Les habitants de Séguénéga les attendaient avec impatience et ils ont effectivement effectué le déplacement. Eux, ce sont Luc Marius Ibriga et Ismaël Diallo, respectivement contrôleur général d’Etat et porte-parole du Front de résistance citoyenne (FRC). C’est dans une salle pleine à craquer que les orateurs du jour ont, dans un langage de franchise, retracé le 16 mai dernier, le film des évènements des 30 et 31 octobre 2014.
La Transition, ses grands défis, enjeux fondamentaux et perspectives, tels sont les points sur lesquels le contrôleur général d’Etat a tablé sa communication.
Pour lui, après la mise en place des organes de la Transition, trois grandes catégories de défis lui barraient la route.
D’abord, les attentes sociales marquées par des manifestations de toutes sortes.
« Chacun veut trouver la solution à son problème et tout de suite. Mais en réalité, tous les problèmes ne peuvent pas être résolus au cours de la Transition », confesse Luc Marius Ibriga qui suggère au gouvernement de privilégier l’écoute et le dialogue.
Le deuxième grand défi vu par Ibriga concerne les attentes de la communauté internationale. Celle-ci a pour priorité, l’organisation des élections. La satisfaction des attentes des populations reste à ses yeux le dernier des soucis de la communauté internationale.
Quant à la troisième et dernière catégorie de défis, elle a trait à la vacuité des caisses de l’Etat. « Les caisses sont vides alors que les demandes sont fortes, pressantes et légitimes », reconnaît l’ex-président du FOCAL.
Dans ce contexte, a-t-il fait savoir, la Transition fait face à trois feux particulièrement nourris.
D’un côté, la pression sociale et celle de la communauté internationale et de l’autre, la survivance du système Compaoré. « Ne nous faisons pas d’illusions, le serpent n’est pas encore mort et il faut travailler véritablement à l’éliminer totalement. Il y en a qui ont juste tourné la veste, mais ils n’ont jamais changé », a soutenu M. Ibriga. Je souhaite que la Transition joue le jeu du réalisme et de la vigilance. Nous voulons une République où les gouvernants ont peur des gouvernés, a-t-il martelé. Les événements des 30 et 31 octobre 2014 sont-ils une révolution ou une insurrection populaire? Sur cette question, Luc Marius Ibriga, après analyse, a déduit que les évènements des 30 et 31 octobre 2014 relèvent d’une insurrection populaire et non d’une révolution.
« C’est un peuple qui s’est insurgé contre une présidence à vie, contre une dictature féroce. Or, une révolution suppose qu’un changement radical de système de gouvernance a été instauré », a-t-il donné comme nuance. Selon Luc Marius Ibriga, le peuple a désapprouvé, de la façon la plus véhémente, une gouvernance clanique.
« Il s’est agi d’une insurrection réformiste dans le but d’asseoir une bonne gouvernance. C’était pour empêcher l’adoption de la révision de l’article 37 de la Constitution qui devait permettre à Blaise Compaoré de prolonger son pouvoir à vie », a-t-il clamé avant de poursuivre : « L’intention du peuple n’était pas de chasser Blaise du pouvoir, mais le peuple s’est rendu compte que le régime était affaibli. Le pouvoir était par terre et comme le fruit était mûr, il fallait le cueillir ». Et d’expliquer que la non- préparation de la chute du régime a laissé place à toutes les tergiversations tant du côté de l’Armée, de la société civile que des politiques. A en croire le conférencier, ce cafouillage a permis aux militaires de prendre les rênes du pouvoir. Puis, ceux-ci ont commis l’erreur fatale de dissoudre la Constitution d’autant plus qu’il ne s’agissait nullement d’une révolution. Et c’est cela, a-t-il dit, qui a conduit à la marche du 2 novembre 2014 pour exiger le rétablissement de la Constitution du 2 juin 1991. De compromis en compromis, on devait assister à l’accouchement de la Charte produite par 4 composantes : l’Armée, la société civile, les acteurs politiques, les religieux et coutumiers. Dans le même temps, le Conseil constitutionnel devait constater la vacance du pouvoir qui, précise-t-il, devait en la matière profiter au président de l’Assemblée nationale. « Mais comme il (ndlr : Soungalo Apollinaire Ouattara) a pris la poudre d’escampette comme Blaise Compaoré, il fallait trouver un autre chemin de consensus pour combler le vide à la fois institutionnel et constitutionnel », a-t-il indiqué, avant de préciser que la société civile a été la composante qui a proposé la rédaction d’une Charte.
Le co-conférencier, Ismaël Diallo Ouédraogo (ndlr : le dernier nom lui a été donné par les organisateurs pour signifier qu’il a été accueilli comme fils de Séguénéga), a demandé aux Séguénégalais d’être des citoyens et non des sujets. « Voulez-vous être des citoyens d’une République ou des sujets d’une Royauté ? », leur a-t-il lancé. « N’ayez pas peur de vos dirigeants ; exposez-leur toutes vos préoccupations et cessez d’être des béni-oui-oui », a-t-il ajouté.
Il s’est attaqué à la corruption électorale qu’il a qualifiée de mal destructif. « Il ne faut jamais prendre 10 000 F CFA pour donner votre voix à un candidat. Si vous le faites, vous ne serez plus capable de lui dire ce qui ne va pas », leur a-t-il signifié. Le communicateur a dénoncé le vote basé sur les considérations ethniques, religieuses, claniques, régionalistes, etc. « Si la route de Séguénéga est mauvaise ou si c’est le centre de santé qui a des problèmes, ce n’est pas la faute au président Michel Kafando ni au Premier ministre Yacouba Isaac Zida ; c’est plutôt à vous les habitants de Séguénéga. Plus rien ne doit être comme avant et chaque Burkinabè doit se mettre cela en tête », leur a-t-il dit.
Au chapitre des questions-réponses, le problème des lotissements s’est largement invité aux débats. Les Séguénégalais se sont aussi préoccupés de la mesure prise par le Conseil supérieur de la communication (CSC) de suspendre les émissions d’expression directe.
Et la réaction de Luc Marius Ibriga a été on ne peut plus claire. « C’est une mesure excessive et ce n’est pas parce qu’un seul habitant de Séguénéga a commis une faute qu’on doit sanctionner toute la localité. Cette affaire est simple : les journalistes doivent saisir le tribunal administratif au lieu de faire du bruit là-dessus ». Quant au président du Mouvement burkinabè pour l’émergence de la justice sociale (MBEJUS), Alexandre Pagomdziri Ouédraogo, il s’est dit satisfait des échanges, car, pour lui, le fait de pouvoir réunir ces hautes personnalités à Séguénéga pour parler de la transition, est une prouesse. Il faut noter que c’est sur invitation de l’Union sacrée pour le développement de la commune de Séguénéga, en partenariat avec le MBEJUS, que l’organisation de cette conférence publique a été possible.
Hamed NABALMA