Les urnes nigérianes pour l’élection du président fédéral de l’Etat le plus peuplé d’Afrique n’ont pas porté chance à Goodluck Jonathan qui briguait un second mandat. Son opposant, le général Muhammadu Buhari, le candidat du All progressives congress (APC, le Congrès progressiste), selon les résultats non encore définitifs, a été élu avec 53,24% des suffrages. Hier, en début de soirée déjà, alors que les décomptes du vote mettaient Buhari en avance, le chef de l’Etat sortant l'aurait appelé, pour le féliciter, et donc reconnaître sa défaite. C’est un fair-play politique qu’il faut saluer, dans la mesure où les premiers moments de l’annonce des résultats partiels ont fait craindre le pire. Les Nigérians d’abord, et certainement le monde entier, sont restés interloqués pas les agissements à la limite du brigandage d’un des partisans de Goodluck Jonathan dans les locaux de la Commission électorale indépendante, à Abuja. Il a purement et simplement arraché la feuille des résultats qui dessinaient progressivement la défaite de son champion, accusant la commission d’être partiale. Cette scène nous rappelle celle qui a eu lieu à la CEI (Commission électorale indépendante) en Côte d’Ivoire, en décembre 2010, pendant la publication des résultats du scrutin qui opposait Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. On se souvient qu’au cours de sa lecture des premiers résultats provisoires de l’intérieur du pays, le porte-parole de la CEI, Yacouba Bamba, a été pris à partie par deux autres commissaires qui lui ont arraché de force les feuilles des mains. La suite a été deuil et déchirement fratricide. Il ne s’agit ni plus ni moins de l’indécence de mauvais perdants. Heureusement que le premier concerné, dans le cas nigérian, n’a pas soufflé sur les étincelles que ses zélés fidèles lieutenants ont voulu allumer. Ainsi, c’est tout le mal qu’on peut lui souhaiter, le géant de l’Afrique saura se prémunir de violences postélectorales. Toute chose qui, à n’en point douter, va éviter d’en rajouter à l’enfer créé par la secte islamique Boko Haram. A dire vrai, c’est une victoire du candidat du PDP, le désormais ex-parti au pouvoir, qui aurait surpris. En tous les cas, si tant est que le premier mandat de Goodluck Jonathan a été un désenchantement pour les Nigérians. La plus cuisante déconvenue est sans conteste son insouciance et son impuissance caractérisées face à la terreur islamiste. Egalement, la corruption n’a pas reculé comme il l’avait promis. Ses réformes, non plus, n’ont pas su bâtir l’économie rêvée. Lui donner un second bail n’aurait, visiblement rien changer à cette tache indélébile de sa gouvernance. Le peuple nigérian aspire à autre chose, veut se donner la chance d’un destin plus radieux. C’est pourquoi il a décidé, par les urnes, de se séparer de Goodluck, qui ne l’a vraiment pas porté chance. Le président élu, Muhammadu Buhari, nous l’espérons, a compris le message et sera à même de renforcer les assises du géant au pied d’argile. Les défis sont énormes. Et ce musulman de 73 ans, originaire du Nord, doit en avoir une pleine conscience. Les contextes ont évolué, mais il reste que cet ancien général de l’Armée s’est déjà essayé aux rênes du pouvoir entre 1983 et 1985, à la suite d'un coup de force. Il a ensuite essuyé trois come back ratés par les urnes (2003, 2007 et 2011). Maintenant qu’il a eu sa chance à travers les urnes, il devra s’interdire de décevoir. Pour commencer, il est nécessaire pour lui de clarifier sa vision sur des questions aussi sensibles qu’explosives comme la religion. Selon nos confrères de Jeune Afrique, en 2011, Muhammadu Buhari s’est exprimé publiquement lors d’un séminaire en faveur d’une application totale de la loi islamique dans tout le pays. "Si Dieu le veut, nous n'arrêterons pas l'agitation pour la mise en œuvre totale de la charia dans le pays", avait-il déclaré. Mais en janvier 2015, poursuit le journal, en pleine campagne électorale, il avait rectifié le tir en défendant la liberté de culte. Espérons qu'il en sera ainsi Mister président.
Alassane KARAMA