Voilà environ deux ans maintenant que dure les conflits de travail entre la société « Filature du Sahel »(FILSAH) basée à Bobo-Dioulasso, et ses employés. Des conflits qui ont l’air d’être négligés mais qui, ces derniers temps, prennent la forme d’une menace sérieuse pour la paix sociale.
La genèse du conflit collectif
C’est en 2000 que la FILSAH a effectivement démarré ses activités industrielles axées sur la production des fils 100% coton, avec au départ environ 100 travailleurs. De nos jours, les travailleurs sont environ 400. Le 27 mai 2011, les travailleurs ont procédé à l’élection de leurs délégués du personnel. Ces délégués vont engager une lutte pour l’amélioration des conditions de vie et de travail à la FILSAH, ce qui leur vaudra une résistance du côté des responsables de la société. « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi. Personne n’est attaché à un arbre à la FILSAH », a affirmé le directeur général de la société, cité par plusieurs témoins.
Dans une plateforme revendicative datant du 21 décembre 2011, les délégués du personnel ont soumis 24 points au directeur général de la FILSAH. Ces revendications visaient notamment la suppression des « discriminations entre travailleurs exécutant les mêmes tâches », la revalorisation des salaires, la dotation en matériels de travail et enfin la révision de cas de licenciements « abusifs ». Dans sa réponse, la direction générale a rejeté en bloc les 24 points de revendications. Ce qui a conduit les délégués à saisir l’inspection du travail par une lettre datée du 15 Mai 2012. Par ses efforts de conciliations, l’inspection du travail a réussi à obtenir, des deux parties, un accord partiel portant sur 10 chefs de revendications. Les délégués ont abandonné deux de leurs revendications, et il n’y a pas eu d’accord sur 12 points. Mais depuis que l’inspection du travail a dressé un procès verbal de conciliation partielle le 30 Mai 2012, la FILSAH n’a honoré aucun de ses engagements.
Un climat de travail dégradé
La direction des ressources humaines a donc entamé une vaste campagne de désinformation visant à destituer les délégués du personnel dont le mandat court. Par exemple, beaucoup de travailleurs ont reçu ce message provenant du numéro 70 63 23 41 : « Pourquoi aller perdre son temps et son essence pour écouter les délégués en ville ? Ils sont responsables de nos problèmes actuels. Plus de 15 licenciements depuis Janvier (2012 NDLR). Trop de mises à pied. S’il te plait, signe la pétition pour que revienne la paix dans FILSAH…. »
Pour la fameuse pétition, plusieurs employés nous ont confié avoir été contraints de donner leurs cartes d’identité et d’apposer leurs signatures, sous peines de ne pas avoir leurs contrats renouvelés.
Le moyen de pression est bien étudié. En effet, O.R, un délégué du personnel, a été licencié malgré un avis contraire de l’inspecteur du travail. « L’avis de l’inspecteur du travail n’ayant pas pu effacer cette faute, nous sommes au regret de vous notifier, à compter de ce jour, votre licenciement sans préavis pour faute lourde », a pu écrire le directeur des ressources humaines, en flagrante violation de l’article 314 du code du travail. Une dizaine d’autres licenciements pour « fautes lourdes », des mises à pied et des mutations verbales sont venus s’ajouter.
Un reporter de Burkina 24 a rencontré le directeur des ressources humaines de la FILSAH, M. Moussa Rock Fofana, pour entendre son opinion. La rencontre a été infructueuse, tout le discours prononcé n’ayant été que diversion. « Nous sommes une société privée respectueuse des lois en vigueur au Burkina, nous ne souhaitons faire aucune déclaration à la presse pour le moment », a déclaré M. Fofana à notre reporter.
Dans ses arguments, la FILSAH fait état de difficultés financières. Paradoxalement, un bâtiment de grande valeur est en construction au siège de la société. Pendant ce temps, une institution fiable nous a fait savoir qu’une bonne partie des travailleurs sont rémunérés en deçà de 50.000 francs CFA, généralement sans respect de la convention collective des professionnels de l’industrie textile.
Faute de conciliation, les parties en conflits ont soumis leur litige au conseil d’arbitrage de la cour d’appel de Bobo. « La procédure a été normalement suivie, et nous avons fait tout ce que nous pouvions », a déclaré une source proche de l’inspection du travail à un reporter de Burkina 24.
Danger à l’horizon
Le 4 février dernier, un incendie de déchets de fils a eu lieu à la FILSAH. Alertées, les autorités locales, la brigade des sapeurs pompiers, la police (municipale comme nationale), la CRS et la gendarmerie sont descendues sur les lieux en moins de deux heures. Cela signifie sûrement que toutes ces institutions ont un œil ouvert sur ce qui se passe à la FILSAH. Mais, à quoi sert-il de laisser s’envenimer la situation (puisque les autorités n’ont pas engagé des actions de médiation), et de courir à la moindre alerte ? Par ailleurs, le conseil d’administration de la FILSAH n’a jamais rencontré les travailleurs pour envisager une solution, selon un responsable que nous avons interrogé. Sur le premier cas d’incendie, les enquêtes n’ont pas pour l’instant indexé une piste criminelle.
A l’inverse, selon des sources dignes de foi que nous avons contactées au sein de la FILSAH, « des travailleurs auraient tenté d’incendier des palettes déposées à l’usine, le 20 février dans la matinée, mais la flamme a vite été éteinte.» « Cet acte suicidaire est sûrement dû au mécontentement général des employés », ont précisé nos sources avant d’ajouter : «Au moins trois travailleurs viennent au service avec des armes blanches, notamment des couteaux, et menacent de causer des dégâts». Selon nos renseignements, cette dernière situation est née après que le 19 février, la majorité des travailleurs n’ont rien perçu comme prime mensuelle de production. Les conditions d’octroi de ces primes étaient telles qu’au payement, seulement quelques personnes ont pu toucher 1000 francs CFA chacune.
Il faut ajouter qu’au lendemain de ces simulacres de payements, des individus non-identifiés ont collé, dans les vestiaires, des affiches de menaces de mort à l’endroit de certains dirigeants de la FILSAH.
Faut-il attendre que ces tentatives et menaces aboutissent à l’irréparable avant de chercher une solution ? Doit-on attendre qu’un travailleur désespéré s’immole par le feu avant de se pencher sérieusement sur la question ? Le climat social est actuellement paisible grâce au bonheur distribué par les vaillants étalons. Il faut donc savoir entretenir puis améliorer ce climat. En attendant la sentence du conseil d’arbitrage, il est impérieux que les autorités désamorcent cette bombe de la FILSAH, pour sauver un maillon de notre économie et surtout refroidir un foyer de tension.