Les rideaux viennent de tomber sur les états généraux de la Justice burkinabè. Un pacte, comme annoncé dès le départ, a été adopté, pour le renouveau de la Justice. Mais en ce qui concerne l’avènement d’une justice indépendante, tout reste à faire. En effet, c’est maintenant que le vrai travail commence. Comme on le sait, c’est bien de prendre des engagements. Mais, les engagements sous nos cieux n’engagent le plus souvent que ceux qui le veulent. On se demande donc quelle sera la valeur du pacte signé. Cette question est d’autant plus importante que ce pacte n’a pas une valeur juridique contraignante. C’est un document à valeur morale. Et cela n’est pas suffisant pour rassurer grand’monde dans un pays où la morale, est morte de sa belle mort et où de nouvelles autorités politiques sont attendues.
Le tout n’est pas d’avoir des textes
C’est dire tout le défi qui attend les signataires de ce pacte et par delà, la nation burkinabè. Et c’est en cela que la défection du Collectif CGTB est inquiétante. C’est une fausse note à prendre au sérieux. Cette défection qui s’ajoute au lot de ceux qui ont toujours vu en ces états généraux une foire, n’est pas pour garantir l’acceptation des résultats par toutes les composantes de la nation. En effet, tout comme le Conseil Consultatif pour les Réformes Politiques (CCRP), ces états généraux risquent de porter la tache de leur non-acceptation par certains regroupements et individus. En rappel, les travaux du CCRP avaient été menés en l’absence de l’opposition « vraie ». La suite, on la connaît. Les résultats n’ont engagé que ceux qui y étaient. Et là encore ! Les conclusions sur des points non consensuels qui devaient être laissés en l’état, comme la modification de l’article 37 de la Constitution burkinabè, n’ont pas été par la suite respectées par le régime de Blaise Compaoré lui-même. De plus, on se demande bien pourquoi les organisateurs de ces états généraux n’ont pas trouvé utile d’associer à la signature de ce pacte le président du Conseil d’Etat, celui de la Cour des comptes et celui du Conseil constitutionnel.
On imagine bien que le président de la Cour de cassation a signé au nom de l’ordre judiciaire. Est-ce à dire que c’est parce que les autres ordres de juridictions ne sont pas concernés par les maux dont souffre la Justice, qu’ils n’ont pas d’efforts à faire à leur niveau ? En tout cas, en dépit du respect qu’ils ont certainement pour le premier responsable de la Cour de cassation, difficile d’imaginer que le président du Conseil d’Etat et ceux de la Cour des Comptes et du Conseil constitutionnel vont se sentir liés par la signature du représentant de l’ordre judiciaire. Il faut craindre que ceux-là et tous ceux qui sont restés à l’écart de ces états généraux pour une raison ou pour une autre, ne se sentent pas concernés par ses conclusions. Même pour ceux qui ont apposé leurs signatures, on n’est pas à l’abri de dérobades comme on en a vu dans ce pays de par le passé. Il faut espérer que l’enjeu du renouveau de la Justice qui est du reste souhaité par tous les acteurs, soit plus fort que les divergences. Et que chaque acteur, malgré les griefs qu’il a et qu’il peut développer à l’endroit des organisateurs de ces états généraux ou à l’endroit des « frondeurs », accepte de jouer sa partition de façon franche et constructive pour ce renouveau de la Justice. Il importe, dans ce cas, de poursuivre toutes concertations utiles.
Sans avoir besoin de dépeindre tous les maux de la Justice burkinabè, on s’accorde à dire qu’elle ne joue pas son rôle. Donc, que les hommes et les femmes de ce pays, avec en pôle position les juges, ne jouent pas leur rôle. Ce pourrissement, faut-il l’admettre, a été aussi favorisé par la longévité au pouvoir de Blaise Compaoré, avec tout ce que cela comporte comme laisser-aller, compromission ou manipulation dans toutes les sphères de l’Etat, surtout au niveau de la Justice. Le sentiment général des populations est qu’il y a une justice à deux vitesses, qui vous noircit ou vous blanchit selon que vous êtes puissant ou misérable. Ce sentiment est conforté par les actes de corruptions révélés, y compris de juges, mais restés sans sanction, et les cas de refus d’exécution de décisions judiciaires quand l’Etat ou des barons du régime sont, à quelques rares occasions, épinglés. Les problèmes sont donc réels et il faudra donc que les magistrats et les justiciables, y compris l’Etat, fassent vraiment, chacun en ce qui le concerne, son mea culpa et s’engage à apporter sa part de contribution.
Du reste, les conclusions de ces états généraux contiennent des engagements, somme toute, importants. Et même si on peut avoir des réserves sur le format et la méthodologie de ces états généraux, on peut saluer et soutenir les solutions esquissées. Le mécanisme de suivi du respect des engagements qui est prévu, par exemple, est une chose importante en ce sens qu’il devra permettre de situer les responsabilités et de rectifier le tir au besoin. Le fait que le président du Faso ne soit plus président du Conseil Supérieur de la Magistrature est aussi un symbole fort. Et la prise de textes permettant de compléter ou de toiletter les dispositions juridiques existantes, qui devra intervenir sans doute prochainement à partir des conclusions de ces états généraux, est des plus salvatrices. Le vin étant tiré, il faudra donc le boire. Mais, il faudra se convaincre que comme toute indépendance, l’indépendance de la Justice ne se décrète pas. Elle se vit, se construit certes sur la base de textes juridiques, mais aussi et surtout par les actes et paroles des protagonistes, au quotidien. D’ailleurs, cette indépendance de la Justice que chacun appelle de tous ses vœux aujourd’hui n’est-elle pas déjà consacrée par la plus grande des lois burkinabè, la loi fondamentale qu’est la Constitution ? Cela confirme qu’aucun texte juridique, à lui seul, ne saurait garantir cette indépendance. Il ne faut point se leurrer. Le problème principal ne se trouve pas dans une quelconque insuffisance des textes. Bien entendu, dans tout état de droit digne de ce nom, les textes de droit occupent une place centrale. Seulement, il est évident que le tout n’est pas d’avoir des textes. Car, les textes ne valent que par ce que valent les hommes. Tant les hommes chargés de les appliquer que ceux à qui ils doivent s’appliquer.
Il faudra travailler à ce que les conclusions pertinentes de ces états généraux ne soient pas balayées du revers de la main
En ce qui concerne les magistrats, il faut, entre autres, couper de façon effective le cordon ombilical qui les lie à l’Exécutif. Surtout le parquet. Et pour ce faire, il n’aurait pas été de trop d’évoluer vers l’esprit anglo-saxon, avec des procureurs élus ou indépendants. Car tant que les magistrats seront nommés par l’Exécutif, leur indépendance sera sujette à caution. Chaque magistrat hésitera par deux fois avant de prendre une décision de nature à froisser, ne serait-ce que la susceptibilité de la personnalité dont dépend, en grande partie, la trajectoire de sa carrière professionnelle. Au contraire, il aura tendance, volontairement ou involontairement, à tout faire pour s’attirer les bonnes grâces de celui ou celle dont dépend son ascension professionnelle et sociale. En d’autres termes, sous nos cieux, le devoir d’ingratitude du magistrat vis-à-vis de celui qui l’a nommé, au nom de l’intérêt supérieur de la nation, est une vue de l’esprit. Et là, se trouve un grand problème de la Justice burkinabè. Ce cordon ombilical, qui est en réalité un cordon de dépendance, est antinomique avec l’idée selon laquelle la Justice est un pouvoir à part entière. C’est un signe de vassalisation du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l’Exécutif. C’est le danger du copier-coller du modèle judiciaire français en Afrique. Le système judiciaire français auquel le système burkinabè emprunte son essence, évolue dans un environnement différent. Toutes proportions gardées, le juge français est fier de son indépendance et a tous les moyens de l’affirmer. L’Exécutif y est soumis à la loi, contrairement à nos Etats où les princes régnants sont au-dessus de celle-ci. Toute immixtion de l’Exécutif dans le judiciaire suscite une levée de boucliers jusque dans le camp de ceux qui sont au pouvoir.
Quant aux justiciables, il importe qu’ils inscrivent toutes leurs actions dans le cadre de l’Etat de droit. L’Etat, tout comme les personnes privées, doit respecter la loi au sens large. Le refus de se plier à l’autorité de la chose jugée, d’exécuter les décisions de Justice et la justice privée entre autres, doivent être bannis. Tous les justiciables doivent être traités avec équité devant la loi. Pour le cas spécifique des magistrats qui sont aussi des justiciables, il faudra que l’impunité cesse aussi. Des organisations de la société civile notamment, pourront veiller à dénoncer tout laxisme dans ce sens. Tout magistrat sur lequel des soupçons de corruption pèseraient, devrait être traité comme tout justiciable. En tant que gardien des règles de la société, il devra être soumis à la rigueur de ces mêmes règles. Cela contribuera, du reste, à ôter chez certains magistrats le sentiment bien établi que tout leur est permis, qu’ils n’ont aucun devoir de respect pour leurs compatriotes. Toute chose qui entame leur respectabilité aux yeux des populations.
En somme, il importe de prendre toutes dispositions utiles pour diffuser ces engagements pour le renouveau de la Justice, après les avoir traduits dans les langues nationales et travailler à faire adhérer ceux qui sont restés sur le bas-côté de la route, aux conclusions de ces états généraux. Aussi, l’élaboration d’un code d’éthique et de déontologie des acteurs de la Justice, surtout des magistrats, ne serait pas de trop. Mais, il faudra travailler à faire en sorte que les conclusions pertinentes de ces états généraux ne soient pas balayées du revers de la main par les autorités qui seront issues des élections devant mettre fin à la transition. Il faudra surtout veiller à ce que personne ne puisse bénéficier de la moindre impunité. Ni l’Etat, ni les populations, y compris les magistrats. Car, l’impunité fait le lit de tous les maux qui rongent notre société. C’est seulement à ce prix que le soleil du renouveau tant espéré, pourra se lever et éclairer de ses rayons lumineux la vue de la Justice burkinabè.
« Le Pays »