ue la soif de reconnaissance et de dignité des peuples du Sud, bafouée depuis la nuit des temps par une certaine forme d’arrogance occidentale, explique, en partie, le succès des discours de Chavez. Car, il était avant tout un homme des mots et des formules provocatrices, mais surtout d’images : il aimait le côté théâtral de la politique. D’où son sens de la mise en scène. D’ailleurs, cela a fait dire à certains esprits avisés que Chavez était un bouffon politique, doté d’un don oratoire hors pair, un virtuose du verbe.
Avec le Venezuela de Hugo Chavez, les petits Etats ne veulent plus être piétinés par les grands Etats, notamment occidentaux. Ils aspirent à un statut égal sur la scène internationale. Chavez, c’est un peu la nostalgie de l’époque de Bandung (1955), où en Indonésie, les dirigeants des peuples d’Afrique, d’Amérique latine et d’ Asie s’étaient réunis pour affirmer, face à l’Occident, une solidarité tiers-mondiste. Parce qu’il ressentait du dégoût pour un monde dominé par « l’hyperpuissance américaine », après la fin de l’antagonisme Est-Ouest, Chavez admirait le riche patrimoine historico-politique de l’Amérique du Sud. C’était un homme irréversiblement nostalgique. C’est ce qui explique les références et citations surabondantes à Simon Bolivar, ou à José Marti, dans tous ses discours.
Sa dénonciation d’un ordre international cruel, injuste et grotesque, profitant exclusivement à l’Occident séduisait la jeunesse des pays du Sud.
De même, sa popularité sur le continent africain tient précisément au fait qu’il a toujours mis la question sociale, la justice sociale au cœur de son action politique. A l’intérieur du Venezuela, il faut le reconnaître, la politique de Chavez a élevé le niveau de vie des pauvres grâce à une utilisation rationnelle et généreuse de la manne pétrolière. Son souci pour les pauvres a fasciné beaucoup de gens. La dénonciation de la rapacité des riches qui accroissent les inégalités, l’apologie des classes laborieuses, la diabolisation d’une mondialisation devenue démonologique, profitant à une infirme minorité, tout cela structure le corpus doctrinaire « chavézien ». Oui, la mondialisation rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres. Sur le continent africain, la misère et la pauvreté avancent à pas de géant. Et, nos sociétés sont installées dans le « laisser-faire », c’est-à-dire livrées à elles-mêmes. Or, chez lui, Chavez a su remettre l’Etat au cœur des enjeux du développement de son pays. Il a réussi à faire, prodigieusement, de l’Etat, un véritable instrument de redistribution sociale, par une politique éclairée de partage équitable des immenses ressources dont dispose le Venezuela.
Mais brisons un mythe si largement répandu et suivant lequel, Chavez était un révolutionnaire doctrinaire. En vérité, il était et il fut un réformateur radical. Il n’a jamais cherché à abolir la propriété privée, pierre angulaire de l’économie libérale. Et ce qu’on appelle et qu’il appelait lui-même son « socialisme », ce n’était rien d’autre que l’appel à une certaine forme de solidarité communautaire. Il n’était pas du tout communiste, même si certains aspects de sa pratique du pouvoir renvoyaient, parfois, à des réflexes staliniens.
Contrairement à Guevara et à Castro qui furent des révolutionnaires professionnels, Chavez n’a jamais été formé à la technique de l’insurrection révolutionnaire. Au fond, il y avait chez lui quelque chose de profondément rousseauiste. Car, comme Rousseau, il aimait dénoncer les désastres sociaux provoqués par la compétition, l’inégalité de la propriété, sources du mal politique et moral qui mine les sociétés humaines. C’est pourquoi, sa politique sociale ne pouvait que frustrer les milieux d’affaires vénézuéliens, identifiés par Chavez, comme relevant d’un monde où seule la loi de la jungle fait autorité. On a souvent dit, à tort, que Chavez rêvait de reproduire, chez lui, le modèle cubain. Rien dans sa politique ne l’a démontré : l’homme était foncièrement pragmatique. Avec l’Afrique noire, conscient des liens historiques, spirituels et culturels liés à la Traite et à l’esclavage des Noirs, Chavez entendait bâtir et réinventer avec nos peuples, une coopération Sud-Sud exemplaire. C’est ce qu’il fait ressortir, avec vigueur, dans sa « Lettre aux participants du IIIe Sommet Afrique Amérique latine et Caraïbes », tenu du 22 février 2013, en Guinée Equatoriale.
Avec une tonalité fortement sankariste, Chavez invitait les Africains à ne compter que sur eux-mêmes, pour se développer. Les aides extérieures, aussi vitales soient-elles pour nos peuples, ne constituent pas « une solution totale et définitive pour l’ensemble des problèmes de nos pays ». Selon lui, cette coopération entre le Venezuela et l’Afrique devait porter, prioritairement, sur les secteurs de l’éducation, de l’énergie, de l’agriculture et de la communication. A l’heure actuelle, il paraît encore prématuré d’établir un bilan précis de la coopération entre le Venezuela de Chavez et les pays africains. Mais il faut craindre, qu’avec le temps, l’Afrique n’aurait été, pour Chavez, qu’une terre d’influence diplomatique et surtout idéologique. Car, il faut aussi le souligner, le Venezuela n’a pas trop séduit les Africains, comme une terre d’émigration où ils y trouveraient un pays où coulent le lait et le miel.
Mais avec la disparition de Chavez, le Venezuela ne va-t-il pas replonger dans l’invisibilité internationale ? Une chose est sûre, pour beaucoup de gens, le Venezuela, c’était Hugo Chavez, tellement l’homme a personnalisé, de manière absolue, le pouvoir, par un culte effréné de sa personnalité. En Afrique, nous savons à quoi ont abouti, dans certains pays majeurs de notre continent, des systèmes politiques centrés sur de prétendus « messies irremplaçables ». La démocratie et les institutions républicaines doivent prévaloir afin d’éviter des catastrophes politiques annoncées. C’est pourquoi, contrairement à bien des gens, nous n’avons jamais été fascinés par l’usage ritualisé de ces mots de « révolution » et de « socialisme » par Chavez. La démocratie, et la liberté restent, les seuls mots magiques car, elles résident dans la raison et sont une conquête de la raison humaine. Quant à la « révolution » et au « socialisme », ils résident trop dans le cœur, et peuvent, très vite, engendrer des marées de sang.
Chavez mort, que restera-t-il du charisme, c’est-à-dire de cet idéalisme politique et social sincère ? L’Afrique va-t-elle importer l’idéologie chaviste ? Certes, il a porté un intérêt réel aux problèmes africains, tels que la pauvreté, l’oppression politique, et toutes ces injustices que nos peuples subissent. Il y avait, chez Chavez, une indignation révolutionnaire, nourrie par un immense désir de restaurer la dignité des peuples du Sud. Un droit international, digne de ce nom, ne doit pas être le droit des forts.
Chavez a transformé le Venezuela, il a fasciné, mais il a aussi déçu une fraction non négligeable du peuple vénézuélien. Mais il faut, après tout, lui reconnaître cette qualité première : Chavez ne laissait personne indifférent. Et, dans l’imaginaire des peuples du Sud, il restera le symbole du combat contre un Occident dominateur et arrogant.