C’est la conviction de l’Unité d’action syndicale (UAS) qui regroupe 5 centrales syndicales et 17 syndicats autonomes du Burkina Faso. L’UAS donne dans la déclaration qui suit de plus amples informations sur cette conviction et appelle les autorités de la transition à prendre en compte les préoccupations légitimes des travailleurs.
L’Unité d’Action Syndicale (UAS) a suivi avec un grand intérêt les messages de son Excellence monsieur le Premier ministre et du ministre de l’Administration territoriale de la Décentralisation et de la sécurité. Il ressort de façon explicite de ces deux déclarations que les autorités de la transition ont opté pour la voie de la répression contre le mouvement social en faisant à dessein des amalgames entre la légitime lutte de notre peuple pour plus de liberté et de pain avec des tentatives de déstabilisation du gouvernement de la transition. En tant que Collectif syndical responsable et citoyen, l’UAS tient à faire les observations suivantes :
1. Nul ne peut honnêtement assimiler les luttes des travailleurs, notamment la grèves des travailleurs de la BRAKINA et celle des transporteurs routiers à de l’anarchie et à une volonté de déstabiliser la transition. Pour le cas des travailleurs de la BRAKINA, il faut dire que ceux-ci ont utilisé toutes les voies légales pour résoudre le conflit qui les oppose à la direction de la BRAKINA sans succès. Faut-il le rappeler, les travailleurs de la BRAKINA ont mené des luttes en 1994 et 2004 et dans les deux cas, la direction de BRAKINA a opté de réprimer leurs luttes en licenciant des travailleurs. Les travailleurs ont saisi la justice burkinabè pour connaître dudit conflit. La justice, au bout de nombreuses années de procédure, a donné raison aux travailleurs en condamnant la BRAKINA à reprendre certains des travailleurs et à leur payer leurs droits ainsi que des dommages-intérêts. Mais la BRAKINA, depuis lors, refuse de s’exécuter alors que pour le cas de la grève de 1994, elle a usé de tous les recours en la matière sans succès. En 2011, l’Etat burkinabè a reconnu sa part de responsabilité (puisqu’il n’a pas veillé à faire exécuter une décision de justice) et a payé la moitié des droits et des dommages-intérêts auxdits travailleurs à la place de la direction de la BRAKINA. Par ailleurs, il s’engageait à demander à la BRAKINA de payer l’autre moitié. Jusqu’à présent, la BRAKINA ne s’est pas encore exécutée. Dans ces conditions, la question à se poser est de savoir qui des travailleurs ou de la direction de la BRAKINA ne respecte pas les lois du pays. Ensuite, en adressant des lettres de demande d’explication à de nombreux travailleurs sur leur refus de faire des heures supplémentaires et en imposant une nouvelle organisation du travail sans concerter les délégués des travailleurs, elle a violé les dispositions légales et réglementaires portant notamment sur les heures supplémentaires et le travail posté. De toute évidence donc, l’occupation du lieu de travail résulte du fait que la direction de la BRAKINA de façon récurrente se place au-dessus des textes. Et si quelqu’un doit être interpellé sur la nécessité de respecter les textes, c’est d’abord la direction de la BRAKINA. Quant aux transporteurs routiers, leur mouvement n’est pas non plus de l’anarchie. Ils ont suivi la procédure requise en déposant un préavis de grève en bonne et due forme. On ne peut leur imputer la responsabilité de toutes les conséquences qui en ont résulté, ni perdre de vue le fait que ce préavis porte sur le respect d’une convention signée en 2011 et qui devait prendre effet depuis 2012. Là aussi, c’est à l’Etat qu’échoit la responsabilité de faire respecter la convention.
Comme on le voit, dans les deux cas, c’est excédés par une injustice subie de longue date que les travailleurs de BRAKINA et les transporteurs routiers ont engagé leurs justes et légitimes luttes. Comme nous l’avons toujours souligné, le mépris vis-à-vis des luttes citoyennes et pacifiques et la célérité dans le traitement des revendications suivies de manifestations violentes y compris par les armes ne contribue nullement à éduquer les populations. Faire fi des responsabilités du patronat dans la non application des textes et des décisions de justice et de l’Etat pour indexer derrières les luttes des travailleurs une main étrangère, une volonté de déstabiliser le gouvernement de la transition ne nous paraît ni sérieuse, ni responsable. Nos organisations qui ont réclamé et continuent de réclamer l’arrestation et le jugement des dignitaires de l’ancien régime, à commencer par Blaise Compaoré et François Compaoré, ne peuvent accepter l’amalgame qui consiste à les présenter comme des structures agissant pour le compte de l’ancien régime!
2. Les autorités de la transition doivent prendre en considération les préoccupations majeures qu’expriment les populations, préoccupations qui figurent dans les plates-formes des organisations démocratiques comme l’UAS et la CCVC. Là-dessus, nous soulignons avec force que le devoir des autorités, contrairement à ce que certains ont tendance à développer, ne peut se limiter à organiser les élections. Le Président de la transition lui-même n’a-t-il pas déclaré lors de son investiture:« Cette révolution n’est que la résultante d’une exaspération sociale face à l’injustice flagrante, au népotisme, à l’impunité et à la corruption…Tout nous conduit donc à prendre nos responsabilités pour répondre à cet appel. C’est dire que les actions que nous engagerons, dès l’entame de notre mandat, seront essentiellement centrées sur ce que nous considérons comme un mandant impératif » ? Cette prise de responsabilité impose aux autorités de la transition tout d’abord de s’occuper de régler les dossiers de justice. En l’occurrence, elles se doivent de traiter les dossiers d’impunité, de lancer un mandat d’arrêt international contre Blaise Compaoré et François Compaoré, de mettre aux arrêts toutes les personnes impliquées dans les crimes de sang et crimes économiques, d’identifier et de saisir les biens et fonds détournés par les dignitaires du régime de Blaise Compaoré, de prendre sans délais les mesures nécessaires en vue de recouvrer l’ensemble des fonds expatriés.
3. La réponse aux légitimes revendications des travailleurs ne peut être les menaces. L’histoire du mouvement syndical burkinabè témoigne d’un attachement profond aux valeurs démocratiques notamment aux libertés démocratiques et syndicales, d’une résistance farouche aux tentatives de bâillonnement et autres atteintes aux libertés. Si le mouvement syndical a su survivre aux multiples tentatives d’embrigadement et de liquidation jusque-là ce n’est pas le gouvernement de la transition censé traduire les aspirations des populations, qui va l’effrayer par des menaces et des amalgames destinés à justifier des mesures de répression contre les organisations qui se battent pour leurs droits légaux et légitimes.
C’est pratiquement le même ton de menaces qui a été servi aux syndicats lors d’une rencontre tenue le vendredi 3 avril entre le Premier Ministre et l’UAS à la demande du premier. Cette rencontre dont l’objet portait sur le préavis de grève déposé par les syndicats dans le cadre de la journée nationale de protestation de la CCVC prévue pour le 8 avril 2015 s’est résumée en plaintes contre le mouvement syndical accusé de harcèlement et d’acharnement contre le gouvernement de la Transition alors que celui-ci attendait des syndicats soutien et suggestions. En effet, le Premier ministre et le Ministre de la Fonction publique du Travail et de la Sécurité sociale qui l’accompagnait ont évoqué les grèves et manifestations des routiers et des travailleurs de la BRAKINA pour illustrer leurs propos, de même que la récurrence des revendications notamment sur la relecture de la loi 013. Pour eux, la mission essentielle de la Transition est d’organiser des élections et de mener quelques réformes dans des secteurs bien précis. Et comme pour donner de la force à cette vision, aucune réponse sur aucun des points de la plate-forme minimale n’a été avancée. Au contraire, le Premier ministre a laissé entendre que le gouvernement était prêt à donner des réponses positives sur l’ensemble des points de revendication si les syndicats acceptent que la mise en œuvre soit reportée au soir du 11 octobre 2015 !
Est-ce à dire que la transition n’est pas disposée à examiner une quelconque des préoccupations à elle soumises par l’UAS ou la CCVC ?
Les interventions du mouvement syndical ont amené le Premier ministre à reconsidérer les appréciations qu’il avait portées sur les syndicats. Il a en outre estimé que la participation des syndicats à la CRNR pouvait être rattrapée dans la mesure où il y des démissions. Bien entendu, le mouvement syndical appréciera l’opportunité d’une telle participation aujourd’hui.
Soyons donc clairs : le gouvernement de la Transition est issu d’une insurrection dont les acteurs ont consenti d’énormes sacrifices et qui a coûté la vie à plus de trente manifestants. Si ce gouvernement considère que sa mission essentielle est d’organiser les élections, il ne pourra en aucun cas bénéficier du soutien des organisations syndicales. Pour escompter un tel soutien, la transition devra, non pas résoudre tous les problèmes, mais poser les bases solides d’un redressement des nombreux torts et surtout des injustices que le régime Compaoré a imposés aux Burkinabè pendant vingt-sept ans. De ce point de vue, les réponses aux questions ci-après permettent d’apprécier, au-delà des discours, des changements réels opérés par les autorités de la transition :
- Qu’a fait jusque-là le gouvernement par rapport aux nombreux crimes de sang commis par les dignitaires de la 4e République et qu’ils se sont refusés à traiter à travers des mesures et propos dilatoires ?
- De la multitude de crimes commis à travers les détournements, les surfacturations, les passations et exécutions des marchés, les lotissements, la fraude, lequel a été à ce jour élucidé ?
- Qu’est –il advenu des comptes des dignitaires de la 4e république que le lieutenant-colonel Isaac ZIDA a déclaré avoir gelés alors qu’il assurait les charges de Chef de l’Etat. Quid des transferts de fonds dont il a été fait cas à de nombreuses occasions ?
- Que font les autorités de la Transition de l’obligation de déclaration de biens inscrite dans la Loi fondamentale et dans la Charte mais avec laquelle le pouvoir COMPAORE a rusé pendant des années ?
- Peut-on parler de transparence quand rien n’a été soufflé au peuple sur ce qui a pu être trouvé à Kosyam après la fuite de Blaise Compaoré, ni dans les différents ministères, ni sur ce qui est fait ou sera fait des biens abandonnés par Blaise et les hommes de son clan ?
Ce sont là autant de questions qui préoccupent l’UAS et qui interpellent les animateurs de la transition. Si tant est que le gouvernement de la Transition n’a pas de programme, qu’il s’inspire de nos différentes plates-formes qui sont, à notre sens, une contribution significative pour orienter les actions dans le sens de la prise en compte effective des attentes des travailleurs en particulier et des populations en général.
En tout état de cause, le mouvement syndical se refuse d’être complice, encore moins laxiste dans la prise en compte des préoccupations légitimes des travailleurs et des populations. Il continuera à poser celles-ci à qui de droit et de se battre pour leur prise en compte effective.
Ont signé :
CGT-B
Bassolma BAZIE
Secrétaire Général
CNTB
Augustin Blaise HIEN
Secrétaire Général
CSB
Olivier G. OUEDRAOGO
Secrétaire Général
FO/UNSL
Joseph L. TIENDREBEOGO
Secrétaire Général
ONSL Paul N. KABORE
Secrétaire Général
USTB
Y. Georges KOANDA
Secrétaire Général
Pour les syndicats autonomes :
Le Président de mois
François de Salle YAMEOGO
Secrétaire Général/ SYNATEB