Faure Essozimna Gnassingbé au pouvoir depuis 2005, suite à la mort de son père, a été proclamé vainqueur de l’élection présidentielle d’avril 2015 avec une large avance sur ses quatre adversaires. Après dix ans de pouvoir, le fils de Gnassingbé Eyadema s’assure, bien installé sur sa selle, un troisième mandat. Mais c’est sans compter avec une opposition déterminée à briser cette fois-ci la chaîne de la continuité.
Jean-Pierre Fabre, son principal challenger, comme en 2010, conteste les résultats donnés par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) et se met dans « la peau du président » du Togo, le vainqueur du scrutin. Le Togo est loin de sortir du cycle infernal d’élection, contestation, violence et dialogue.
Report. Le président ghanéen John Mahama Dramani, président en exercice de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), en visite à Lomé le 23 mars dernier a obtenu à l’issue d’une rencontre avec les cinq (05) candidats en lice, un report de dix jours de la date du scrutin. Initialement prévu le 15 avril, l’élection présidentielle de 2015 au Togo a été reportée au 25 avril 2015.
Le 10 avril 2015, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) donne le coup d’envoi de la campagne électorale pour deux semaines. Au siège de l’institution, composée de représentants du pouvoir et de l’opposition le ton monte, la tension aussi. Les désaccords se multiplient sur les modalités de compilation et de centralisation des résultats à adopter. Le Système de Collecte, de Centralisation pour les Elections et les Statistiques mis en place par un consultant étranger et brandi par les représentants du pouvoir est vivement contesté. L’opposition dénonce un système qui viole les dispositions prévues par le code électoral.
Sur le terrain, à Lomé (la capitale) comme à l’intérieur, la campagne continuait pourtant de battre son plein. Chaque camp mobilisait ses partisans. Pendant que le pouvoir faisait une démonstration de son imposante capacité financière en distribuant çà et là toutes sortes de gadgets, monopolisant les supports publicitaires, avec leur candidat qui sillonne le pays en hélicoptère, l’opposition parcourt, avec ses moyens de bord, le pays, mobilisant des foules jusque dans les contrées les plus reculées.
Face à Faure Gnassingbé, président sortant et candidat de l’Union pour la République (UNIR), quatre candidats : le professeur d’université Aimé Tchabouré GOGUE de l’ADDI (Alliance pour la Démocratie et le Développement Intégral), le notaire Me Traoré TCHASSONA du MCD (Mouvement Citoyen pour la Démocratie et le Développement), l’ancien officier de l’armée et écrivain Gerry TAAMA du NET (Nouvel Engagement Togolais) et Jean-Pierre FABRE du Cap 2015 (Combat pour l’Alternance Politique en 2015), un regroupement de plusieurs partis politiques de l’opposition.
Le Président sortant Faure Gnassingbé, propose une « consolidation des acquis de ses 10 ans de pouvoir ». Mais l’opposition ne manque pas de rappeler que le fils d’Eyadema a déjà fait deux mandats, consécutivement à 38 ans de son défunt père. Conformément à la constitution de 1992 (modifiée par son père en 2012 en sautant le verrou de la limitation des mandats), il ne devrait plus avoir droit à un 3e mandat. Ses quatre adversaires se positionnent chacun comme une alternative. Gerry TAAMA déclare être « enfin quelqu’un qui parle du peuple ». Le Prof. Aimé Tchabouré GOGUE se présente comme le « Président pour l’équité au Togo ». Me Traoré TCHASSONA, dit être le « Président du rêve et d’un autre Togo ». Jean-Pierre FABRE, promet arracher à tout prix « une seconde indépendance pour le Togo ». Mais les résultats proclamés par la CENI en ont décidé autrement.
Atermoiements. La campagne électorale achevée le jeudi 23 avril dernier, les Togolais étaient aux urnes le 25 pour le vote. Après la fermeture et le dépouillement dans les différents bureaux de vote, la CENI n’a pas été capable de livrer les tendances dès le premier soir en dehors du taux de participation que son président Taffa Tabiou a livré sur les plateaux de la télévision nationale. Le suspense a duré plusieurs jours. La CENI, fait face à de graves dysfonctionnements internes. Les représentants de l’opposition et ceux du pouvoir se déchirent. L’opposition qui tient fermement à la transparence et l’équité dans le processus, veut voir clair dans la centralisation et la compilation des résultats. Les représentants du CAP 2015 au sein de la CENI dénoncent des anomalies à grande échelle. Quatorze CELI (Commission Electorale Locale Indépendante) sont indexées et sont au centre des multiples blocages, sous le regard modérateur du général Siaka Sangaré, le chef de la mission de l’Organisation internationale de la Francophonie, l’OIF. En fait, ce dernier qui présidait un Comité dit d’accompagenement de la CENI, demande la vérification des cas litigieux. La représentation du pouvoir au sein de l’institution veut avancer laissant la possibilité aux plaignants de faire leur recours devant la Cour constitutionnelle. « Des CELI que nous avons compilées, il n’y a pas une seule où nous n’avons pas eu de problème. Par-ci ce sont 13 voix, par-là, 9, en d’autres lieux, 200 voix. Le plus gros, c’est la Binah avec 1120 voix de dépassement. Pour 13 PV, du début à la fin aucun chiffre ne concordait, les suffrages exprimés ne concordent pas avec la somme des suffrages attribués à chaque candidat », a relevé Francis Pédro AMUZUN, Vice-président de la CENI, représentant CAP 2015.
Après trois jours d’atermoiements les choses se sont vite accélérées mais dans un méli-mélo mardi 28 avril, surtout avec la visite éclair à Lomé des présidents Ghanéen John Mahama DRAMANI et ivoirien, Alassane OUATTARA pour rencontrer les acteurs principaux du processus. Siaka Sangaré a rassuré les chefs d’Etat que dans les 24 heures qui suivent tout allait se régler dans un esprit de consensus, pour ne pas violer les dispositions du code électoral qui ne laissent à la CENI que 6 jours pour proclamer les résultats. Les Présidents Ghanéen et Ivoirien somment la CENI d’accélérer ses travaux. Alors qu’on s’attendait à la reprise en plénière des travaux autour des 28 CELI restantes sur les 42 que compte le pays, le président de la CENI procède à la proclamation des résultats, contre l’avis de son Vice-président et celui des autres représentants du CAP 2015, qui d’ailleurs claquent la porte après avoir tenté, en vain, d’empêcher le « coup de force ». Surpris et embarrassé par ce dénouement, l’expert de l’OIF, a lui aussi quitté la CENI, après l’échec de sa mission d’obtenir un consensus autour de l’opération. Taffa Tabiou, président de la CENI annonce, dans un tâtonnement, des chiffres souvent incohérents qui proclament Faure Gnassingbé vainqueur à 58, 75% des voix, sur son adversaire Jean-Pierre FABRE, chef de file de l’opposition à qui il est attribué 34,95% des suffrages.
Contestations. Mais en attendant la confirmation de ces résultats provisoires par la Cour constitutionnelle, la réélection du Prince de la Marina pour un troisième quinquennat a soulevé dans l’opinion de vives critiques. « Ce troisième mandat est un passage en force toujours sur le plan de légitimité », a confié Magloire KUAKUVI, enseignant-chercheur dans les universités du Togo et président diocésain de la Commission épiscopale Justice et Paix. CAP 2015, rejette ces résultats, dénonce et condamne « fermement » un « coup de force électoral planifié de longue date et exécuté avec des procès-verbaux préfabriqués » par le pouvoir en place. Cette coalition croit dur comme fer que c’est son candidat qui est le vainqueur de ce scrutin selon les résultats des CELI traités par son centre de compilation. Dans la peau du « président élu », Jean-Pierre FABRE promet qu’il ne laissera pas passer « ce énième coup de force ». Il appelle le peuple à se « mobiliser résolument et massivement » pour faire échec à ce qu’il appelle « crime contre la souveraineté nationale ». Au parti au pouvoir, on est moins bavard. Le ministre Gilbert BAWARA de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et des Collectivités locales, assure que les résultats proclamés par la CENI ne souffrent d’aucune irrégularité. A l’en croire les incohérences dans les chiffres auxquelles l’opposition fait allusion ne sont que des « erreurs de calcul ». Son collègue de la Sécurité et de la Protection civile, Col Yark DAMEHAME met en « garde contre le désordre » et donne rendez-vous aux « pagailleurs ». Le vice président de la CENI M. Francis Pédro AMUZUN est interdit d’accès au siège de l’institution. Le 30 avril dernier, lui et les autres représentants du CAP 2015 devaient publier à la presse les résultats différents à ceux proclamés par Taffa TABIOU, mais la rencontre a été reportée sine die.
Il y a dix ans, en 2005, l’élection présidentielle avait donné lieu à des violences qui avaient fait entre 500 et 800 morts. Les réformes constitutionnelles et institutionnelles prévues par l’Accord politique global signé en 2006 devraient engager le pays sur la voie d’une démocratie apaisée. Elles sont restées jusqu’à aujourd’hui non appliquées. Un projet de réforme de la Constitution, prévoyant une élection à deux tours et la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels, a été rejeté le 30 juin 2014 par les députés UNIR majoritaires à l’Assemblée nationale.
Après 48 ans de cumul de pouvoir du père au fils, la situation socio-économique et politique du pays reste instable, avec la multiplication des mouvements de revendications sociales des travailleurs et des infrastructures sanitaires totalement crasseuses. Les blocs opératoires du CHU Sylvanus Olympio, le plus grand centre du pays sont restés fermés depuis plusieurs mois. Dans le rapport mondial 2015 sur le bonheur du 23 avril, les Nations-Unies ont classé le Togo dernier pays au monde où il fait bon vivre derrière le Burundi, le Benin, la Syrie, le Rwanda, l’Afghanistan.
Le 1er mai 2015, les représentants du CAP 2015 au sein de la CENI ont publié leurs résultats issus des 26 procès-verbaux des CELI qui ne posent pas des problèmes majeurs donnant Jean-Pierre FABRE vainqueur avec 52,20% de voix contre 43,90% obtenu par le candidat Faure GNASSINGBE.
Dimanche 3 mai 2015, la Cour constitutionnelle a proclamé les résultats définitifs du scrutin présidentiel du 25 avril 2015. Faure Gnassingbé est réélu avec 58,77%, son principal challenger Jean-Pierre Fabre est crédité de 35,19%. Le président sortant réélu a prêté serment le lundi 4 mai 2015
La Cour constitutionnelle n’a reçu aucun recours.
Beaucoup de dossiers brûlants attendent le président notamment les réformes, les problèmes des syndicats, la réduction de la pauvreté etc.
Pierre-Claver KUVO