Après une brève éclipse des écrans radars des médias, le Premier ministre, Luc Adolphe Tiao, nous revient. Tout requinqué : pimpant et rayonnant, frais comme un gardon, la silhouette légèrement forcie, et le visage poupin. Autant de signes extérieurs des bienfaits des vacances gouvernementales.
De retour donc de son havre de repos, c’est le siège de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat (ASCE), organe de lutte contre la corruption, que le chef de gouvernement a choisi pour marquer sa rentrée médiatique le jeudi 13 septembre 2012. Accompagné, entre autres, du ministre de la Justice et du procureur général. Tout un symbole.
Et si on se fie à l’hôte du jour d’Henri Bruno Bessin, contrôleur général d’Etat, le mois d’octobre sera chaud, voire infernal pour bien de commis de l’Etat. Pas à cause de la campagne électorale à venir, encore moins de la transition entre l’hivernage et la saison sèche. Mais du fait de l’ouverture annoncée de la chasse aux prédateurs des deniers publics.
En effet, à travers «huit mesures administratives», dont l’engagement de faire diligenter tous les dossiers avant fin juin 2013, Luc Adolphe Tiao est décidé à faire rendre gorge jusqu’au moindre kopeck à tous ceux qui ont trempé dans la bouillabaisse de la malversation.
Du coup, tous ceux qui se posaient la question, nous en faisons partie, sur la suite à donner aux différents rapports des gardiens et autres vigies de nos maigres ressources, oui, tout ce beau monde-là est désormais fixé : on ne va plus badiner avec tous ceux qui se rendront coupables de fautes graves de gestion. Finis donc, les petits arrangements entre les grands princes de la République.
C’est le signal fort avec un ton à l’avenant que le Premier ministre a tenu à lancer quelques semaines après la publication du rapport annuel 2011 de l’ASCE ; un document qui avait suscité stupeur et indignation au sein de l’opinion publique. Tant l’Administration y est dépeinte dans toute sa laideur repoussante.
En effet, dans cette radioscopie de la gestion des finances publiques, on apprend, avec effroi, que de hauts fonctionnaires rusent avec les principes de la comptabilité nationale, que des serviteurs de l’Etat trichent avec l’orthodoxie financière, que des patrons indécents se taillent des prébendes, que des voyous à col blanc vampirisent le Trésor public, que des aigrefins et des rapaces s’empiffrent, la bouche déjà pleine, des fonds qui leur sont confiés. Consternant !
Comme pour manifester son exaspération face à la passivité de la hiérarchie, qui semble fermer les yeux sur cette curée générale, Henri Bruno Bessin n’a pu s’empêcher de sortir de sa réserve habituelle : «Nous avons fait ce qui dépend de nous». Alors, on a tourné le regard et tendu l’oreille vers qui de droit. Après un long silence, l’exécutif sort soudain du bois, sabre au clair. Sus aux scélérats de la République !
Cette subite sortie imprécatoire du chef de gouvernement serait-elle due à l’agitation fébrile dont certains mis en cause ont fait preuve après la publication du document des contrôleurs d’Etat ?
Quoi qu’il en soit, on ne peut que saluer l’annonce d’une telle initiative hardie visant à aseptiser la gangrène qui infecte la gestion publique.
Courageuses, «ces mesures administratives» le sont, car le plus souvent, ce qui fait défaut dans la noble entreprise de moralisation de la vie publique, c’est la volonté politique.
Car jusque-là, sous la Quatrième République, aucun gouvernement n’est véritablement allé au-delà des préchi-précha pour prendre le taureau de la mal gouvernance par les cornes.
Chapeau bas donc à l’homme au franc-parler, même s’il faut éviter de trop s’emballer, sachant le contexte dans lequel nous sommes aujourd’hui. C’est que, avant Luc Adolphe Tiao, ses prédécesseurs nous avaient saoulés de promesses enchanteresses qui se sont révélées plus tard n’être que de l’écume.
Le cas le plus patent est la déception (inversement proportionnelle à l’espérance qu’il a suscitée dès les premiers jours de sa nomination) causée par Tertius Zongo. Par ces envolées lyriques, il avait vite conquis le cœur de ses compatriotes avant que ces derniers ne se rendent compte que l’ex-PM pédalait dans la choucroute s’il ne s’adonnait pas à un numéro d’illusionnisme. C’est-à-dire que Tertius s’est peut-être heurté à la réalité des mœurs qui minent le sommet de l’Etat si ce n’est à lui-même, c’est-à-dire à ses propres turpitudes, à ses propres contradictions.
A l’époque, nous avons été brocardé et traité de tous les noms d’oiseaux par suite de notre éditorial du jeudi 10 juin 2010 intitulé «Tertius III : Zorro, impuissant dans la galaxie Compaoré».
«Il a beau revenir des States avec les meilleures dispositions d’esprit, avec l’american way of management, le chef du gouvernement est sans aucune emprise sur un système rompu à toutes les pratiques de la triche et champion olympique dans le contournement des règles de la bonne gestion», constations-nous, entre autres, avant d’interpeller : «Tant que le président Blaise Compaoré ne va pas commencer par discipliner ce beau monde qui grenouille autour de sa personne, tant qu’il ne va pas modérer la voracité et la rapacité de certains goinfres du clan, tant qu’il ne va pas se décider à mettre lui-même la main dans le cambouis du régime, tous les discours qu’il nous distillera ou nous fera distiller ne seront que du hoba-hoba».
Alors, on ne peut que s’interroger, même s’il convient de rendre à Luc ce qui est à Luc : son volontarisme. Ces différentes mesures édictées tambour battant participent-elle d’un coup de com. ou est-ce un vrai coup de pied dans la fourmilière ?
Une chose sûre, sans une réelle implication du grand maestro, Blaise Compaoré, vaine sera la mise en musique des engagements pris. Perçu comme un passager clandestin dans le navire du parti au pouvoir, le «pompier de service» n’a aucune autorité ni sur certains de ces «camardes politiques» ni sur certains opérateurs économiques, qui sont à tu et à toi avec la fratrie présidentielle.
Mais il n’est pas exagéré de penser que, vu les circonstances de son arrivée au palais de Koulouba, c’est-à-dire suite au coup de semonce civilo-militaire de 2011, si l’ex-ambassadeur a pu bander les muscles, c’est qu’il est sûrement adossé à du solide s’il n’a reçu l’imprimatur du grand sachem. Sinon il en aura pour son impertinence. Cela parce que le fléau de la corruption est d’autant plus difficile à combattre qu’il résulte de la connexion problématique entre princes du pouvoir politique et magnats de la vie économique. Une satanée alliance qui ne fait pas de quartier à quiconque, soit-il Premier ministre, qui s’avise à soulever la couverture d’impunité dont se drapent ses membres.
Alors, tout le mal qu’on souhaite au soldat Luc, c’est la réussite dans sa mission audacieuse. Du boulot, il en aura, des embûches, il en rencontrera, de la résistance, il en affrontera. Raison pour laquelle, dans notre édition du vendredi 14 au dimanche 16 septembre, nous parlions des «8 travaux de Luc» par allusion aux «12 travaux d’Hercule». Juste pour souligner le caractère titanesque de la tâche qui attend le chef du gouvernement.
Jusqu’à quel niveau pourra-t-il aller dans sa croisade contre les prédateurs ? De quelle marge de manœuvre bénéficiera-t-il de la part du président Compaoré, celui-là même dont dépend le succès ou l’échec d’une telle entreprise ?
Il faut que le chef Blaise assiste le soldat Luc. Sinon cela équivaudrait à son abandon aux loups.