Un meeting de soutien au nouveau Code électoral contesté s’est tenu le 25 avril 2015, à Ouagadougou. A la mythique place de la Révolution, les membres du gouvernement et du Conseil national de transition (CNT), les leaders politiques de l’ex-opposition et de la société civile, les autorités morales, les représentants des forces de défense et de sécurité et des milliers de personnes se sont retrouvés pour réitérer leur soutien indéfectible au processus de la transition, et particulièrement au nouveau Code électoral voté par le CNT et promulgué par le président du Faso.
Dès les premières heures de la matinée du 25 avril dernier, les parties signataires de la Charte de la transition affluaient au centre-ville, pour assister au meeting de soutien à la Transition et au nouveau Code électoral. A l’approche de la place de la Révolution, le dispositif sécuritaire mis en place par les forces de l’ordre laissait présager un meeting sans anicroche. Les alentours de la place de la Révolution avaient été déclarés « zones piétonnes » et les engins, qu’ils soient de la presse ou pas, se garaient loin. La police, déployée en grand nombre, filtrait les entrées et fouillaient les sacs avant de laisser les gens accéder au lieu du meeting. A la place de la Révolution, des harangueurs de foule tenaient le public déjà présent en haleine. Dans la foule, les logos de partis politiques de l’ex-opposition se mêlaient à ceux des Organisations de la société civile. Sur les pancartes et les banderoles, chacun y allait de son inspiration. Les messages étaient divers, mais avaient un même fond : « nous soutenons la transition !».
Peu avant 9 h, les leaders politiques et de la société civile commençaient à arriver au compte-gouttes, tandis que des artistes musiciens engagés continuaient l’animation par leurs prestations. Une heure après, ce fut au tour des membres du gouvernement d’arriver à la place de la Révolution, puis celui du président du CNT, Shériff Sy. Il y avait notamment le ministre en charge de la Communication, Frédéric K. Nikièma, le ministre de la Sécurité, Auguste Denise Barry, celui du Développement de l’économie numérique, Nébila Yaro et le ministre des Enseignements secondaire et supérieur, Filiga Michel Sawadogo. C’est alors, le tour des leaders du mouvement « Le Balai citoyen », Sam’s K Le Jah et Smockey de monter sur le podium. Prenant la parole, ils ont estimé que certains parlaient d’exclusion alors que le Code électoral promulgué n’excluait pas de partis, mais plutôt des individus. Rappelant que Thomas Sankara, Norbert Zongo et les martyrs tombés lors de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 ont été définitivement exclus, ils ont souhaité que ceux qui se disent exclus, disent la vérité à leurs militants, car ils ont joué et perdu, avant d’entonner le Ditanyè, accompagné par le public, poings en l’air. Le meeting pouvait enfin commencer.
Après le mot du président du comité d’organisation du meeting, Ablassé Ouédraogo, ce fut Luc Marius Ibriga , au compte des OSC, qui prit la parole pour signifier l’attachement de celles-ci à la conduite du processus pour le renouveau du Burkina , dans le strict respect des règles et principes de l’Etat de droit. « Refonder notre démocratie
nous impose de mener une lutte de tous les instants contre l’impunité, l’incivisme, le népotisme et la corruption », a-t-il lancé car, selon lui, l’incivisme tire sa sève de l’injustice et de l’impunité.
L’incivisme tire sa sève de l’injustice et de l’impunité
Réconcilier les burkinabè implique un devoir de mémoire, loin des caricatures de pardon organisées en mars 2000, a dit Luc Marius Ibriga, avant d’ajouter qu’il était impossible de passer par perte et profit, les crimes de tous les genres commis au Burkina Faso. « Comment se réconcilier sans faire la lumière sur les dossiers de crimes pendants et sans sanctionner les fautifs ? Comment construire une véritable démocratie, sans la démilitarisation de la politique et du pouvoir, et la dissolution de la garde prétorienne que constitue le Régiment de sécurité présidentiel (RSP) ? », s’est-il, entre autres, interrogé.
Nous ne pouvons pas faire l’économie de la vérité et de la justice
Selon lui, la mobilisation témoigne de l’engagement des forces vives à construire un véritable Etat démocratique, qui bannit l’impunité, promeut la bonne gouvernance et dans laquelle nul ne saurait être au-dessus de la loi, dans une situation nationale marquée par des tentatives de remise en cause des idéaux de l’insurrection populaire. « Nous avons l’obligation d’agir et de réussir pour que la vérité éclate au grand jour et que la justice soit rendue», a-t-il ajouté. A ceux qui ont soutenu le projet de révision de l’ex-président Blaise Compaoré, Luc Marius Ibriga a lancé que si pendant les 27 ans de leur règne, l’impunité a été érigée en méthode de gouvernance, celle-ci n’a plus droit de cité au Burkina. «L’inclusion dans la vérité et la justice, oui ; l’inclusion dans l’impunité, jamais », a-t-il martelé.
Après le porte-parole des OSC, ce fut au tour de celui des partis politiques, François Ouédraogo, de rappeler que le Code électoral nouvellement promulgué par le chef de l’Etat, était en phase avec les aspirations du peuple Burkinabè. S’inscrivant dans la même lancée que son prédécesseur, il a indiqué que le Code était impersonnel et ne visait qu’à sanctionner les mauvais comportements. Et d’affirmer le soutien indéfectible des partis de l’ex-opposition aux autorités de la Transition, et leur volonté de voir le Code électoral et tous les autres textes de loi appliqués à la lettre. Un message repris en mooré par Me Bénéwendé Sankara, à l’intention de ceux qui ne maîtrisent pas la langue de Molière.
Longtemps réclamé par le public qui scandait son nom, le ministre Auguste Denise Barry a fini par accéder à la requête de la foule et à monter sur le podium, accompagné des autres membres du gouvernement, du président et des membres du CNT, des présidents de partis politiques et de leaders d’OSC. « Peuple du Burkina Faso, vous avez confié une mission aux organes de la Transition. Cette mission, nous allons la poursuivre et l’accomplir. La victoire appartient toujours au peuple et la victoire appartiendra au peuple burkinabè », a-t-il lancé, sous les acclamations du public. Et d’ajouter qu’un peuple uni ne peut jamais être vaincu. Puis ce fut au tour de Shériff Sy de prendre la parole. Il mit fin au meeting en invitant les forces vives de la Nation à la vigilance.
Thierry Sami SOU
Quelques réactions à l’issue du meeting
Smockey, Balai Citoyen
« Ce ne sont pas les partis de l’ex-majorité qui sont exclus, ce sont des individus »
« C’est une façon de donner des conseils démocratiques à ceux qui sont en face de nous. Nous pensons qu’il y a maldonne, car on ne peut pas, à la fois soutenir un régime dictatorial pendant 27 ans et ne pas être jugé pour cela. C’est aussi cela l’erreur de cette Transition qui, dès le début, n’a pas, d’une certaine façon, mis ces criminels en jugement pour les amener à rendre des comptes au peuple. Ces personnes confondent donc leur liberté provisoire à leur liberté car pour moi, c’est juste une question de temps et tous ceux qui ont commis des crimes économiques ou de sang devront répondre de leurs actes. Donc, dans l’ensemble, les gens soutiennent la nouvelle loi sur le Code électoral. C’est une question d’éthique et de morale. La logique aurait voulu que ces personnes démissionnent tout simplement. Beaucoup ont demandé le pardon du peuple et sont revenus quelque temps après dire qu’ils préparent le retour de Blaise Compaoré. Donc, quelque part, il y a de la suffisance et on essaie de traiter de haut la lutte du peuple burkinabè qui a payé un lourd tribut par son sacrifice ultime et cela n’est pas respectueux. Ce ne sont pas les partis de l’ex-majorité qui sont exclus, ce sont des individus, des symboles qui, a eux seuls, ont justifié cette révolte populaire. Alors, c’est important que l’on puisse oublier et panser nos plaies, au moins pendant 5 ans, pour leur permettre de revenir éventuellement s’ils le désirent dans le jeu politique. Mais, tous ceux qui sont touchés par la loi doivent aussi être jugés et ils le savent. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils travaillent à vouloir revenir forcément dans le jeu politique, en espérant se couvrir pour leurs crimes. Il n’est pas question pour nous de faire l’impasse sur tous ce qui a été commis comme crimes pendant ces 27 ans de dictature. »
Jean Sothère Samma,
président du groupe parlementaire des forces de défense et de sécurité
« Le Code électoral qui a été voté permet d’asseoir une bonne gouvernance électorale »
« C’est une bonne initiative qui prouve que nous avons en mémoire le devoir de soutenir la Transition pour la mise en place d’institutions fortes. Le Code électoral qui a été voté permet d’asseoir une bonne gouvernance électorale. Il y a d’autres lois qui ont été votées au CNT, qui permettent aussi d’associer les grands axes d’une démocratie véritable et de parvenir à un Etat de droit comme le précise la Charte de la transition. Le rassemblement de ce matin est donc un élan de solidarité qui nous donne des motifs de persévérer et de réaliser davantage que nous sommes sur la bonne voie. C’est dans le plan de Dieu que nous travaillons pour la mémoire des martyrs qui ne sont plus de ce monde. »
Oscibi Johann, artiste musicien
« La sortie de ce matin est un avertissement pour ceux-là qui pensent qu’ils ont le monopole de la violence »
« Nous sommes là pour soutenir la Transition. C’est une manière donc de soutenir la transparence et l’équité en politique, car nous ne pouvons rester les bras croisés, en nous disant que c’est fini. Nous sommes à nouveau sortis pour dire à ceux qui s’agitent que ce n’est pas par peur que nous ne disons rien, mais plutôt pour que nous travaillions tous ensemble à construire notre pays. C’est un sentiment qui n’est pas partagé apparemment. Donc, la sortie de ce matin est un avertissement pour ceux-là qui pensent qu’ils ont le monopole de la violence. On n’a jamais vu une insurrection sans incarcération et sans jugement, bien qu’il y ait eu des pertes en vies humaines. Mais nous sommes sortis pour dire que les choses vont changer et c’est le peuple qui va conduire sa Transition et veiller sur elle pour que la démocratie triomphe. La mobilisation d’aujourd’hui est grande et c’est avec ces personnes que nous allons construire le pays. »
Karignan Zakaria, militaire radié en 2011
« Nous voulions simplement revendiquer nos droits et dire à Blaise Compaoré de partir »
« Nous avons été radiés des forces armées en 2011, suite à notre sortie pour revendiquer. Cette sortie a aussi été une manière, en son temps, de demander le départ de Blaise Compaoré et cela, la population ne l’avait pas compris. Notre but n’était pas de sortir pour faire des pillages mais cela est arrivé à cause de certains individus qui s’étaient infiltrés pour saper notre lutte. Sinon, nous voulions simplement revendiquer nos droits et dire à Blaise Compaoré de partir. Le message que nous avons à passer est un message de pardon. Nous demandons pardon au peuple et aux autorités de la Transition pour ce qui s’est passé en 2011. Nous les invitons à se pencher sur notre cas et nous rappeler dans les forces armées nationales car, cela fait 4 ans que nous vivons avec nos familles sans emploi. Nous sommes près de 800 personnes et nous soutenons aussi la Transition. C’est de notre devoir en tant que citoyens, d’aider le peuple dans sa lutte. »
Zéphirin Diabré, président de l’UPC
« Nous sommes très contents de cette mobilisation »
« Le message que nous avons voulu transmettre est un message de mobilisation continue et constante des forces qui ont fait le changement des 30 et 31 octobre derniers. C’est aussi un message de soutien aux institutions, aux dirigeants de la Transition, aux actes qu’ils posent. Il est important que ceux qui étaient à la base de la mise en place de la Transition fassent passer un message de leur unité et de leur soutien à ladite Transition et nous sommes très contents de cette mobilisation. »
Shériff Sy, président du CNT
« La loi est en totale synergie avec les convictions les plus profondes du peuple »
Nous sommes du peuple et nous assumons des responsabilités que le peuple nous a confiées. Si nous sommes là, c’est parce que le peuple l’a voulu et nous travaillons à accomplir les missions qui nous sont confiées. Nous ne sommes donc pas séparés de notre peuple. Concernant la loi qui a été votée, nous n’avons jamais douté que cette loi était en phase avec les aspirations de notre peuple. Si la loi a été votée, c’est parce que nous estimons qu’elle est en totale synergie avec les convictions les plus profondes du peuple. »
Bénéwendé Sankara, président de l’UNIR/PS
« Ceux qui pensent qu’ils sont exclus, le sont du fait de leur comportement »
« C’est un meeting qui consiste à rappeler que les acteurs de l’insurrection sont toujours déterminés et prêts à défendre leur insurrection, afin que notre pays puisse se bâtir sur des bases saines et débarrassées de la corruption et de l’impunité. Nous sommes venus, mobilisés et déterminés pour accompagner les organes de la Transition pour qu’ils accomplissent leur mission. L’impunité ne sert ni à l’inclusion, ni à l’exclusion. La justice traite tout le monde d’égal pied et ceux qui, aujourd’hui, pensent qu’ils sont exclus, le sont du fait de leur comportement, des actes qu’ils ont eu à poser et de la répression prévue par nos lois pour les délinquants à col blanc. Si vous avez détourné des parcelles, volé des deniers publics, alors, inquiétez-vous. Le peuple qui est présent à ce rassemblement est confronté au chômage, à l’extrême pauvreté. Ceux qui se sentent exclus, ce sont ceux-là qui ont été des sangsues et qui ont sucé le sang du peuple. Leur place est à la maison d’arrêt et de correction. »
Luc Marius Ibriga, OSC
« Quand on pose un acte, on en assume les conséquences »
« La Charte africaine stipule que tous les auteurs de changements anticonstitutionnels ne peuvent pas prendre part aux élections qui remettent en place le système démocratique, c’est clair et net. Cette Charte a été constitutionnalisée au Burkina Faso. C’est une règle constitutionnelle, donc une règle qui est au-dessus de toutes les autres règles. Comment voulez-vous, si on respecte le droit, qu’on puisse violer cette règle et faire comme si ceux qui avaient en tête de réviser l’article 37 de la Constitution n’ont pas posé un acte répréhensible ? Quand on pose un acte, on en assume les conséquences. Ces personnes veulent bénéficier des garanties juridictionnelles dans la mesure où ils peuvent déposer leurs candidatures. Mais, il appartiendra au juge de l’élection, sur la base de la contestation des autres candidats, de pouvoir dire s’il valide où s’il ne valide pas la candidature. Donc il n’y a pas d’exclusion. C’est une règle comme toutes les autres conditions d’inéligibilité. J’entends des gens dire que l’article premier de la Constitution dit que tous les Burkinabè naissent libre et égaux en droit, ce qui n’est pas faux. Mais si c’est cela, pourquoi tous les Burkinabè ne votent pas ? C’est parce que dans la société, il y a des règles qui sont codifiées et quand c’est la loi qui différencie, on accepte. Pourquoi y a-t-il des gens qui, dans le cadre de cette situation, sont en prison et ne pourront pas voter ? Alors, si on veut appliquer l’article premier de la Constitution comme le disent ces gens, il n’y a qu’à ouvrir les prisons pour que les gens votent. Alors il y a un comportement que la société veut promouvoir, celui d’éviter la tentation de pouvoir à vie et il faut que cela reste dans la mémoire des Burkinabè. Ces personnes nous disent qu’elles n’ont rien fait de mal. C’est dire qu’aujourd’hui, il y a un révisionnisme. Ceux-là qui, hier, demandaient pardon parce qu’ils ont fauté, disent aujourd’hui qu’ils n’ont rien fait. Demain ils vont dire, et certains ont même commencé, que ce ne sont pas eux les fautifs mais plutôt ceux d’en face. Donc, il fallait que le peuple insurgé se remobilise. Nous savions, en toute bonne foi, que la main tendue nous permettrait de conduire, en toute bonne foi, ensemble le changement. Donc la remobilisation est faite pour sauvegarder les idéaux de la transition. Nous avons réussi à faire partir Blaise Compaoré mais la lutte continue car, en face, il y a des gens qui ont perdu beaucoup d’intérêts et ils ne sont pas prêts à accepter cela. C’est pour cela qu’il fallait cette mobilisation pour traduire le sentiment du plus grand nombre pour le changement, et pour que la transition mette en œuvre des réformes profondes pour une démocratie véritable au Burkina Faso. »
Propos recueillis par T. S.