Annick Girardin est la Secrétaire d’Etat au développement et à la Francophonie. C’est aussi la deuxième personnalité du gouvernement français à effectuer un séjour officiel au Burkina Faso, après l’historique insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Du 25 au 28 avril 2015, elle se rendra en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Niger pour conforter les relations entre ces pays et la France et la Francophonie, mais discutera aussi climat, notamment à travers la COP21 qu’elle évoque, entre autres questions, à travers cet entretien.
Fasozine.com: Vous arrivez au Burkina Faso suite à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Qu’est-ce-qui justifie cette visite?
Annick Girardin: Tout d’abord, j’ai voulu venir au Burkina Faso pour parler du climat avec les autorités burkinabè. La France va présider en décembre la conférence Paris Climat 2015. C’est un événement très important, et les Africains auront un rôle majeur à jouer pour aboutir à un accord universel, ambition et équitable, afin de limiter le réchauffement climatique à 2 degrés. Le Burkina Faso est mobilisé pour le climat et prépare sa contribution nationale. Je vais pourvoir échanger sur ce sujet avec le Ministre burkinabè de l’environnement, et nous allons participer, ensemble, à un séminaire sur la préparation de la contribution nationale burkinabè.
Il était important pour moi de venir au Burkina Faso pour montrer que la France se tient aux côtés des autorités de transition. J’aurai l’honneur d’être reçue par le Président Michel Kafando et je lui ferai part de ce soutien.
En effet, nous avons tenu à poursuivre notre coopération avec le Burkina Faso, pendant cette année cruciale pour l’histoire du pays. Les Burkinabè ont réussi à se concerter pour mettre en place des autorités de transition consensuelles et inclusives. Ces autorités se sont mises au travail, et préparent actuellement les élections présidentielle et législatives d’octobre prochain.
La France accompagne l’organisation de ces élections, à travers un appui de 3,1 millions d’euros (2 milliards de francs CFA): nous appuyons bien sûr l’Etat et la CENI (Commission électorale nationale indépendante, NDLR), mais aussi le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel dans leur rôle de juge électoral. Nous formons aussi des journalistes pour qu’ils puissent couvrir ces élections. Nous participons à des projets pour aider les femmes et les jeunes à prendre pleinement part à ces élections. A cet appui, à titre national, s’ajoute notre participation à l’aide que l’Union européenne va apporter aux élections, dont la France finance près d’un cinquième.
Enfin, j’ai voulu venir au Burkina Faso pour voir notre dispositif de coopération, qui est très actif. Le Burkina Faso est un des 16 pays prioritaires de notre aide au développement. Je vais signer une convention de 22 milliards de FCFA que nous consacrons à la sécurité alimentaire dans l’est du pays. Je vais aussi visiter un projet de foyer amélioré que nous finançons ainsi qu’un projet d’adduction d’eau réalisé par l’Agence française de développement. Je vais également me rendre dans une école soutenue par l’AFD. Vous le voyez, la France est plus que jamais présente aux côtés du Burkina et des Burkinabè, pour les appuyer dans les domaines essentiels pour la lutte contre la pauvreté et le développement.
En tant que première autorité française de haut rang ayant mis pied à Ouagadougou après l’insurrection populaire, quel message apportez-vous de Paris?
Après Alain Vidalies venu la semaine passée rendre hommage aux victimes du vol AH 5017, je suis le second membre du gouvernement français à venir au Burkina Faso depuis les événements de la fin octobre 2014. Mais le Président de la République française, François Hollande, a rencontré le Président Michel Kafando dès le mois de novembre dernier, à Dakar en marge du Sommet de la Francophonie. Et nous aurons, début mai, le plaisir et l’honneur d’accueillir à Paris, le Président Kafando, qui s’entretiendra avec le Président de la République. Ce dialogue étroit avec les autorités de transition est important pour nous.
Nous nous devons en effet d’être aux côtés du peuple burkinabè, et notamment de sa jeunesse, qui a montré au monde qu’il était déterminé à demander une meilleure gouvernance, une alternance démocratique et un développement juste et équitable. Après la démission du Président Compaoré, les Burkinabè ont réussi à s’entendre, dans le calme et par le dialogue, pour désigner des autorités de transition consensuelles. Je tiens à saluer ce sens des responsabilités et cet esprit de compromis dont ont fait preuve les différentes parties prenantes. La France, comme le reste de la communauté internationale, continue d’appeler à une transition apaisée, responsable, inclusive et consensuelle, qui permette d’organiser dans les meilleures conditions les élections qui permettront l’expression libre des citoyens burkinabè pour choisir leurs représentants.
«Alors qu’en France personne ne fait état de cette chose moribonde (…), alors que cette chose Françafricaine n’a à sa tête depuis lors que des françafricains, des otanesques, des nègres de maison incapables de défendre les peuples et les Nations Africaines (…) ». Ce sont des extraits de propos de l’écrivain Calixte Beyala vus sur internet. Cette dernière, au passage, rudoie la nouvelle SG de la Francophonie Michaelle Jean qu’elle qualifie d’ «Obamette». Comment se porte la Francophonie?
La Francophonie se porte bien. Tout d’abord, au regard de l’usage du français: le rapport 2014 de l’observatoire de la langue française recense 274 millions de francophones, soit une progression de 7% depuis 2010. Cette dynamique tient largement à l’Afrique et sa jeunesse.
Ensuite, au regard de la vitalité multilatérale: le Sommet de Dakar en novembre 2014 a notamment adopté une stratégie économique pour la Francophonie, pour mieux prendre en compte l’immense potentiel de l’espace francophone. Les attentes des populations francophones sont fortes, en particulier en termes d’accès à l’éducation et à l’emploi.
Depuis le début de cette année Michaëlle Jean a succédé à Abdou Diouf. J’ai eu l’occasion de l’assurer de toute ma confiance et de lui rappeler les espérances placées dans la Francophonie. C’est particulièrement le cas dans le domaine du climat, où elle joue un rôle mobilisateur.
Ces derniers jours, plus de mille migrants sont morts noyés dans la Méditerranée. Le phénomène devient de plus en plus inquiétant, et l’Europe est indexée pour son incurie. Votre appréciation?
Face à ces terribles drames en Méditerranée, nous devons réagir rapidement. Il y a une urgence humanitaire contre des bandes criminelles mafieuses, terroristes, qui mettent en danger la vie de milliers de personnes – et qui ont déjà provoqué à travers ces naufrages la mort de plusieurs milliers de personnes. Nous devons agir dans quatre domaines.
Le premier, c’est le renforcement du contrôle de la frontière, et donc de l’opération qui est menée sous l’égide de Frontex, qui aujourd’hui est insuffisante. Il faut des moyens beaucoup plus conséquents pour cette opération qui surveille les frontières mais aussi porte secours aux personnes qui sont menacées de naufrage.
Le deuxième, c’est une lutte résolue contre les filières qui organisent le trafic d’êtres humains, et donc une coopération judiciaire, policière renforcée.
Il y a aussi un combat qui doit être mené pour la stabilité et le développement des pays de la rive Sud de la Méditerranée et avec les pays de l’Afrique subsaharienne. Il faut donc que l’UE soit davantage tournée vers son voisinage Sud.
Il faut enfin que la politique d’immigration et d’asile commune soit mise en place au niveau européen, et qu’il n’y ait pas comme aujourd’hui seulement 5 pays qui accueillent les réfugiés politiques.
L’environnement est de plus en plus menacé et les changements climatiques sont devenus une réalité inquiétante. Que peut la COP21 contre le phénomène?
La COP 21, qui se tiendra à Paris en décembre 2015, c’est une étape essentielle pour la vie de milliards de personnes, et notamment celles, qui au Burkina Faso, vivent déjà les conséquences du changement climatique au quotidien. Le climat, c’est un défi pour la sécurité alimentaire des paysans du Sahel, c’est un défi pour la communauté internationale qui doit agir pour développer l’accès aux énergies renouvelables en Afrique. Notre objectif, pour cette année 2015, c’est « zéro carbone, zéro pauvreté ».
L’Afrique bouge, elle se mobilise, comme le font l’Europe, la Chine, les Etats Unis. Nous avons bon espoir d’arriver à notre objectif à Paris : éviter de dépasser 2°C de réchauffement sur la planète et aider tous ceux qui souffrent déjà du dérèglement climatique à trouver des solutions concrètes pour faire face aux sécheresses, aux inondations, à l’insécurité alimentaire. C’est d’ailleurs le sens des projets que je viens de signer avec l’AFD (Agence française de développement, NDLR) et le gouvernement: aider les plus pauvres pour démontrer notre solidarité.
Quelle est l’importance de la COP21 pour un pays comme le Burkina Faso?
Le Burkina Faso, comme ses voisins, fait partie des pays les plus faiblement émetteurs de gaz à effet de serre, et pourtant parmi les plus vulnérables au monde. Pour la COP21, le Burkina prépare son plan d’action pour limiter le changement climatique, et peut attendre, en retour, le soutien de la communauté internationale. Car la lutte contre le changement climatique, c’est aussi l’opportunité de créer de nombreux emplois, dans les énergies renouvelables, les transports, et bien sûr, dans l’agriculture. Par exemple, lutter contre la désertification, reverdir le Sahel, ce serait le plus grand service que le Burkina pourrait rendre au climat : cela aiderait à la fois les paysans pour produire leur nourriture, mais aussi à stocker du carbone, et ainsi éviter le réchauffement. L’Afrique a besoin d’un accord à Paris, mais Paris a aussi besoin de l’Afrique pour être un succès!
Propos recueillis par Morin YAMONGBE