«Aussi simple que cela puisse paraitre, la révision de l’article 37 de la Constitution par voie référendaire poursuivie par le régime du Président Blaise COMPAORE n’était en rien contraire à l’ordre constitutionnel». C’est le point de vue de Drissa Sanou qui s’exprime à travers cette tribune.
«La révision de l’article 37 de la Constitution du 02 juin 1991 était bel et bien légale, sauf à ceux qui sont d’un avis contraire d’en donner la preuve par des moyens autres que les déclarations évasives. A ce jour, personne n’a produit un document émanant d’une instance accréditée et ayant pour objet de se prononcer sur la constitutionnalité de la révision de l’article 37 entreprise par le régime du Président Blaise COMPAORE ou l’irrégularité de la procédure de la révision.
La Constitution du 02 juin 1991 est toujours en vigueur. Nous ne sommes donc pas dans un débat d’idées stérile, mais dans une logique juridique confortée par des règles et des principes. A la question de savoir «à qui revient-il la compétence et la charge de constater et de prononcer l’anti constitutionnalité d’un acte présumé porter atteinte à la Constitution?»
L’on ne peut répondre que par la désignation du Conseil constitutionnel, seule compétente pour interpréter les dispositions constitutionnelles et de suite, ses manquements. C’est du reste le contenu l’article 152 de la Constitution qui dispose entre autres que: «Le Conseil constitutionnel est l’institution compétente en matière constitutionnelle et électorale…Il interprète les dispositions de la Constitution…»
Le dernier alinéa de l’article 154 de la Constitution ajoute que «…Le Conseil constitutionnel veille au respect de la procédure de révision de la Constitution.»
Or, à ce jour, le Conseil constitutionnel ne s’est prononcé ni sur l’inconstitutionnalité de la révision de l’article 37 de la Constitution du 02 juin 1991, ni sur l’illégalité de la procédure de révision. Aussi simple que cela puisse paraitre, la révision de l’article 37 de la Constitution par voie référendaire poursuivie par le régime du Président Blaise COMPAORE n’était en rien contraire à l’ordre constitutionnel.
Elle n’était pas plus contraire aux textes de l’Union africaine (UA), dont précisément la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance que certains constitutionnalistes évoquent avec hardiesse et véhémence sans pour autant expliquer l’absence d’un avis du Conseil constitutionnel pour conforter leurs argumentations.
C’est d’ailleurs pour cela que ni l’Union africaine, ni la CEDEAO n’en ont condamné le projet en son temps. Mieux, courant année 2014 et à une date récente encore, Mme Nkosazana Dlamini ZUMA, Présidente en exercice de l’UA a admis la conformité dudit projet de referendum avec la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
Ce rappel du cadre institutionnel de l’action publique était important, parce qu’il permet d’apporter un jugement réfléchi sur les évènements des 30 et 31 octobre 2014 et de suite, sur l’attitude controversée des autorités de la transition.
1. L’incongruité de l’incendie de l’institution parlementaire
La séance plénière du 30 octobre 2014 de l’Assemblée nationale enclenchait la partie législative des opérations référendaires en soumettant le projet de révision de la Constitution à l’appréciation de l’Assemblée nationale, préalable exigé par l’article 163 de la Constitution.
Les opposants au régime du Président Blaise COMPAORE ont prétendu avoir empêché le vote de ladite loi en incendiant l’Assemblée nationale ce jour. S’ils étaient des légalistes et des patriotes comme ils le prétendent, ils auraient dû épuiser les voies de recours prescrites par la Constitution avant toute action violente, ce qui n’a pas été le cas. Pour des prétendants à la gestion des affaires publiques, l’on est en droit de s’interroger sur les leurs motivations réelles.
L’article 35 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement du Conseil constitutionnel et procédure applicable devant lui dispose qu’« à l’occasion d’une procédure de révision de la Constitution, le Conseil constitutionnel peut être saisi conformément aux articles 157 et 161 de la Constitution. Le requérant doit préciser la nature de la contestation. »
L’article 36 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 relative au Conseil constitutionnel ajoute que « le Conseil constitutionnel statue dans le délai d’un mois. S’il estime la contestation fondée, il arrête la procédure de révision ou annule la loi de révision. »
Ainsi, les députés de l’opposition à l’Assemblée nationale auraient pu saisir le Conseil constitutionnel d’une requête en inconstitutionnalité en application de l’article 157 de la Constitution qui accorde ce droit à « Un dixième (1/10) au moins des membres de chaque chambre du Parlement. ». Ils étaient 29 députés, soit plus du 10ème requis.
En application de l’article 161 de la Constitution, ils auraient également pu opposer une pétition à la loi référendaire (qu’ils ont vu venir) devant l’Assemblée nationale par le biais d’« … au moins trente mille (30 000) personnes ayant le droit de vote, … »
La procédure de mise en œuvre de la pétition est amplement détaillée dans la loi n° 27/94/ADP du 24 mai 1994, portant organisation du droit de pétition d’initiative législative.
Contrairement à une idée répandue, il n’est pas nécessaire de posséder sa carte d’électeur pour être signataire d’une telle pétition ; il suffit d’avoir la majorité électorale au jour de la signature de la pétition, ce qui se prouve avec la Carte Nationale d’Identité Burkinabè (CNIB).
L’Assemblée nationale était contrainte d’examiner ladite pétition en même temps que le projet gouvernemental de révision.
Comme on peut le constater, les opposants au régime du Président Blaise COMPAORE disposaient d’un éventail de recours légaux. Mais au lieu d’emprunter ces voies républicaines de la contestation devant le Conseil constitutionnel ou le Parlement, ils ont préféré prendre le raccourci du populisme avec les conséquences que l’on sait, parce qu’ils n’étaient pas convaincus de leurs arguments.
La jeunesse burkinabè, confrontée aux difficultés du chômage, instrumentalisée par une certaine classe sociale, a pillé et incendié le Parlement de façon méthodique les 30 et 31 octobre 2014, sans réaliser au prime abord l’ampleur du préjudice pour la Nation. Des personnalités politiques connues se sont attribué la responsabilité de cet incendie, même si elles ont adopté le profil bas par la suite au regard de l’énormité de la faute. Y a-t-il crime plus grave que cette atteinte à la sûreté de l’Etat ?
2. L’empiètement du Conseil National de Transition sur les compétences de l’organe judiciaire
Le Conseil National de Transition (CNT) a voté la loi portant modification du Code électoral avec une disposition identique insérée dans les articles 135, 166 et 242 relative à l’inéligibilité aux élections présidentielle, législatives et municipales de « Toutes les personnes ayant soutenu un changement anticonstitutionnel qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique notamment au principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels ayant conduit à une insurrection ou à toute autre forme de changement ».
Cette modification du Code électoral n’était pas nécessaire parce que dans leurs formulations initiales, les articles 135,166 et 242 disposent en substance que « sont inéligibles les individus privés par décision judiciaire de leurs droits d’éligibilité en application des lois en vigueur. »
En outre, à vouloir adapter la loi modificative pour cibler des individus, le libellé ne rentre dans aucun critère distinctif de la Charte africaine et peut, dans une application forcée, concerner tout burkinabè de tout bord politique ayant occupé un minimum de responsabilité publique. La gymnastique des mots en dit long sur le manque de repère des rédacteurs.
Si les « transitionnaires » étaient conséquents avec eux-mêmes, ils auraient dû engager des poursuites judiciaires contre les personnalités de l’ancien régime en application du Code pénal et leur appliquer les peines privatives de leurs droits d’éligibilité comme prévu dans le Code électoral.
L’on comprend que le processus devant aboutir à une décision judiciaire définitive pouvait prendre du temps. Mais c’était la condition du respect de la Constitution et des institutions républicaines, et la preuve de notre attachement au respect des droits de l’homme.
Avec le vote de cette loi controversée du 7 avril, le Parlement de transition a empiété sur les compétences de l’organe judiciaire en usurpant tout d’abord des pouvoirs du Conseil constitutionnel avec la qualification de la révision de l’article 37 comme étant un « changement anticonstitutionnel », et ensuite de celles du juge répressif en condamnant à des peines privatives de droits civiques des citoyens désignés par des critères subjectifs.
L’article 125 de la Constitution est clair à ce propos lorsqu’il dispose que : « Le pouvoir judiciaire est gardien des libertés individuelles et collectives. Il veille au respect des droits et libertés définis dans la présente Constitution. »
C’est donc au juge seul qu’il appartient de priver le citoyen de ses droits civiques par décision motivée.
Au demeurant, toute poursuite de personnalités du régime du Président Blaise COMPAORE, fondée sur le soutien du projet de référendum n’est qu’action attentatoire aux droits humains parce que le Conseil constitutionnel n’a jamais qualifié la révision de la Constitution comme étant non conforme à la Constitution.
Dans un Etat de droit républicain, la séparation des pouvoirs interdit de telles dérives. Les engagements pris par les autorités de la transition au cours des états généraux de la justice de mars 2015, couronnés par la signature du Pacte national pour le renouveau de la justice, n’étaient donc que pour amuser la galerie.
3. Le respect de la Constitution, condition du salut de tous
Suivant avis juridique n°2009-019/CC du 22 avril 2009, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à notre Constitution de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la Gouvernance à la suite d’une saisine du Premier Ministre.
L’article 1er de cet avis juridique dispose que « La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la Gouvernance, adoptée par la huitième session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etats et de gouvernements de l’Union africaine tenue le 30 janvier 2007 à Addis-Abeba (Ethiopie) est conforme à la Constitution. »
Par ailleurs, à travers la Constitution du 02 juin 1991, le peuple souverain du Burkina Faso souscrit à la déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, réaffirme solennellement son engagement vis-à-vis de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples de 1981 tout en édictant des dispositions protectrices de ces droits.
Il est donc étonnant que des praticiens du droit puissent prétendre que cette Charte africaine, conforme à notre Constitution, contient des dispositions attentatoires aux droits humains pouvant justifier la loi liberticide que le Conseil national de transition a votée le 7 avril 2015.
En vérité, cette interprétation délibérément erronée de la Constitution et de la Charte est le fait de ceux-là qui, hier déniaient toute capacité de discernement au Peuple pour empêcher l’organisation du référendum. Aujourd’hui encore, ils s’acharnent à exclure une partie du peuple des élections de fin de transition, afin d’assurer la victoire du camp qu’ils supportent. Le prétendu nationalisme invoqué par ces agitateurs pour justifier les modifications du Code électoral est la preuve de leur manque de contenance.
Cependant, nul n’est dupe. Le revers de mobilisation essuyé par les organisateurs du meeting de soutien au Code électoral tenu le 25 avril passé, malgré le temps de préparation, le tapage médiatique et les sommes englouties, marque le désaveu du peuple pour les pratiques antidémocratiques des autorités de la transition, des partis politiques de l’ex-CFOP et de leurs OSC affidés. La communauté internationale du Burkina Faso, que le meeting de soutien était destiné à convaincre, sait désormais à quoi s’en tenir.
Aussi, l’ancienne majorité est dans son droit de contester cette loi électorale controversée votée par le CNT le 7 avril 2015 et sur le bon chemin en ayant engagé des procédures judiciaires visant à contester sa constitutionnalité. Tôt ou tard, le retrait de ladite loi sera ordonné par les juridictions nationale ou supranationale.
Dans un Etat de droit, même engagé dans un intermède transitionnel comme le nôtre, le salut de tous réside dans le respect de la loi.
C’est seulement à cette condition que des élections de fin de transition inclusives, équitables et paisibles pourront se tenir, avec des chances de parvenir à un régime post-électoral stable soutenu par la majorité du peuple burkinabè.»
Drissa SANOU