Ceci est une réflexion de Zoétenga Lazaerius, instituteur à la retraite. Elle porte sur les élections en cours au Burkina Faso dont la présidentielle de 2015. Faisant une rétrospective des élections post-transition tenues dans les différents pays d’Afrique de l’Ouest où les présidents élus ont bénéficié d’un soutien indescriptible des hommes de tenue, il se demande si l’histoire du Burkina Faso ne s’inscrira pas dans cette contagiosité. Autrement dit, les militaires vont-ils rester neutres ou vont-ils chercher à favoriser un candidat ? Lisez !
Alors que la transition mène son petit bonhomme de chemin, les conjectures vont bon train sur la position des militaires vis-à-vis de l’élection présidentielle de Novembre 2015. Vont-ils rester neutres, ou vont-ils chercher à favoriser un des candidats ? La question mérite d’être posée et analysée au regard de son importance sur la poursuite harmonieuse de la transition.
Le mandat principal d’une transition comme celle que vit le Burkina aujourd’hui c’est de préparer les élections multiples qui doivent consacrer le retour à une vie constitutionnelle normale et amorcer les bases des grandes réformes politiques et institutionnelles. Cependant l’observation fine des transitions du même genre dans la sous-région et ailleurs révèle, qu’en plus d’organiser les élections, les militaires ont toujours eu le souci du sort qui leur sera réservé à la fin de la transition. Et pour se garantir la sortie qu’ils désirent, ils n’hésitent pas à favoriser un des candidats. Au Niger, il est de notoriété publique que c’est l’armée qui a fait la victoire de Mamadou Issoufou, contre celle de Hama Amadou, jugé incontrôlable par les militaires. Au Mali, tout le monde sait que l’homme fort du putsch, le Commandant devenu Général Sanogo a mis tout son poids dans la balance pour faire élire IBK, pestiféré sous ATT, et contre Soumaila Cissé, jugé trop proche du même ATT, victoire aurait pu créer des problèmes à ceux-là mêmes qui ont provoquer la chute de ATT. Au passage, il n’est pas sûr qu’il referait ce choix s’il était à refaire, vu ce qu’il subit actuellement.
Ces exemples montrent bien que la tentation est toujours grande pour des militaires conduisant une transition, de se départir de leur devoir de neutralité, et de prendre parti. Ils le font parce qu’ils veulent garder un certain contrôle sur l’après transition. Et on les comprend ! En arrivant au pouvoir, ils ont bouleversé un ordre ancien. Si un des tenants de cet ordre ancien revenait aux affaires, ils auraient du souci à se faire. Pendant qu’ils sont aux affaires, ils posent des actes, parfois à la limite de la légalité, et la dernière chose qu’ils voudraient, c’est que leurs successeurs leur demandent des comptes. En plus, après la transition, ils veulent poursuivre leurs carrières, et cela n’est possible que s’ils sont en bons termes avec celui qui aura les rênes du pouvoir. Enfin, l’exemple d’ATT montre qu’après avoir conduit une transition et pris un certain goût au pouvoir, certains militaires reviennent sous le manteau de politiciens. Dans ce contexte, quoi de plus normal que de laisser le pouvoir à quelqu’un qui vous renverra l’ascenseur le moment venu ?
A quel scénario faut-il s’attendre au Burkina ? Si rien de tangible ne semble indiquer que nos militaires ont fait leur choix quant à la personne qui pourra leur succéder, il faut être naïf pour croire qu’ils vont observer une stricte neutralité et traiter tous les prétendants sur le même pied. Ouagadougou bruisse de toutes les rumeurs, sur fond de conciliabules, et de rencontres secrètes. Ils sont nombreux ceux qui, dans la classe politique, évoquent même ouvertement l’existence d’un deal entre les militaires et le MPP. Dans cet arrangement, les leaders du MPP se seraient engagés à conserver certains des militaires en poste, et à ne pas aller trop loin dans la remise en cause du passé, eux-mêmes et les militaires du RSP étant susceptibles d’être rattrapés par des affaires. Vrai ou faux ? difficile à dire !
Ce qui est sûr, c’est que certains des membres de la junte sont bien connus comme étant des proches des dirigeants du MPP. Au Burkina, on sait qui fréquente qui et qui est redevable à qui ! Comme tout le monde le sait, dans le passé, on faisait difficilement carrière au Burkina jusqu’à un certain niveau, sans croiser le chemin des puissants « moghos » assis à la droite de Blaise. Le trio RSS était de ceux-là ! difficile de devenir important sous Blaise Compaoré sans croiser leur chemin ! A cela s’ajoute que nos militaires sont aussi des citoyens. Ils ont des problèmes, des relations familiales, professionnelles, confessionnelles, des amis d’enfance, des voisins, ou des intérêts financiers etc. On a vu la force de ces paramètres dans la manière dont le gouvernement de la transition a été composé, avec une prime donnée à l’amitié et aux relations diverses, toute chose qui a conduit aux épisodes Sagnon et Guiguemdé. Ils ne peuvent donc pas être totalement neutres !
Au Burkina plus qu’ailleurs, tous les partis politiques ont des sympathisants dans l’armée, même si ceux-ci ne le montrent pas ouvertement. En scrutant les décisions récentes du gouvernement de la transition, beaucoup se demandent si elles ne sont pas téléguidées par des mains invisibles, en fait tout à fait visibles. Il est ainsi de la dissolution des conseils municipaux, salutaire en soi après l’insurrection, mais que beaucoup attribuent surtout au MPP, absent de ces conseils, et qui veut ainsi détruire la force du CDP, ennemi héréditaire avec lequel il partage le même ADN. Idem pour la mesure de suspension du CDP et de l’ADF, vécue par certains comme une manœuvre destinée à les mettre en hibernation jusqu’à la fin de la transition, ce qui permettra au MPP de récupérer les militants égarés. Idem aussi pour la dissolution de la chambre de commerce, où l’un des prétendants les plus en vue, adversaire farouche de la belle-mère nationale Alizéta Ouédraogo, est connu pour être un des financiers du MPP. La nomination du directeur de cabinet du PM Zida est venue rajouter au troubles et aux interrogations. M. Job Ouédraogo est un des hommes de Simon Compaoré, auprès de qui il a officié longtemps à la mairie de Ouagadougou. C’est ce qu’on appelle infiltrer un pouvoir ! Peut-il être neutre à ce poste alors que son ami et ancien mentor est à la conquête du pouvoir ? Assurément non ! Les autres nominations annoncées au fil des conseils de ministre sont venues confirmer les soupçons. Beaucoup de DG fraichement promus sont connus comme étant proches du MPP. Ceux qui spéculent n’ont donc pas tout à fait tort.
Qu’est ce qui pourrait expliquer un tel rapprochement ? Plusieurs choses.
De tous les partis d’opposition, celui dont le CDP et ses alliés craignent le plus à l’arrivée au pouvoir, est le MPP. Ils savent bien que si Roch accède au pouvoir, c’est Salif Diallo qui sera le président de fait. Or, ce dernier est mû par une haine et une grande soif de revanche à l’endroit de tous ceux qui, de son point de vue, ont comploté pour lui faire perdre la position privilégiée qu’il occupait aux cotés de Blaise Compaoré. De la même manière, de tous les autres partis d’opposition, le MPP est assurément celui qui a le plus à craindre d’un retour au pouvoir du CDP, ou de candidats téléguidés par lui. C’est pour lui une question de vie et de mort.
Comme tout le monde le sait, les animateurs de ces deux partis, MPP et CDP, proviennent de la même matrice. Ils ont un temps géré le même parti et ont à cette occasion, développé les uns envers les autres, une véritable haine, née à la faveur de la lutte pour le contrôle du parti. Cette haine ne repose pas sur des divergences idéologiques ou de gestion. Elle est née sur les fonds de la féroce querelle de famille qui a secoué le CDP, et qui n’était en réalité qu’une querelle pour le pouvoir et le contrôle du parti. Or comme on le sait, les divorces familiaux créent des animosités plus fortes que les oppositions traditionnelles. Cette haine mutuelle des deux camps s’est renforcée à la faveur de l’insurrection. Les barons du CDP sont convaincus que ce sont leurs anciens camarades qui ont fait brûler leurs maisons.
La position du MPP l’oblige à tout faire, pour ne pas rater le pouvoir cette fois ci. Quand c’est ainsi, il faut faire tous les deals possibles avec ceux qui détiennent actuellement la réalité du pouvoir, c’est-à-dire les militaires de la transition.
Or, le terrain pour une telle alliance n’a jamais été plus propice car il se trouve que Zida et ses compagnons sont exactement dans la même situation vis-à-vis du CDP et de l’ancien pouvoir. C’est bien connu qu’à l’origine, l’arrivée de Zida procédait d’un arrangement organisé par Blaise lui-même, et mis en œuvre par le Général Diendéré. Zida a été envoyé en mission à l’Etat-major lors de la réunion décisive des officiers supérieurs. Il y est parti avec une instruction claire de Blaise Compaoré et de Diendéré : arracher le pouvoir des mains du Général Nabéré Traoré, pour assurer la survie du RSP. Le problème est que, une fois en fonction, Zida a montré des velléités d’émancipation qui n’ont pas plu à ses ex-mentors. Dans un premier temps il s’est évertué à expliquer que n’eut été sa retenue et celle de ses camarades, le pays aurait connu un bain de sang parce que Blaise Compaoré aurait donné des instructions de tirer sur les manifestants. Cette version contredit le discours officiel du régime déchu, qui soutient que Blaise Compaoré a démissionné pour éviter un bain de sang ! Ensuite, Zida s’est laissé aller à des envolées lyriques sur les dossiers Sankara et Norbert Zongo, tout en sachant très bien que Blaise Compaoré, Gilbert Diendré et le RSP sont impliqués à fond dans ces affaires. L’épisode des nominations au sein du RSP est venu parachever le divorce entre Zida et ses anciens compagnons d’armes. Ne disposant plus de la base militaire qui l’a fait roi, devenu un homme seul, Zida n‘avait d’autre choix que de se rabattre sur les OSC et les partis de l’ex CFOP. Ceux-ci ont tout de suite volé à son secours. Ils l’ont fait sans doute pour éviter un trébuchement de la transition, qui est leur œuvre, et dont l’échec aurait pu favoriser un retour de l’ancien régime, et entrainer une répression dont ils seraient les premières victimes. Mais ils l’ont fait aussi parce que trop contents de pouvoir enfin contrôler Zida et d’en faire leur obligé. En politique, ce sont des choses qui comptent !
Dans ce jeu de défense de la transition, si tous les partis politiques se sont massivement investis, le MPP est sans doute celui qui a fait montre du plus grand zèle ! On les comprend car ils avaient le plus à perdre dans un renversement de situation. C’est pourquoi le MPP a vite instrumentalisé les deux leaders d’OSC qu’il contrôle, à savoir Safiatou Lopez et Hervé Ouattara, tous les deux membres de son bureau politique, afin qu’ils donnent de la voix. L’activisme effréné de ces deux personnages à travers marches et conférences de presse, est venu rajouter aux spéculations sur le deal Zida-MPP… Les rumeurs sont si persistantes que la question a été évoquée par le Président du Faso, avec Zida et le ministre Barry, à qui beaucoup attribuent le rapprochement Zida-MPP. Vrai ou faux ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que la question de ce deal alimente les discussions au sein des partis de l’ex-CFOP certains s’apprêtant même à la poser publiquement. Ce serait le cas des Sankaristes !
Les récentes déclarations du MPP qui affirment avec assurance qu’il va passer au premier tour, a eu l’effet d’en rajouter aux soupçons d’une fraude qui serait scientifiquement organisée en sa faveur par les militaires. Surtout que dans le même temps, des officines sont à la manœuvre du côté du MPP pour proclamer ce parti vainqueur dès le lendemain du scrutin, et faire descendre dans la rue des militants arrosés à coup de billet, pour fêter la victoire ! Tout cela est-il possible si les militaires n’apportent pas leur soutien ?
A l’allure où semblent aller les choses, cette question de la neutralité ou non neutralité des dirigeants de la transition, surtout des militaires, va empoisonner l’ambiance politique !
S’il s’avère vrai que ce deal Zida-MPP existe, il est fort à craindre que la transition n’aille pas à son terme. Elle perdra vite le soutien des autres partis politiques, dont le dénominateur commun en construction semble être TSM, tout sauf le MPP. De plus, une telle situation va envenimer les relations entre Zida et le RSP et certains cercles militaires qui ne vont pas s’asseoir et laisser la transition remettre le pouvoir au MPP.
La transition conserve l’estime des citoyens tant qu’elle montre qu’elle est au-dessus de la mêlée et qu’elle prend en compte tous les avis. Mais elle va vers de sérieux problèmes si elle laisse s’installer l’opinion selon laquelle elle cherche à favoriser un camp. Le pays pourrait basculer dans une situation de conflit civil. Zida et ses compagnons ont donc intérêt à ne pas jouer avec le feu comme le chantait si bien l’artiste ivoirien Alpha Blondy.
Zoentenga Lazaerius
Instituteur à la retraite