Faut-il vraiment être surpris par les tiraillements qui ont présentement lieu au Togo, entre les médias et la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication ? Au centre du débat, une loi devant renforcer les prérogatives de l’instance de régulation. Dans ce combat de David contre Goliath, la presse togolaise bénéficie du soutien indéfectible des confrères africains et d’ailleurs.
Ce tollé général dans le monde des médias africains se comprend d’autant que la Haute autorité ne constitue pas un organe juridictionnel. Celle-ci a reçu pour mission de « garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse ». Pas de se substituer aux organes de justice, encore moins de devenir une instance de censure, à un moment où la lutte pour la dépénalisation des délits de presse se fait intense sur le continent. La guerre est donc loin d’être finie. La guerre contre certains types de journalistes et autres professionnels des médias, qui hantent les salles de rédaction partout en Afrique. Ce sont en fait des militants des mégas partis au pouvoir. Infiltrés dans les rangs des journalistes, ils sont le plus souvent incapables de s’assumer professionnellement ou de défendre la profession. Sans vergogne, ils s’acharnent parfois au vu et au su de tous, contre tous ceux des confrères qui, au mépris de la peur et des sanctions multiformes, osent jeter un regard critique sur la manière de gouverner nos Etats. Ils demeurent sourds et aveugles devant le bilan désastreux de cinquante ans d’indépendance, faits de balbutiements et de tâtonnements. Pourtant, que de martyrs, mais aussi que d’acquis pendant ces décennies de lutte !
La presse dans les espaces francophones doit en particulier savoir faire son mea culpa. La Baule a peut-être surpris de nombreux acteurs politiques. Pas surpris au point de désarçonner les hommes et femmes des médias. Parce que la profession est d’essence libérale, nous avons à plusieurs reprises et malgré la persistance du danger informé l’opinion des dérives des gouvernants africains. Peut-être avons-nous manqué de promptitude à nous réorganiser et à encadrer l’émergence d’une presse plurielle et responsable. Il en sortira par après des boutiquiers de l’information, des démagogues et autres manipulateurs des médias. De vrais professionnels ? On les compte encore ! Aussi ne faut-il pas s’étonner des travers que nous connaissons. L’incurie règne dans nos rangs, la peur panique a repris en otage les salles de rédaction, l’affairisme a fini par gangréner les organisations chargées de défendre les intérêts de la profession, de sorte qu’il était devenu courant de voir des journalistes ou prétendus tels, devenir à la fois la cible du pouvoir et de l’opinion visiblement déçue.
Pour de nombreux dirigeants africains, les journalistes sont des empêcheurs de tourner en rond. Aussi ne ménagent-ils aucun effort pour les inféoder au système au pouvoir. Un système parfois décrié des décennies durant. Ils agiront toujours ainsi, d’autant qu’ils sont assurés d’avoir à leurs côtés des journalistes toujours prêts à brader les principes, l’éthique et la déontologie. Des fossoyeurs de la presse autant que de la démocratie, on en trouve aussi dans les milieux féconds de la communication. Pour un strapontin, quelques billets de banque, on en trouvera toujours, prêts à sacrifier l’esprit de famille et les idéaux de la profession, à l’autel de la célébrité ou du tube digestif. D’ailleurs, pourquoi s’étonner de voir cohabiter les antidémocrates de la presse et les loups garous venant d’ailleurs ? Il leur faut bien conjuguer les efforts de nuisances, vu la farouche détermination de ceux d’en face. Car, il y en a toujours : des gens des médias qui mènent quotidiennement le combat pour la dépénalisation des délits de presse et l’élargissement des libertés démocratiques sur ce continent. Cela, en dépit de la répression qui s’intensifie et d’un mal qui continue de ronger la profession : l’absence criarde de solidarité entre journalistes.
Ce manque de solidarité a donné naissance à de multiples clans ; cela n’est pas fait pour faciliter les choses. Une rupture de confiance s’est donc opérée entre les professionnels des médias et les instances chargées d’assurer la régulation dans nombre d’Etats. Il s’en est suivi d’amères expériences, lesquelles ont fini par semer le trouble et la suspicion dans les esprits. Bien qu’ils s’en défendent, ceux qui dirigent les instances de régulation des médias sont généralement considérés par beaucoup de leurs pairs comme étant de fidèles serviteurs du régime qui les a honorés en les portant à la tête de la structure de régulation. C’est pourquoi leurs faits, propos et gestes, sont régulièrement décryptés par les anciens collègues. Ces derniers leur reprochent d’avoir oublié les réalités du terrain et de vouloir coûte que coûte chercher à donner satisfaction aux gouvernants. Pour remédier à ces types de difficultés, on milite davantage pour des organes de régulation beaucoup plus indépendants et dont les dirigeants seraient désignés soit par les pairs, soit par le parlement ; à défaut, par un groupe indépendant ou tripartite, composé de représentants des médias, de la société civile et du parlement par exemple. A priori, la chose ne paraît pas facile. Mais, la construction d’un Etat de droit démocratique n’exige-t-elle pas de chacun un minimum d’engagement, de critique et surtout d’autocritique ?
Où qu’il soit, le professionnel des médias doit savoir faire preuve de perspicacité et de retenue. Les enjeux sont considérables. Tout comme l’acteur politique, nous devons savoir faire preuve d’humilité. N’étant pas nés avec les germes de la démocratie sur le nombril, autant faire l’effort de nous former, de faire évaluer nos actions par des tiers et de nous adapter à ce contexte en mutation. En permettant à la confiance de reprendre le dessus, en exigeant davantage de nous-mêmes, nous parviendrons sûrement un jour à obtenir de nos gouvernants ce que les citoyens et les partenaires attendent d’eux depuis déjà fort longtemps : le respect de sa propre personne, de la vérité, des engagements et des institutions républicaines. Cela, au nom, d’une démocratie apaisée, source d’un développement humain durable.