Le mardi 7 avril dernier restera une date importante dans l’histoire de la Transition au Burkina Faso, pays des Hommes intègres. En effet, ce jour-là, le Conseil national de la transition a voté un nouveau code électoral dont l’un des points majeurs est l’inéligibilité des « personnes ayant soutenu un changement anticonstitutionnel qui porte atteinte au principe de l’alternance démocratique, notamment au principe de limitation du nombre de mandats présidentiels ayant conduit à l’insurrection ou toute autre forme de soulèvement ». Les Burkinabè de toutes obédiences ont compris qu’il s’agit d’écarter des prochaines élections, ceux qui ont soutenu Blaise Compaoré dans sa volonté de modifier l’article 37 de la Constitution pour prolonger son bail au palais de Kosyam, toute chose qui a conduit aux événements d’octobre dernier.
La Transition s’inscrit dans une logique de rupture avec le régime déchu
Bien avant le vote, les partisans de l’ex-majorité avaient crié à la chasse aux sorcières. Et certains des leurs affirmaient haut et fort qu’ils feraient tout pour l’empêcher. Si bien que la tension étant montée d’un cran, l’on s’est retrouvé dans une sorte de scénario bis du 30 octobre 2014, avec une inversion des rôles. Mais, c’était sans compter avec la détermination du gouvernement de la transition qui, après être monté au créneau pour mettre en garde tous les éventuels fauteurs de troubles, a pris toutes les dispositions sécuritaires pour que le vote puisse se dérouler normalement. Dans le même temps, il procédait à l’interpellation de plusieurs dignitaires du régime déchu, au moment où toute l’attention était focalisée sur les risques qui planaient sur le Conseil national de transition (CNT).
Cette fermeté du gouvernement à l’encontre des partisans du régime déchu, en plus de remonter sa cote de popularité auprès des révolutionnaires du 30 octobre, sonne comme un rachat qui le réhabilite et le conforte dans sa légitimité. Car, il faut le dire, beaucoup ne cachaient plus leur déception, face à ce qui paraissait à leurs yeux comme la consécration de l’impunité. Surtout que la Transition elle-même donnait l’impression de jouer à un jeu trouble, en tardant à montrer sa volonté de nettoyer les écuries de Blaise Compaoré. Mais avec les derniers événements, elle s’inscrit dans une logique de rupture avec le régime déchu, pour répondre aux aspirations du peuple. Et la quasi-concomitance du vote et des interpellations apparaît comme une stratégie de déstabilisation de l’adversaire.
Pour en revenir au vote lui-même, l’on peut dire que l’on a frôlé le pire. En effet, la situation était tellement explosive que l’on a évité de peu des affrontements. Si cela advenait, ç’aurait été un grand gâchis. Et la transition en aurait porté toute la responsabilité morale. Car, elle aurait posé ces actes dès les premiers instants de son avènement que cela aurait pu contribuer à ramollir certaines personnes du régime déchu dans leur élan belliciste. Mais elle a laissé faire et ces mêmes personnes qui rasaient les murs ont refait surface et ont recommencé à adopter, pour certains, le même comportement frondeur. Au demeurant, le pouvait-elle seulement, puisque la transition elle-même donnait le sentiment de jouer à un jeu trouble par rapport au régime déchu ? Une chose est sûre, en le faisant si tardivement, il y avait des risques, et on a frôlé le pire. Mais il est heureux que la transition se soit ressaisie.
Cela, grâce à des actes forts. On peut dire qu’il vaut mieux tard que jamais. En effet, à la lumière des événements, l’on est porté à croire que si le RSP n’avait pas secoué le premier ministre comme il l’a fait, l’on n’en serait peut-être pas là aujourd’hui. Car, on a le sentiment qu’au départ, Zida était plus proche de ses frères d’armes que du peuple. Mais l’acte de ses camarades contre sa propre sécurité, lui a fait certainement comprendre que son salut était plus du côté du peuple. C’est pourquoi il faut être reconnaissant au Ciel que ces derniers événements se soient passés sans casse, car des dégâts matériels et humains pouvaient bien se répéter.
Il faut espérer que chacun aura un comportement citoyen
Pour en revenir à la loi querellée, les partisans de l’ex-majorité sont, sans aucun doute, dans leur bon droit de donner de la voix s’ils se sentent lésés. Au demeurant, rien ne semblait indiquer qu’ils se verraient mis sur la touche de la sorte. Aucune poursuite n’étant engagée à leur encontre, ils pensaient pouvoir réintégrer le jeu politique pour un nouveau départ. De ce point de vue, l’on peut comprendre leur frustation. Mais il y a lieu de ne pas trop tirer sur la corde et de savoir raison garder. Car, à y regarder de près, ce qui a valu à leur mentor Blaise Compaoré la fatwa des Burkinabè, c’est sa politique d’exclusion de la majorité des citoyens au profit d’une minorité, si bien que l’on en est venu à parler de clan et de famille. Et pour espérer avoir des marchés voire des promotions, il fallait faire partie du clan ou de la famille.
Et ses partisans qui ont bénéficié de ces avantages pendant des années, doivent accepter le revers de la médaille, car ce n’est pas une malédiction que d’être opposant. En outre, si au lendemain de l’insurrection, l’ex-majorité avait fait un mea culpa sincère, avait tiré tous les enseignements en gardant profil bas et avait choisi la voie de la sagesse en se mettant elle-même en marge pour revenir plus tard, il y a fort à parier qu’on n’en serait pas arrivé à l’adoption d’une telle loi. Mais, cette volonté de vouloir rebondir tout de suite et maintenant, comme si rien ne s’était passé, est une bien curieuse façon de remettre en cause les fondements même de l’insurrection de fin octobre dernier, alors que les plaies ne se sont même pas encore cicatrisées.
En outre, en amenant le débat sur le terrain de l’exclusion, l’ex-majorité veut se porter en victime expiatoire, alors que l’inéligibilité de certains citoyens a toujours été contenue dans la loi fondamentale sans que l’on ne parle d’exclusion. Il a fallu que l’une de ces conditions soit élargie à certains membres de l’ex-majorité pour que l’on commence à parler d’exclusion. Pourtant, au fond, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une sanction à l’encontre de certaines personnes, mais pas de tout un parti. Et il est difficilement compréhensible que l’ex-parti au pouvoir reconnaisse avoir fauté, et refuse en même temps d’être sanctionné.
En tout état de cause, maintenant que le vin est tiré, il faut le boire. Bonne ou pas bonne, cette loi s’impose à tout le monde, et il y a des voies de recours lorsque l’on n’est pas satisfait. C’est pourquoi il faut espérer que chacun aura un comportement citoyen, en ne mettant pas inutilement en danger la paix sociale. Car, une fois qu’on l’aura perdue, il est illusoire de penser que l’on pourra la reconquérir d’un coup de baguette magique. L’histoire d’autres peuples à la recherche de cette paix introuvable doit nous servir de leçon pour un sursaut patriotique, dans l’intérêt supérieur de la nation. De son côté, la Transition doit ouvrir l’œil et le bon parce qu’il est presque certain que des combats souterrains d’arrière-garde vont être menés par les uns et les autres. La même fermeté doit être de rigueur pour tout le monde. Car il y va de la réussite de sa mission et de la survie de notre nation.
« Le Pays »