Pour s’assurer que les conseillers municipaux du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, parti au pouvoir) votent effectivement les militants du parti candidats au poste de maire lors de la mise en place des conseils municipaux, ce parti exige de tous ces conseillers des bulletins prouvant qu’ils ont voté « utile ». C’est, en tous cas, ce que croit savoir l’auteur de la lettre ci-dessous qui se demande si le CDP ne viole pas le secret du vote qui est de rigueur lors de l’élection des maires.
« Les résultats provisoires des élections municipales complémentaires dans 123 communes et arrondissements viennent de tomber. Le taux de participation (35,76%) en dit long sur l’apathie populaire qui a caractérisé ce scrutin. Pendant ce temps, la mise en place des exécutifs municipaux dans les communes où il n’y avait rien à reprendre a permis à l’opinion de constater au moins trois choses :
a. Les Burkinabè prennent de plus en plus conscience de l’importance de la bonne gouvernance locale dans la réalisation de leur bien-être collectif et tiennent à s’assurer que les femmes ou les hommes qui sont désignés à la tête de leurs communes sont ceux qui, au sein des conseils municipaux, peuvent le mieux conduire les affaires publiques communales et en rendre compte. Le temps supplémentaire mis pour la reprise partielle des élections dans certaines communes ainsi que les péripéties des élections de maires dans les autres, auront suscité et alimenté des discussions ou des prises de position parfois passionnées dans les villages et hameaux.
b. Le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), parti au pouvoir, a de la peine à « maîtriser » ses conseillers municipaux auxquels il tient, dans nombre de cas, à imposer des candidats peu consensuels aux postes de maires ou d’adjoints aux maires. Dans plusieurs cas, l’imposition par la direction du parti de candidats non consensuels a abouti à des résultats déroutants pour le CDP, malgré une majorité absolue ou relative confortable acquise au sortir des urnes. c. C’est que, par ailleurs, ces majorités acquises dans les urnes se révèlent parfois comme des « paniers pleins mais pleins de feuilles sèches » pour reprendre l’expression d’un paysan du Sud-Ouest. Dans plusieurs communes, en effet, le CDP manque parfois cruellement de ressources humaines élues capables de piloter un développement local souvent mis à rude épreuve au cours des 6 premières années de la décentralisation intégrale. Des maires ou adjoints aux maires, auteurs connus de scandales de corruption, d’extorsions de fonds ou de détournements de biens communs, se battent « bec et ongles » pour se faire reconduire aux postes de candidat, obligeant même le parti à recourir à des « primaires » que ceux-ci remportent au grand dam des responsables locaux du CDP.
C’est dans cette atmosphère que, craignant d’autres saignées à venir lors des élections des bureaux des conseils municipaux dans les 123 communes et arrondissements restants, le parti au pouvoir semble avoir décidé de « prendre le taureau par les cornes ». Des milieux proches du parti et généralement bien introduits expliquent, en effet, que consigne aurait été donnée aux structures locales du CDP d’exiger de chaque conseiller du parti qui prend part à un scrutin pour l’élection du maire et de ses adjoints, de démontrer qu’il n’a pas voté pour un candidat autre que celui du CDP. Pour ce faire, il devra montrer à l’issue du scrutin les bulletins de vote qu’il n’aura pas utilisés lorsqu’il était dans l’isoloir. La source et la persistance de cette information commandent qu’on en parle afin que l’opinion, en général, et la classe politique, en particulier, le sachent. Les partis politiques en particulier devront ouvrir l’œil, parce qu’au-delà du souci du CDP de voir respectée la logique des résultats de l’élection au suffrage universel, une telle démarche est contraire à la loi, viole la liberté individuelle des élus que sont les conseillers municipaux et fait peser des hypothèques sur le développement local dans ce pays. En effet, l’article 253 du Code électoral en son alinéa 1 dispose que « le conseil municipal élit le maire et les adjoints du maire parmi ses membres au scrutin secret et à la majorité absolue des membres composant le conseil ». Une des conditions du secret du scrutin est que les rebuts (les bulletins non utilisés dans le cas d’un scrutin utilisant un bulletin par candidat) soient jetés dans un sac mis à disposition des électeurs dans l’isoloir. Exiger donc que certains électeurs ressortent avec les bulletins qu’ils n’auraient pas choisis revient à violer l’esprit du code électoral. Au-delà, de telles pratiques qui violent la liberté de chaque conseiller municipal qui, une fois élu, représente les intérêts du village ou du secteur dont il est le mandataire. Et lorsque ces intérêts sont susceptibles de ne pas être réalisés ou d’être remis en cause par un maire ou adjoint de maire dont les capacités ou les antécédents constituent un risque important pour la communauté communale, chaque conseiller élu a le droit voire le devoir de choisir les dirigeants de la commune en pleine responsabilité.
Pour les communes rurales, en particulier, l’opérationnalisation d’une commission permanente comme celle en charge de l’aménagement du territoire et des questions foncières constitue un tournant majeur après l’entrée en vigueur des lois portant régime foncier rural et réorganisation agraire et foncière. Mal engager ou mal négocier ce tournant, en confiant notamment la présidence de ces commissions à des personnes qui n’en ont aucune perception des enjeux, sera la première source de conflits, meurtrier s’il en faut, qui mettront à rude épreuve la paix sociale tant chantée. A bon entendeur, salut ! »