techniques et financiers, des pays du G8 à soutenir la NASAN, s’évaluait à 190 milliards de F CFA, hormis la contribution de la Banque mondiale. «La France a annoncé 30 milliards de F CFA. Cette somme a été mobilisée. La France va même dépasser ses engagements. L’aide de la France n’est pas destinée à appuyer les entreprises. Nous travaillons avec le gouvernement burkinabè dans le cadre de la coopération bilatérale, pour aider les populations», précise M. Humbert. Toutefois, il conseille que pour une mise en œuvre réussie de la NASAN, il faut des réformes institutionnelles, créer la confiance pour que les investisseurs interviennent dans le secteur agricole sans léser les petits producteurs. Ce qui permettra, dit-il, d’améliorer la production agricole au Burkina Faso. C’est pourquoi, ajoute-t-il, la France et l’Allemagne ont souhaité travailler sur l’aspect foncier. «Beaucoup de partenaires et ONG sont vigilants sur cette question et c’est une bonne chose. Mais, il faut le concrétiser par cette loi foncière qui implique beaucoup d’acteurs qu’il faut tous mettre d’accord», déclare-t-il. Outre l’aspect foncier, M. Humbert insiste que pour une mise en œuvre réussie de la NASAN, il convient aussi de réviser la loi sur le code d’investissement. «Plusieurs petits agriculteurs n’ont pas accès aux banques. Donc, il faut pouvoir développer les micros-crédits tout en organisant le secteur pour que des investissements nouveaux puissent permettre une production agricole plus importante, une meilleure sécurité alimentaire», soutient-il. La présidente de la FIAB à d’autres propositions. Au pays du G8, elle les invite à trouver des garanties d’accompagnement des Petites et moyennes entreprises (PME). Pour l’atteinte des objectifs escomptés, Saïdou Ouédraogo, directeur de l’entreprise Pickou, par ailleurs directeur de la chambre régionale du Centre-nord propose : «si la NASAN, ne peut garantir au Burkina la sécurité alimentaire, il faut que l’Etat finance les producteurs qui pourront booster la production agricole intérieure». Nos multiples tentatives pour joindre le comité permanent de lutte contre l'insécurité alimentaire et le ministère en charge de l’économie pour connaître respectivement la stratégie de mise en œuvre de la NASAN, l’état de l’insécurité alimentaire et les financements reçus par l’Etat burkinabè dans le cadre de ce programme sont restées vaines.
Abdel Aziz NABALOUM