S’il y a une affaire qui défraie actuellement la chronique au Bénin, c’est bien celle de détournement de fonds d’aide d’environ trois milliards de F CFA, destinés à un projet d’accès à l’eau potable. Cela n’est certes pas une première dans ce pays qui compte beaucoup d’éléphants blancs en la matière, comme l’affaire ICC-Services, du nom de cette structure illégale de collecte d’épargne et de placement qui avait éclaté en 2010. On se souvient aussi des détournements de fonds dans la filière coton. Mais cette dernière affaire à de quoi faire ergoter. En effet, mis en cause et poussé la semaine dernière vers la porte de sortie du gouvernement par ce scandale, Barthélémy Kassa, l’ex-ministre de l’Energie et de l’eau, est allé prendre fonction au Parlement, aux côtés de ses pairs députés de la 7e législature, élus fin avril au pays de Yayi Boni, comme si de rien n’était.
L’affaire n’aurait peut- être pas fait autant de bruit, si cette nouvelle fonction ne lui garantissait pas une certaine immunité qui pourrait le prémunir d’une éventuelle action judiciaire. Ce qui a occasionné des mouvements de protestations.
C’est pourquoi malgré la solennité de l’heure, l’on peut comprendre le coup de gueule de la doyenne des députés, Rosine Vierya Soglo, qui s’est insurgée en ces termes : « qu’on vienne se cacher ici, parce qu’on a l’immunité parlementaire pour ne pas répondre de ses actes devant la justice, ce n’est pas bien du tout. Et nos collègues, s’il en est, doivent avoir le courage de se démettre de leur fonction ». Venant d’un personnage comme l’ex-première dame de fer du Bénin, ces propos sonnent comme un coup de semonce pour la fin de l’impunité, car, pour avoir été au cœur du système, Rosine Soglo sait certainement de quoi elle parle. Et si la culpabilité des mis en cause venait à être établie, ce serait vraiment indécent qu’après avoir commis des actes aussi répréhensibles, ces gens cherchent à se payer une certaine impunité en venant s’abriter sous la carapace de la République. Mais que voulez-vous ? On est en Afrique où la gestion de la chose publique est devenue un fonds de commerce pour certains individus sans scrupule qui arrivent, par une gymnastique dont ils sont seuls à avoir le secret, à se maintenir aux affaires malgré leurs turpitudes. Ils ont beau être éjectés du système par la porte, ils trouveront le moyen d’y revenir par la fenêtre. Quand ils ne sont pas tout simplement, dans une symphonie bien orchestrée de chaises musicales au sommet de l’Etat, valsés de ministères en ministères ou d’une institution à une autre, comme s’ils étaient des experts en tout. Tout cela, dans l’impunité la plus totale.
L’Afrique doit se réveiller et avoir le courage de se regarder dans le miroir
En effet, ce qui se passe au Bénin est symptomatique de la situation de la majorité de nos états africains où les vertus de la bonne gouvernance ne sont pas la chose la mieux partagée. La course à l’enrichissement illicite a atteint un tel niveau d’affaissement moral que les dirigeants honnêtes sont aujourd’hui en passe de devenir des cas erratiques. Heureusement qu’il en existe quand même.
Mais il faut que les choses changent. Car les détournements et leurs corollaires que sont la corruption, la gabegie et le népotisme sont des fléaux qui gangrènent les pouvoirs publics et hypothèquent le développement de nos Etats. Ce sont des maux qui sont certes aussi visibles dans les pays riches, mais leur impact y est moins fort que dans les pays sous-développés. En effet, quand la corruption et les détournements se tiennent la main, cela fait très mal aux économies des pays. Et l’Afrique ne peut pas se payer le luxe d’abriter de tels fléaux, eu égard à ses économies déjà bien fragiles.
Autrement, il serait utopique de parler d’émergence. Un concept trompeur à l’heure actuelle, dont se servent nos gouvernants pour se donner une image à l’extérieur, mais qui cache au fond une réalité bien laide, qui profite à une minorité, au préjudice de la grande masse des populations les plus vulnérables. Cette aide qui, si elle n’est pas utilisée à d’autres fins, est simplement dissipée sans autre forme de procès comme cela semble le cas ici. Et le plus grave, c’est que les sanctions, quand elles existent, ne sont jamais à la hauteur des forfaits commis. Si fait qu’au lieu d’être dissuasives, elles ne sont ni plus ni moins que des encouragements à ce genre de mauvaises pratiques.
Tout cela, à cause d’une gouvernance politique viciée à la base, et marquée par une forte propension des gouvernants à s’éterniser au pouvoir, par tous les moyens. Y compris en utilisant des concepts creux pour tromper le peuple afin de préserver et servir des desseins personnels et claniques. L’Afrique doit se réveiller et avoir le courage de se regarder dans le miroir, afin que les choses changent positivement. Il y va de la survie de nos Etats dont le défi majeur pourrait se résumer en ce XXIe siècle en deux concepts essentiels : alternance et bonne gouvernance. C’est le combat de l’Afrique d’aujourd’hui et de demain.
Outélé KEITA