Ecrivain-Journaliste, Sayouba Traoré, a pris sa plume pour défendre l’amendement du code électoral qui interdit de fait aux anciens barons du régime de Blaise Compaoré de briguer des mandats électifs lors des prochaines échéances électorales. Dans cette tribune, notre confrère exhorte les ambassadeurs occidentaux à comprendre sinon à essayer de comprendre cette décision du peuple burkinabè qui ne peut pas composer sans inquiétude avec ses tortionnaires. Lisez plutôt.
Excellences Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Avant toute chose, je dois confesser une insuffisance personnelle. Si je suis à l'aise avec le parler burkinabè, si je sais me débrouiller avec le français, langue officielle de mon pays, je manie laborieuse la langue anglaise. Conséquence logique, je dois m'en remettre à d'autres pour savoir que « Pour les États-Unis, « les modifications apportées au code paraissent incompatibles avec les principes démocratiques de la liberté d’expression, liberté d’association, et d’élections libres, équitables et pacifiques. »
Et quand le Département d’État états-unien dit « Nous exhortons le gouvernement de transition, la société civile et d’autres acteurs qui ont contribué à la défense de ces principes démocratiques d’utiliser une approche coordonnée, consensuelle et inclusive dans la conduite des élections », cela appelle de la part d'un Burkinabè les remarques suivantes. Veuillez, je vous en supplie, ne pas vous en offusquer.
Excellences Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
L'histoire du peuple américain donne à réfléchir. C'est un sujet d'étude inépuisable. La lutte des minorités dans ce grand pays est un exemple scintillant pour nous Africains d'aujourd'hui. Et quand on regarde la Constitution américaine, on ne peut qu'être admiratif. Une page ! Quelques articles ! Et cela a traversé les âges. Et quand on voit le fonctionnement des institutions issues de cette Constitution américaine, on respecte le génie des hommes. Le président Bill Clinton était très haut dans les sondages. On ne peut pas dire que le peuple américain n'aimait pas cet homme. Mais il avait épuisé ses deux mandats que la Constitution américaine lui accordait. Il a cédé la place. De même pour le président Obama qui sait qu'il doit quitter la Maison-Blanche et laisser la place à quelqu'un d'autre. Hormis le président Franklin Delano Roosevelt, tous les chefs d’Etat étasuniens ont respecté cette règle. On ne connaît pas de président américain qui a fait quarante ans à la Maison-Blanche.
Excellences Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
La France est le pays de la Déclaration universelle des Droits de l'homme. Et cela, par deux épisodes édifiants. La première, consécutive à la Révolution de 1789. En ces temps obscurs où l'humanité n'est pas réunie par la technologie et la mondialisation, en ces temps agités où des hommes trouvent normal de posséder et de vendre d'autres hommes, un cénacle se réunit et a le courage inouï d'écrire et de proclamer que « Tous les hommes naissent libres et égaux en droits ». Foudroyant ! Deuxième temps fort, au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Les cendres du conflit ne sont pas encore refroidies, on n'a pas fini de soigner les « gueules cassées », que des hommes ont l'audace insensé de réitérer : « Tous les hommes naissent libres et égaux en droits ». Et ils ne se contentent pas de le dire. Ils se battent pour que cela advienne !
Excellences Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Comprenez-nous ! Essayez en tout cas de nous comprendre ! Nous suivons l'actualité dans vos différents pays. Nous voyons, et nous vivons ce qui s'y passe par procuration. Pensez donc ! Les Français et les Américains changent de président, tout simplement parce que le peuple l'a décidé par son vote ! Changer de président, tout simplement parce qu'on ne veut plus de l'ancien, et qu'on lui préfère quelqu'un d'autre au palais de l’Élysée, mettre un autre président à la Maison Blanche tout simplement parce que c'est la loi qui le dit, ça donne le vertige !
Comprenez le vertige qui nous saisit, car il est tout de même singulier de voir qu'un homme, un groupe social, une communauté entière, peuvent avoir souffert d'exclusion au cours des siècles, sans toutefois comprendre les autres peuples souffrant des mêmes maux.
Comprenez le vertige qui nous saisit, car il est tout de même inquiétant de voir des hommes d'expérience instaurer un confort institutionnel dans leur patrie, et demeurer incapables de comprendre la quête inlassable de liberté des autres peuples.
Excellences Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Pendant des décennies, un pouvoir s'est appliqué à confisquer toute espérance dans notre pays. En 1990, des femmes et des hommes, coalisés en une Confédération des Forces démocratiques, se sont battus pour avoir une Constitution. En juin 1991, nous avons obtenu le vote de cette Constitution. La suite nous apprendra que la loi seule ne suffit pas. Il faut des hommes capables de la mettre en œuvre. Voilà pourquoi on nous a baladés de révisions constitutionnelles en compromissions, d'élections truquées en assassinats politiques, jusqu'en octobre 2014. Vos représentations diplomatiques ont suivi ces différentes évolutions en live.
Excellences Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Je vous prie de me croire, le peuple burkinabè n'est pas un peuple vindicatif. Il n'a en cela aucun mérite particulier. Ce sont nos ancêtres qui nous ont légué une culture avec des rouages bien huilés. Nous savons que tout homme est programmé pour fauter. C'est pourquoi nos ancêtres ont prévu des mécanismes de médiation sociale. Nous savons dissoudre les rancœurs pour pouvoir avancer. Mais cela ne veut pas dire accepter le n'importe quoi de la part de n'importe qui.
Nous sommes comme tous les peuples sur cette planète Terre. Quand un Burkinabè a du mérite, nous applaudissons à l'unisson. Et comme partout, quand un Burkinabè s'est rendu coupable de forfaiture, nous savons qu'il faut une sanction.
Excellences Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Je me dois de reprendre ici la parabole de Jésus sur la dîme. Celui qui a un million de dollars et qui donne cent dollars donne moins que celui qui a deux dollars et donne un dollar. Vos pays ont des budgets gigantesques. Quand un fonctionnaire chez vous vole 1000 euros, il fait moins de mal que le fonctionnaire burkinabè qui vole 1000 euros sur un budget de 1 500 euros. Vous voyez donc, Excellence Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, quand je vous demande humblement de bien vouloir accepter de nous comprendre. Le ressenti ne peut pas être le même.
Excellences Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
« Une approche coordonnée, consensuelle et inclusive dans la conduite des élections », c'est justement ce que nous avons revendiqué pendant 27 longues années. C'est justement ce qui nous a été refusé pendant ces 27 longues années. Faites vous traduire le terme « toukguili » et vous comprendrez ce que ces femmes et ces hommes ont fait subir à leur propre peuple. En Europe et en Amérique, de telles gens seraient automatiquement placés en détention.
Vous êtes puissants. Vos paroles pèsent lourd en ce bas monde. Ne nous demandez pas de regarder nos tortionnaires comme des hommes de toute probité avec qui on peut composer sans inquiétude ! Nous n'excluons personne. Mais nous excluons des pratiques que nous ne voulons plus vivre.
Sayouba Traoré
Écrivain-Journaliste