Depuis quelques temps, des idées malsaines et dangereuses sont distillées à dose homéopathique au sein de l’opinion publique. C’est d’abord Ablassé Ouédraogo, président du parti Le Faso Autrement, qui a donné le ton. En effet, dans une déclaration parue dans la presse en décembre 2014, l’ex-ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré avait demandé au ministère de l’Administration du territoire, de la Décentralisation et de la Sécurité (MATDS), qui avait suspendu le CDP, l’ADF/RDA et la FEDAP/BC, de poursuivre dans sa logique en excluant des prochaines élections les anciens collaborateurs du régime déchu.
Et quelques jours plus tard, c’est Abdoulaye Mossé, secrétaire chargé des jeunes du MPP, qui embouchait la même trompette lors de la clôture de la convention de la jeunesse du parti au stade municipal de Ouagadougou, en appelant à exclure du jeu politique le CDP et tous les proches de l’ancien président. Comme s’il y avait une sorte de synchronisation des actes, Luc Maruis Ibriga, lors du meeting organisé par les organisations de la société civile à la place de la Nation pour exiger la dissolution du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), a réitéré l’appel de suspension de tous les anciens dignitaires du régime en évoquant la Constitution burkinabè et la Charte africaine de la démocratie. Récemment, c’est le M21 qui, lors d’une conférence de presse, revenait à la charge dans un discours guerrier débité par son premier responsable, Marcel Tankoano. Il ne manquait que les partis politiques dans cette combinaison machiavélique pour compléter le tableau. C’est désormais chose faite puisque le 10 mars dernier, des partis de l’ex-CFOP, regroupés au sein d’un cadre de concertations, remettaient un mémorandum au ministère de l’Administration du territoire, de la Décentralisation et de la Sécurité avec quatre points de revendication dont la mise en cause de la candidature des militaires à la présidentielle qui devaient, selon eux, démissionner trois ou cinq ans avant le scrutin pour avoir le droit d’y participer.
Nous n’allons pas entrer dans un débat juridique avec qui que ce soit, encore qu’aucun texte ne soutient ces niaiseries. Notre propos est d’attirer l’attention des autorités de la Transition sur ce projet d’exclusion de certains candidats savamment préparé par des officines politiques. Une loi serait en préparation dans ce sens pour être soumise aux députés du Conseil national de transition (CNT) le 7 avril prochain. Si cela se confirmait, ce serait grave pour notre démocratie et pour la paix sociale.
L’histoire est une source permanente d’inspiration qui doit servir de leçon et guider les peuples. Malheureusement, beaucoup d’hommes et de femmes ne semblent pas y puiser des enseignements pour la construction d’une société de tolérance et de dialogue. Rien ne peut se développer sans une paix durable. Or, pour un monde de paix, il faut bannir de nos comportements quotidiens l’exclusion et l’injustice qui font le lit des conflits armés. Plus près de chez nous, nos frères Ivoiriens ont vécu plus dix ans de crise sociopolitique du fait justement des velléités d’exclusion et des injustices de certains citoyens. Nous devons par conséquent être assez intelligents pour savoir que ça n’arrive pas qu’aux autres et que ce qui a été à l’origine du déclenchement des guerres dans des contrées proches ou lointaines est en train de se cultiver ici lentement mais sûrement. Les graines sont en tout cas semées et il faut prendre garde de ne pas les arroser et les entretenir car, qui sème le vent récolte la tempête.
Notre peuple a su juguler sa crise consécutive à la tentative de modification de l’article 37 et les acteurs ont vite accordé leurs violons pour l’élaboration et l’adoption d’une Charte qui a permis de mettre en place toutes les institutions. Le monde entier admire le peuple burkinabè pour sa vaillante lutte. Le pays est en marche malgré les difficultés et l’objectif premier de la Transition, c’est l’organisation d’élections libres, transparentes et acceptées par tous. Pour ce faire, toute personne qui remplit les conditions physiques, intellectuelles, financières et juridiques doit être autorisée à compétir. Il n’y a pas de raison qu’on fabrique des artifices pour mettre à la touche des candidats déclarés ou potentiels.
Le plus grave, c’est que cette idée nauséabonde d’exclure certains de nos compatriotes de l’exercice de leur droit citoyen vient de gens qui se proclament démocrates et qui ont lutté pour la démocratie en empêchant la modification de l’article 37. Aujourd’hui, ces « chantres de la démocratie » se lancent dans des diatribes et font l’apologie de l’exclusion. Si aujourd’hui, des pays comme la France et les Etats-Unis sont de grandes nations, c’est aussi en partie du fait de leur acceptation de l’autre, de la différence. Ce qui compte chez eux, c’est la valeur intrinsèque de l’homme, ses idées, sa contribution au développement et au bien-être des populations.
Les personnalités dont il est question de leur exclusion des prochaines élections générales sont avant tout des Burkinabè, qui ont servi avec loyauté leur pays, qui ont des projets de société qu’ils veulent proposer au peuple et il appartient au peuple souverain de les juger librement et de décider ou pas de les voter. Il est inconcevable que des individus qui n’ont aucune représentativité sociale s’arrogent le droit de vouloir qu’on mette en marge du processus électoral des hommes compétents, valeureux, qui ont des adresses et des réseaux qu’ils veulent exploiter en faveur des filles et fils du Burkina Faso.
En Côte d’Ivoire, on a violé la Constitution pour trouver un consensus national en vue de permettre à tous les candidats de prendre part à la course vers le fauteuil présidentiel. Au Burkina, on veut prendre le chemin inverse ; heureusement que ceux qui tentent d’inoculer aux Burkinabè le dangereux virus de l’exclusion sont minoritaires. En réalité, derrière ces prophètes de malheur se cachent des gens qui ont peur de la candidature de certaines personnalités parce que ce sont des poids lourds. L’argument selon lequel les hommes en treillis sont au pouvoir depuis des décennies ne saurait prospérer. Nous osons croire que les autorités de la Transition ne vont pas se lancer dans cette aventure hasardeuse en suivant ces individus égarés et des politiciens à la petite semaine, au risque de mettre en péril la paix sociale, la cohésion et l’union sacrée de tous les Burkinabè pour construire une nation forte et prospère. Le processus doit être inclusif. La paix sociale y dépend, l’avenir radieux du Burkina aussi.
Ouédraogo Franck Ahmed