Hamadi Jebali a donc fini par jeter l’éponge. Après des jours de tractations à la recherche d’un introuvable gouvernement apolitique, le Premier ministre tunisien a en effet rendu sa démission le mardi 19 février 2013 au président, Moncef Marzouki. Tout est parti de l’assassinat, le 6 février dernier, de l’opposant Chokri Belaïd, qui a fait l’effet d’un véritable séisme politique.
Le meurtre de l’avocat, secrétaire général d’El-Watad (le Mouvement des patriotes démocrates) et leader de gauche, abattu par balles alors qu’il sortait de son domicile, a donné lieu à une seconde révolution dans cette Tunisie postBen Ali. Même si la responsabilité d’Ennahda n’est pas formellement établie, de nombreux observateurs ont vu la main du parti islamiste derrière le drame.
C’est dans cette circonstance que le Premier ministre se débat dans d’interminables querelles pour maintenir le pays à flot et éviter qu’il sombre dans le chaos et l’anarchie ; malheureusement, la résistance vient de ses propres rangs, puisque c’est son propre parti, Ennahda (Renaissance en arabe), dont il est le secrétaire général, qui s’oppose depuis au gouvernement de technocrates qu’il ambitionnait de former alors qu’il aurait le soutien des deux autres formations de la troïka qui dirige le pays : Ettakatol du président du Parlement, Mustapha Ben Jaafar, et le Congrès pour la République (CPR) du président, Moncef Marzouki. On se demandait comment depuis un tel monstre à trois têtes pourrait être viable.
Le Premier ministre a certes fini par rendre le tablier, mais les problèmes posés ne sont pas résolus, et la confusion reste entière, car, au-delà de la composition du gouvernement, c’est une querelle autour du projet de société de la nouvelle Tunisie qui avait fini par exploser au grand jour après le meurtre de Chokri Belaïd. Deux ans après la révolution du jasmin, la Tunisie semble faire du surplace, et les relations entre les trois partis de la coalition ne cessent de se dégrader. Cause principale, les agissements du mouvement islamiste Ennahda, lequel est de loin le premier parti politique tunisien, avec 89 députés à l'Assemblée constituante (qui compte un total de 217 sièges).
On ne compte plus leurs tentatives d'islamiser la future Constitution du pays, et le coup de poker de Jebali qui a voulu, à la suite de l’onde de choc causée par la mort de Belaïd, remplacer le cabinet pléthorique (plus de 40 membres) par un gouvernement restreint de technocrates, apparaissait comme une porte de sortie de crise. C’était sans compter avec Rached Ghannouchi, «l’homme qui a trahi la révolution» selon notre confrère Jeune Afrique : fondateur et leader historique du mouvement des Frères musulmans, il s’est servi de la révolution pour arriver aux affaires, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, et a réussi à saboter le projet de Jebali, dont la démission sonne comme un aveu d’échec ; une démission qui ne serait que pour la forme selon bon nombre d’observateurs de la scène politique tunisienne, qui misent sur sa reconduction.
Dans tous les cas, à supposer qu’Hamadi Jebali soit effectivement reconduit, quelles garanties aura-t-il pour accomplir sa mission quand on sait que, dans sa position, sa marge de manœuvre est étroite, car il ne bénéficie même pas du soutien du parti auquel il appartient ?