C’est parti depuis le 1er avril pour le dernier round de l’année scolaire 2014-2015. A Nouna, pour les élèves qui poursuivent leurs études loin de leurs parents, cette séparation n’est pas sans difficultés, notamment pour ceux qui n’ont pas de famille d’accueil, contraints une fois à destination de concilier vie d’école et école de la vie. Confrontés à des ruptures de provisions alimentaires, aux maladies ou encore aux grossesses indésirées, beaucoup, après mille et une difficultés, abandonnent les études en cours année scolaire.
Faute d’infrastructures scolaires dans leur village d’origine, des milliers d’élèves convergent, chaque année, vers le chef-lieu de la province de la Kossi afin de poursuivre leurs études au secondaire. Si certains sont reçus par des amis ou des alliés de leur famille, nombreux sont ceux qui n’ont pas trouvé de logeurs. En effet, à Nouna, comme dans bien d’autres villes, les gens sont de plus en plus réticents à recevoir chez eux les enfants des autres. Une des raisons évoquées : certains élèves se comportent mal, se révoltent souvent contre leurs tuteurs, mettant à mal des relations parfois vieilles de plusieurs décennies.
Narcisse Sieho, 15 ans, est élève en classe de 4e au lycée communal. Orphelin de père, il a vite appris à préparer le tô auprès de ses deux frères qu’il a rejoints dans une maison de fortune au secteur 3 de la ville. Toutes les deux semaines, le jeune Narcisse doit parcourir plus d’une trentaine de km pour se rendre à Kéréna, son village, à la recherche de provisions alimentaires. Malgré tout, il s’est adapté à son nouvel environnement et estime que c’est à ce prix qu’il parviendra à réaliser son rêve de devenir professeur de mathématiques. Un chemin qui semble être tout tracé puisque Narcisse est premier de sa classe. Si seulement il pouvait en être ainsi pour tous ces camarades vivant la même situation ? Hélas !
Pas d’argent pour le PM
Loin du cadre familial, beaucoup d’élèves éprouvent d’énormes difficultés à poursuivre leurs études, contraints qu’ils sont de concilier école et ménage. Selon le proviseur du lycée communal, Souleymane Ouédraogo, la plupart s’illustrent négativement à l’école. «Ces élèves doivent repartir à midi pour préparer, l’établissement n’ayant pas de cantine, et reviennent à l’école fatigués et dorment. Un enfant qui est obligé de concilier ses études et les tâches ménagères est obligé de craquer ; si bien que beaucoup préfèrent abandonner et repartir cultiver le sésame pour s’acheter de grosses motos, déclare M. Ouédraogo, avant d’ajouter : «Avant, on constatait que ce sont ceux qui venaient des villages qui travaillaient bien. Mais de nos jours, c’est le contraire, car ce sont eux qui viennent en retard, qui s’absentent. On constate que chaque week-end ils sont obligés de retourner dans leurs villages pour s’approvisionner en vivres. Et parfois, ils se permettent de partir du village le lundi matin pour rejoindre leurs établissements. Pour une panne de vélo, ces enfants peuvent passer toute la journée en cours de route ».
Même s’il existe des centres d’accueil pour élèves tels que les Foyers Saint-Nicaise et Bekadew, leurs accès n’est pas à la portée de tous. Parmi ceux qui parviennent à y accéder, seuls les plus disciplinés terminent l’année scolaire. Les autres sont renvoyés pour banditisme.
Les frères Valentin et Nicaise Coulibaly sont élèves respectivement en classe de 5e et de 6e au lycée Horoya. Le mardi 07 avril 2015 à 06h45, nous les avons retrouvés devant la maisonnette qui les abrite. Ils étaient prêts pour aller à l’école. La faim se lisait sur leurs visages. Devant une marmite vide, Valentin nous indique qu’il ne dispose pas de temps pour préparer le petit déjeuner. «Pourtant, nous n’avons pas d’argent pour le PM (NDLR : petit marché au sein des établissements où les élèves achètent de quoi calmer leur faim pendant la récréation).
A 09h déjà, on a faim et on pense au repas de midi. On dit que ventre affamé n’a point d’oreilles » affirme le jeune Valentin. Dans la même situation, pour d’autres élèves sans tuteurs, la pauvreté de leurs parents complique malheureusement leur état, et ils s’adonnent parfois à des actes déplorables tels que le vol ou la prostitution pour les filles pour avoir de quoi manger.
Aller chercher du bois en brousse avec tout le risque que cela comporte ou à la fontaine pour chercher de l’eau et revenir préparer à manger ; voilà, entre autres, les tâches que les élèves qui évoluent seuls doivent conjuguer avec leurs études.
Le bout du tunnel est loin
Dans de telles conditions, Ni Nicaise ni Valentin, encore moins Nina qui habite avec sa sœur Cécile n’ont obtenu la moyenne au cours des deux derniers trimestres. Un échec que Nina Traoré, en classe de 4e au lycée provincial, n’arrive pas à justifier. Originaire de Bomborokuy, elle estime que toutes les conditions sont réunies pour mener à bien ses études. Mais pour combien de temps encore ? Le bout du tunnel est encore loin.
Pour le directeur provincial de l’Action sociale et de la Solidarité nationale de la Kossi, Moustapha Ouattara, les filles sont plus exposées que les garçons. «Quand les enfants viennent, c’est une nouvelle découverte. Ainsi sans encadrement parental, c’est la liberté et le libertinage. La plupart des filles qui ont contracté des grossesses en milieu scolaire sont logées seules », déclare M. Ouattara. C’est le cas d’Eugénie Ouettien. Alors élève en classe de 3e, la venue au monde de son bébé l’a contrainte à suspendre les cours dès le premier trimestre. Après maintes tentatives pour entrer en contact avec Eugénie, nous avons appris qu’elle a regagné son village dans la province des Banwa. Scolarité terminée ? En tout cas pour cette année si ce n’est pour toujours.
Boureima Badini