Connu pour ne pas avoir sa langue dans la poche, le président du Rassemblement patriotique du Faso (RPF), Abraham Nignan dit Le Général, dans l’interview qu’il nous a accordée, le jeudi 16 avril 2015, donne sa lecture sur la situation nationale. De l’adoption du nouveau code électoral aux arrestations de certains dignitaires de l’ancien régime, en passant par la conduite de la transition et la vie de son parti, Le « Général » n’est pas allé du dos de la cuillère pour cracher ses quatre vérités.
Le quotidien: Le 7 avril dernier, le Conseil national de la Transition a adopté le nouveau code électoral. De façon générale, quelle appréciation en faites-vous?
Abraham Nignan:Vous savez que je suis celui-là même qui a refusé de rentrer au CNT. J’ai refusé aussi d’être dans le gouvernement parce que je sais que c’est le même système que celui de Blaise Compaoré. Je n’ai jamais cessé de dire haut et fort que si l’on n’y prend garde, les autorités de la Transition risquent de conduire la Transition vers le chaos. Aujourd’hui, on a l’impression que la Transition est en train de prendre des mesures pour plaire à ceux-là même qui lui ont donné le pouvoir. Peut-être que c’est juste pour satisfaire ceux qui lui ont donné le pouvoir.
-Le nouveau code électoral frappe d’inéligibilité les personnes qui ont soutenu la modification de l’article 37. Quelle lecture faites-vous de cet article 135 qui fait polémique ? Pensez vous qu’il vise réellement une exclusion?
-Je pense que cela n’engage que ceux que cet article exclut, parce que je ne fais pas partie de ceux que l’article exclut. Donc, je ne vais pas revenir là-dessus. Mais, je pense que si l’on doit exclure des gens, on doit exclure ceux qui, depuis 1987, sont restés auprès de Blaise Compaoré. Pour nous, être conseiller, c’est être corrompu. Etre ministre, c’est être davantage corrompu. Même ceux qui ont une fois été députés de Blaise Compaoré sont corrompus. Aujourd’hui, je ne sais pas qui on doit exclure parce que l’affaire concerne un groupe de personnes qui ont mangé dans la même assiette. Le Rassemblement patriotique du Faso n’a pas besoin de rentrer dans cette histoire. On sait qu’aujourd’hui, s’il y a un parti au Burkina qui a les mains propres, c’est bel et bien le RPF, parce que nous n’avons pas été dans le système de Blaise Compaoré.
-Depuis un certain temps, on assiste aux arrestations des ex-dignitaires du régime Compaoré. Pensez-vous que cela vient à propos ?
Je pense que ceux-là qui ont entrepris ces arrestations ne sont pas sérieux. On aurait dû mettre ces personnes aux arrêts si on avait des reproches à leur faire, dès les premières heures de la chute de Blaise Compaoré. Qui est-ce qu’on peut appeler dignitaires du régime Compaoré ? Nous n’en savons pas grand-chose. Nous sommes des patriotes et nous voulons la paix pour notre pays. Il ne faut pas créer des divisions. Il ne faut pas créer des problèmes au Burkina. Ce n’est pas le rôle de la Transition. Le rôle de la Transition est d’organiser des élections transparentes, équitables et acceptées par tout le peuple burkinabè. Je ne sais pas sur quoi on se base pour mettre ces gens aux arrêts. Je ne sais pas s’il s’agit d’intimidations ou autre chose. De toutes les façons, nous ne nous inscrivons pas dans cette logique. Il faut que le gouvernement de la Transition fasse attention, parce qu’on a besoin de la paix au Burkina. Il va falloir qu’elle mette la balle à terre pour conduire la Transition à bon port.
-On accuse ces ex-dignitaires de malversations et une certaine opinion semble apprécier la dynamique de la Transition…
-Nous sommes de l’opposition radicale. Alors, s’il doit avoir des arrestations, il faudra commencer par arrêter tous ceux qui ont travaillé avec Blaise Compaoré depuis 1987. On ne peut pas cibler un groupe donné et procéder à des arrestations. Si l’on doit arrêter des gens, cela signifie que tous les anciens ministres, les anciens députés et les anciens maires de Blaise Compaoré devraient être mis aux arrêts pour rendre compte au peuple. Nous ne sommes pas concernés par ces arrestations.
-Le Premier ministre, concernant les grèves à répétition, a menacé à demi mot ceux qui conduisent ces grèves et qui, selon lui, veulent saboter la Transition. Pensez-vous que les syndicats sont dans leur droit de revendiquer de meilleures conditions de vie ou doivent-ils cesser leurs manifestations pour accompagner la Transition ?
-Le Premier ministre, lui-même, ne respecte pas sa parole. S’il se souvient, dès les premières heures de l’insurrection où il a pris la parole, il a dit que plus jamais des décisions ne se prendront dans les bureaux. Il a dit que toutes les décisions se prendront dans la rue. Ce sont ses propos qui le rattrapent aujourd’hui puisqu’il a dit que plus jamais rien ne sera comme avant et que toutes les décisions seront prises avec le peuple et dans la rue. Mais, si aujourd’hui, le peuple sort dans la rue pour manifester, de quel droit le Premier ministre peut-il menacer de la sorte alors que ce sont les manifestations qui l’ont conduit là où il est actuellement ? Il faut que le Premier ministre soit sérieux et conséquent dans ses propos. Il faut qu’il arrête de menacer puisqu’il a dit que toutes les décisions se prendront dans les rues. Donc, si les syndicats descendent dans la rue, c’est dans leur droit. Qu’il respecte sa parole.
-Certains diplomates vivant au Burkina pensent qu’il faut toujours respecter le principe d’inclusion, contrairement à certaines organisations de la société civile qui soutiennent le code électoral. Pensez- vous que le discours de ces diplomates va en droite ligne avec les espoirs suscités par l’insurrection ?
-Il faut que les gens mettent la balle à terre pour qu’il y ait la paix. Ce n’est dans l’intérêt de personne que le Burkina sombre dans le chaos. Généralement, s’il y a toujours des problèmes dans un pays, c’est à cause des gens qui racontent partout que tel ou tel groupe veut détruire ceci ou cela. Pourtant, ce sont eux qui sont à la base. Il faut que certaines OSC fassent attention puisqu’elles ne parlent que dans leurs propres intérêts. Aujourd’hui, on voit certaines associations sortir de nulle part déguisées en anges. Il faut que chacun mette la balle à terre. Quand on dit Rassemblement patriotique du Faso, on parle des gens qui sont prêts à rassembler et non à diviser. On les appelle à jouer balle à terre. Il n’est dans l’intérêt de personne de brûler le pays.
-Récemment plusieurs sondages ont placé respectivement l’UPC et le MPP en tête pour la prochaine présidentielle. Quel regard portez-vous sur ce type d’exercices ?
-Je n’y crois pas. C’est quelque chose de fabriquer. Ça peut être des sondages politisés. C’est au jour-J qu’on saura qui va remporter cette présidentielle. Mais, en attendant, personne ne peut dire qui sera le vainqueur. Sinon, si le peuple burkinabè connaît le vainqueur, pourquoi aller aux élections ? Nous ne croyons nullement à ces sondages. Nous n’allons y accorder du crédit que lorsqu’ils se confirmeront au soir de la présidentielle d’octobre.
-Quelle note donneriez-vous à la Transition ?
-Je donnerai la note de 00,00/20 à la transition. La Transition est nulle. Voilà des gens qui viennent se débrouiller. Mais, en politique, on ne vient pas pour se débrouiller. Ils ne savent même pas où ils vont. Depuis la nomination de Zida, j’ai dit que la transition est faussée. On ne peut pas avoir 5 ministres militaires dans un gouvernement ou 25 militaires au Conseil national de la transition. C’est étonnant quand on sait qu’aucun parti politique n’a 25 représentants au CNT. Vu tout cela, nous savions que la transition allait tâtonner. Lorsque la transition aura tendance à nous conduire vers le chaos, alors, nous serons obligés de taper du poing sur la table pour rappeler tout le monde à l’ordre.
-Intéressons-nous maintenant à la vie de votre parti. Comment se porte-t-il?
-Quand vous posez une telle question à n’importe quel président de parti politique, il vous dira que le parti se porte très bien. Mais, nous ne sommes pas dans cette logique. Au RPF, nous avons une ligne bien tracée. Depuis que le parti est créé, nous n’avons jamais dévié de cette ligne. Les militants nous soutiennent par rapport à notre prise de position. Qu’à cela ne tienne, je vous dirai que le parti se porte très bien. Nous allons nous organiser. Nous allons choisir notre candidat avec d’autres partis politiques qui vont nous rejoindre. Il s’agit de 17 partis politiques au total. Ensemble, nous allons choisir un candidat qui va aller à l’élection présidentielle.
Parlant de la présidentielle, vous savez sans doute que la caution est passée de 10 millions à 25 millions de -francs CFA. Est-ce que le RPF aura les ressources nécessaires pour réunir cette somme ?
-Notre richesse, c’est la jeunesse et la population. Si le parti a jugé nécessaire qu’on ait un candidat, on va cotiser comme il le faut et trouver les moyens pour conduire notre candidat à bon port.
-Un commentaire sur le nouveau montant de la caution
-J’ose croire qu’on n’a pas augmenté la caution pour freiner les candidats sérieux. On peut avoir des candidats sérieux, des gens capables de diriger le Burkina, mais qui n’ont pas les 25 millions. La caution élimine des candidats moins nantis, sérieux et capables de diriger le pays. S’il faut augmenter la cagnotte pour empêcher certains candidats de se présenter, là je m’y oppose. Par contre, si le montant de 25 millions a été arrêté pour tenir compte de certains aspects objectifs, il n’y a pas de problème. Quoiqu’il en soit, le RPF et son candidat pourront réunir les 25 millions de francs CFA. Peut-être qu’il existe d’autres partis politiques qui ont des candidats capables de gérer le Burkina Faso, mais qui ne peuvent pas réunir cette somme.
-Est-ce que le RPF pourra s’en sortir s’il est candidat parmi ces nombreux partis politiques ?
-Le RPF dispose d’un programme, contrairement à nombre de partis politiques. Depuis la mort de Thomas Sankara, le RPF s’est fait l’idée que le Burkina Faso doit aller sur de nouvelles bases. En toute modestie, je pense que nous sommes le seul parti au Burkina Faso qui peut faire le bonheur du peuple burkinabè. Si vous faites la remarque, vous verrez que ce sont les anciens ministres ou députés qui vont créer de nouveaux partis. Ils ne peuvent pas être aussi crédibles que le RPF.
-Pour finir…
-Je demande aux autorités de la Transition de jouer balle à terre. Je leur demande d’organiser des élections transparentes. Il ne faut pas qu’elles oublient que lorsqu’elles nagent, on voit leur dos. Le Burkina Faso a besoin de tous ses fils, même des mendiants qui sont aux feux tricolores. Je demande au peuple burkinabè de cultiver l’amour et la paix.