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Art et Culture

Critique de cinéma : nécessaire réajustement
Publié le jeudi 21 mai 2015  |  L`Observateur Paalga




L’urgence à jouer au prescripteur pour le lectorat et la brièveté critique inclinent le critique de cinéma à être très schématique et convenu dans la presse. Le défi est de passer d’une autopsie du film à une critique qui prend appui sur le film pour mener une réflexion sur le monde.

Jean Michel Fredon, dans la Critique de cinéma, fait le distinguo entre la critique de film, qui est l’enfance de la critique cinématographique, et la critique de cinéma, qui est son stade ultime. La critique de film consiste à évaluer un film en rapport avec les canons supposés d’un bon film. Quant à la critique de cinéma, elle part d’un film pour entreprendre une réflexion sur ce que ce film dit du monde. Le film devient dès lors une lucarne à travers laquelle le critique voit la maison monde.

On peut donc dire que la critique de film est un dépeçage. Le film est comme une bête que l’on suspend au croc du boucher, à charge pour le critique de la dépiauter, de l’éventrer pour examiner le volume du foie, la qualité des boyaux, le rosé des poumons et la solidité des os. Et la critique dans ce cas relève du travail de boucherie. Au finish, on n’a plus un film mais un tas de morceaux. Certaines à déguster et d’autres à jeter. Un jeu sanglant qui peut plaire à un amoureux du morbide, mais qui laisse le cinéphile sur une mauvaise conscience.

La critique de cinéma est affaire de cinéphile, et, comme disait Serge Daney, la cinéphilie, ce n’est pas seulement un rapport particulier au cinéma, c’est plutôt un rapport au monde à travers le cinéma. La critique ne porte pas avec elle une serrure dont elle forcerait le film à en être la clé. Elle n’est pas un inventaire des qualités et faiblesses du film. C’est plutôt une main donnée au film pour une excursion amusée dans le monde. Le film est un ticket pour une traversée. Et de la rencontre du film et du critique naissent des mots qui doivent transmettre au lecteur la poésie et la beauté de ce face-à-face. Mais il n’y a pas un plaisir du texte sans auparavant une rencontre avec le film. Celle-ci peut être jubilatoire mais perturbante.

Le critique, comme dit Daney, sait qu’«il est né quelque part dans une histoire du cinéma, qu’il habite le labyrinthe encore mal connu de l’histoire du cinéma pour y vivre par procuration, y rêver le monde et en tirer un recueil d’écrits [...] pour s’y raconter son histoire, s’y délirer une généalogie faite de films ».

Pour prendre une image du terroir, on peut comparer le film à l’entrée du vadgo ! Le vadgo est cette grotte de la légende nionoga qui conduit le chasseur dans un monde souterrain plein de délices. Il est dit que l’entrée est un soupirail caché dans un buisson sur lequel le pied du chasseur chanceux peut buter. Il suffit qu’il écarte quelques branchages, s’y glisse, et descende un boyau qui le conduit vers un territoire souterrain verdoyant, peuplé d’animaux, d’oiseaux, de sources fraîches et de djinns qui peuvent lui révéler des secrets. Il en revient plus informé des choses du monde et des secrets de la vie sur terre. Il faut imaginer le film comme l’entrée du vadgo. Le critique est le chasseur qui en revient mieux instruit de la compréhension du monde et partage cette aventure avec les autres.

Dans la critique de cinéma, on refuse l’enfermement dans un film, on est dans la résonance entre les films et le monde ; ils dialoguent, se télescopent, se confondent ou divergent. Dans une telle démarche, tout film ou morceau de film est un prétexte pour un meilleur usage du monde pour emprunter le titre d’un livre de Nicolas Bouvier. Ainsi on verra que Tilaï, dès le générique qui s’ouvre sur un homme de dos sur un baudet et qui disparait derrière la colline, est un film fordien (John et pas d’autres) sur la fragilité des hommes seuls et l’éternité du paysage figé dans sa minéralité.

Ainsi on ne reprochera pas à Boubacar Diallo ces films fast-food sans mentionner qu’il est le pompier du cinéma burkinabè. Sans sa quinzaine de films qui maintinrent les salles en perfusion au moment où il était impossible pour la plupart des réalisateurs de tourner, l’idée d’un cinéma local aurait disparu. Chaque film de Boubacar est un sac de sable jeté dans l’eau pour ériger une digue contre l’engloutissement du cinéma burkinabè. On ne demande pas à une digue d’être belle mais d’être solide. Et de Pierre Yaméogo on oubliera les maladresses pour ne retenir que la force d’une filmographie impertinente qui ne connaît pas de tabou, qui déchire les voiles, tombe les masques de la société burkinabè pour montrer les iniquités de ces institutions: famille, Etat, Eglise, traditions, etc.

De Gaston Kaboré, on reviendra toujours à Wend-Kuuni même si Buud Yam est celui qui a eu l’Etalon de Yennenga, car ce road movie à travers le Burkina ancien, il transporte moins que Wend Kuuni assis sur son tertre à suivre un troupeau ! Qui a oublié la flûte de Wend-Kuuni et ses notes qui dispersaient sa tristesse aux quatre vents ?

Une critique de cinéma devrait ouvrir à la compréhension du monde et de l’image et non être un objet posé sur le trébuchet pour en connaître le poids. Peut-être que les articles en lignes, peu soucieux de longueur du texte, seront les plus aptes à prendre le film comme appui pour soulever le monde et voir ce qu’il y a en dessous. Comme le levier d’Archimède !



Saidou Alceny Barry
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