Les dés en sont jetés, et les Nigérians retiennent leur souffle, se demandant de quoi demain sera fait, sachant néanmoins que pour cette présidentielle et ces élections législatives et sénatoriales ils ont su, plus ou moins, relever le défi organisationnel et sécuritaire, même si, tapis dans l’ombre, Boko haram guette. Ainsi, grâce à la ‘’magie’’ biométrique, 69 millions de citoyens dûment enregistrés sur les listes électorales ont pu glisser leur bulletin dans l’urne.
Comment ne pas s’en réjouir quand on connaît le Nigeria, surtout dans sa partie nord-est, devenue le bastion des insurgés et un véritable désert électoral ? Tout compte fait et au vu de l’énorme défi que représentait ce scrutin, ses organisateurs auront été bien inspirés de reculer l’échéance.
Certes, mais au Nigeria comme dans de nombreux pays africains, le tout n’est pas d’organiser des élections, même avec les garanties que confère la biométrie, encore faut-il que les résultats soient acceptés par toutes les parties. Et c’est là que le spectre de 2011 plane de nouveau : en effet, il y a quatre ans le bras de fer en vue de la présidentielle opposait les mêmes adversaires.
Le sortant, Goodluck Jonathan, et son challenger, Muhammadu Buhari, avec à la clé un effroyable bain de sang. On se souvient qu’après l’annonce de la reconduction du bail, à Aso Rock, de son locataire, des émeutes ont éclaté dans le nord à dominante musulmane, faisant près d’un millier de morts, de nombreux blessés et des dizaines de milliers de déplacés.
Cette année, le danger est d’autant plus prégnant que les deux protagonistes se trouvent être au coude à coude dans un match arbitré par la biométrie.
D’un côté, coiffé de son éternel borsalino noir, un Goodluck Jonathan qui, malgré sa gestion calamiteuse de l’économie et du phénomène Boko Haram, pourrait bénéficier de la prime au sortant dans un pays où, depuis le retour à la démocratie en 1999, le pouvoir a toujours été dévolu au tout- puissant PDP.
Face à lui, un adversaire qui, aux yeux de ses compatriotes, est loin d’être un illustre inconnu, car le général Muhammadu Buhari n’est autre que le chef d’une junte militaire qui a gouverné le pays de 1984 à 1985. Autant dire qu’il a étrenné le fauteuil présidentiel. Et il revient à la charge, ragaillardi par la coalition qu’il a pu fédérer autour de sa personne, dont un bon contingent de transfuges du parti au pouvoir.
Sauf à avoir une boule de cristal, bien malin est qui pouvait dire lequel des deux sortirait vainqueur de cette deuxième confrontation sur laquelle plane désormais des soupçons de manipulation politique, s’ajoutant au climat d’incertitude qui régnait ce lundi.
En fin d’après-midi, on désignait le chef de la coalition d’opposition vainqueur dans 5 états sur 8, tandis que le président sortant remportait 3 autres ainsi que la capitale fédérale, Abuja, avec cependant une légère avance en nombre de suffrages exprimés.
Il faut dire qu’au Nigeria, le vainqueur doit obtenir, outre le plus grand nombre de suffrages exprimés, au moins 25% des voix dans les deux tiers des 36 Etats de la Fédération auxquels s'ajoute le territoire de la capitale fédérale, Abuja.
Reste à espérer que celui qui aura été déclaré perdant acceptera le jugement des urnes et qu’aussitôt il s’empressera de féliciter son adversaire, comme cela a coutume de se faire dans la plus pure tradition républicaine, afin de donner le signal à ses propres troupes, et bien avant que le mercure sociopolitique commence à monter.
Certes, ils ont signé avant la bataille un pacte. Un simple document qui, à la moindre étincelle, pourrait partir en fumée. Ce serait le comble pour des hommes qui disent aspirer à fédérer davantage les millions de Nigérians qui ont placé en eux leurs espoirs et leur confiance.
H. Marie Ouédraogo