Le Syndicat autonome des magistrats burkinabè (SAMAB) souffle cette année 2015 sa 32e bougie. A l'occasion de cet anniversaire, le premier responsable de ce syndicat a publié la déclaration ci-dessous.
Le Burkina Faso vit depuis maintenant six (06) mois, une transition politique consécutive à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Cette étape particulière de notre trajectoire politique a engendré divers chamboulements dans la sphère politico-sociale.
Ainsi, à l’occasion de son trente deuxième (32ème) anniversaire (1983-2015), le Comité Exécutif du Syndicat Autonome des Magistrats Burkinabè (SAMAB) voudrait saluer l’engagement professionnel et militant des magistrats burkinabè en général et celui de ses militants et adhérents en particulier qui, face à l’incompréhension et à l’adversité, se sont armés de courage et d’abnégation pour dissuader toute velléité d’embrigadement et de manipulation de leur corps et de leur syndicat.
Aussi, voudrions-nous saisir cette aubaine pour dépeindre la situation nationale en nous appesantissant sur ses aspects relatifs à la justice qui s’articulent notamment autour des entraves à l’indépendance du pouvoir judiciaire du fait des hommes politiques, des violations flagrantes des règles et principes élémentaires sous-tendant un état de droit et des atteintes graves aux droits et libertés des citoyens.
Notre syndicat a suivi avec grande attention l’avènement de cette ère nouvelle pour notre pays. En effet, les évènements des 30 et 31 octobre ont traduit la volonté des Burkinabè de rejeter toutes les institutions et pratiques contraires aux aspirations du peuple.
L’analyse du système pénal burkinabè met en exergue des dysfonctionnements de la chaine pénale dûs à la dépendance et à l’assujettissement de ses acteurs au pouvoir exécutif d’une part, et d’autre part à la méconnaissance de leurs rôles respectifs. En effet, les diagnostics hier et aujourd’hui montrent à souhait l’inféodation manifeste du parquet au pouvoir exécutif et l’indépendance de la police judiciaire vis-à-vis du procureur du Faso.
C’est pourquoi, après les états généraux de la justice tant annoncés et tenus, notre syndicat, le SAMAB, s’attendait à voir les acteurs politiques et judiciaires s’assumer pleinement dans le respect de l’indépendance de la justice. Ce brin d’optimisme tirait sa source de la volonté affichée et exprimée par les Burkinabè de rejeter dorénavant toutes les institutions et pratiques contraires aux aspirations du peuple.
Malheureusement, les proclamations d’intentions de la part du pouvoir exécutif et des autres acteurs de fermement respecter l’indépendance du pouvoir judiciaire se sont vite transformées en désillusion face à la réalité du terrain pour plusieurs raisons :
Premièrement, le SAMAB, suite au lâche et crapuleux assassinat du magistrat NEBIE Salifou, juge constitutionnel au Conseil constitutionnel du Burkina Faso le 24 mai 2014, avait sans ambages conclu, au regard des éléments de fait, à un assassinat et exigé que toute la lumière soit faite sur cette affaire.
Cette prise de position se justifiait d’autant plus que les actes postérieurs à cet ignoble acte ont laissé transparaitre des hésitations, des louvoiements symptomatiques d’une démarche dont l’unique objectif était de camoufler la vérité sur les auteurs et les mobiles de leur acte.
Onze mois après, le Conseil constitutionnel a connu la nomination de nouveaux magistrats en remplacement des anciens dont le juge NEBIE sans pour autant que l’opinion ne soit renseignée sur les prétendus résultats d’autopsie de Stéphane Chochois et la suite de la procédure.
Les assassins du juge courent toujours et aucune volonté politique ne semble s’afficher fermement pour booster la recherche de la vérité alors même que les autres dossiers emblématiques de crime ont bénéficié d’actions diverses.
Plus qu’une négligence, l’attitude des pouvoirs publics laisse perplexe sur leur manque de volonté pour élucider ce crime savamment planifié et exécuté de manière inhumaine.
Pour notre part, nulle place ne peut être réservée à l’oubli et à la négligence dans le traitement de ce dossier.
Le SAMAB tient à rappeler que sa quête de justice sur cette affaire reste forte et intacte.
Deuxièmement, la conférence de presse du commandant de compagnie de gendarmerie de Ouagadougou, PARE Issa dans laquelle des accusations graves et sans équivoques ont été portées contre des magistrats méritent que des investigations soient immédiatement menées en vue de situer les responsabilités.
Ainsi, s’il venait à être démontré que des magistrats ont posé des actes qui violent les règles déontologiques et éthiques comme l’a insinué le Capitaine PARE, nous serons solidaires de toute action tendant à les sanctionner conformément aux lois.
Si, par contre, ces propos ne reposent sur aucun élément sérieux, il urge alors pour le parquet du procureur du Faso, le Parquet général et la chambre d’accusation d’enclencher, chacun en ce qui le concerne, les procédures appropriées conformément au code de procédure pénale.
Ces accusations viennent à un moment où le parquet du procureur général près la Cour d’appel de Ouagadougou a expressément instruit les parquets de son ressort d’assurer une direction effective non seulement des enquêtes judiciaires mais aussi des conférences de presse de la police judiciaire. Cette activité de communication judiciaire, aujourd’hui plus que jamais, doit être assurée et assumée par les parquets.
En cela, cet incident permet de poser le problème et de trancher une fois pour toutes le débat sur l’exercice de la direction, la surveillance et le contrôle de la police judiciaire par les autorités judiciaires tel que le code de procédure pénale le consacre.
Troisièmement, alors que l’on se remettait de cette sortie plus qu’hasardeuse, le ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, venait, à la suite d’autres membres du pouvoir exécutif, affirmer la continuation des vagues d’arrestations montrant aux yeux de tous que ces procédures d’arrestations en cette période de transition le sont sous l’instigation et à l’initiative du pouvoir exécutif et non à l’initiative des autorités judiciaires, étalant de façon flagrante la violation répétée du sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs et l’immixtion monstrueuse des membres du pouvoir exécutif dans les fonctions judiciaires ; cela en violation des dispositions constitutionnelles, légales et du pacte sur le renouveau de la justice fraîchement signé le 28 mars 2015.
Nombre de comportements et d’actes nous laissent perplexes quant à la sauvegarde et au renforcement des droits et libertés consacrés par la Constitution. De ce fait, et en notre qualité de magistrats, garant des libertés individuelles et collectives, nous ne pouvons assister en spectateurs aux dérives qui s’amoncellent et dont le passif risque une fois de plus de mettre à rude épreuve le pouvoir judiciaire.
Le SAMAB ne saurait rester passif devant une telle situation. Il ne saura être complice d’une telle situation.
Le sursaut du peuple burkinabè ne laisse aucun doute sur sa ferme volonté de s’inscrire dans la dynamique de l’élargissement des espaces de liberté. Aussi, il serait hasardeux de laisser s’instaurer le réflexe systématique de remise en cause de la loi, des droits et libertés.
L’occasion est belle pour nous de rappeler que ces velléités de violations des règles dans le secteur de la justice sont des actes inadmissibles.
Le SAMAB tient à rappeler que la loi doit être notre boussole et la règle de droit notre sécurité.
Pour sa part, le SAMAB :
- Exige sans délai que la lumière soit faite sur l’assassinat du juge NEBIE Salifou ;
- Invite les magistrats à se faire les farouches défenseurs de la loi ;
- Les invite au respect de leur serment tout en gardant à l’esprit que l’indépendance du magistrat est un corollaire de ce serment ;
- Demande aux magistrats de se démarquer de toute tentative d’embrigadement d’où qu’elle vienne;
- Invite le parquet du procureur du Faso, le parquet général et la chambre d’accusation à clarifier la situation évoquée par le capitaine PARE Issa de la gendarmerie nationale afin de situer les responsabilités et, au besoin, prendre des sanctions appropriées;
- Invite les autorités judiciaires à exercer effectivement, sans concession et sans délai, leurs pouvoirs de direction, de surveillance et de contrôle de l’activité de la police judiciaire ;
- Invite le parquet du procureur général et celui du procureur du Faso à trancher la question de la gestion de la communication relative aux affaires judiciaires ;
- Salue le courage des magistrats qui, dans l’affaire de l’arrestation des anciens ministres, ont assumé leur indépendance et la hauteur d’esprit de ceux qui se sont ravisés après coup pour suivre les procédures légales instituées par les lois de la république ;
- Invite tous les magistrats à se tenir prêts pour toute action visant à renforcer l’indépendance véritable de la justice.
Ouagadougou, le 26 avril 2015
P/Le comité Exécutif
Le Secrétaire Général
S. Antoine KABORE
N.B : la titraille est du site