L’or bleu est une ressource vitale, et aucune vie n’est possible sans elle ; malheureusement, du fait du changement climatique et de l’action anthropique, elle se raréfie si elle n’est pas simplement polluée avec des conséquences néfastes pour l’homme et l’énvironnement. Le secrétaire permanent du plan d’action pour la gestion intégrée des ressources en eau, Moustapha Congo, dans l’entretien qui suit, aborde cette problématique et plaide pour des mesures urgentes. Selon lui, la pertinence du thème de la Journée internationale de l’eau célébrée le 22 mars, qui est «Eau et développement durable», célébrée le 22 mars, est évidente, car sans eau en quantité et en qualité, tous les autres secteurs se meurent.
Présentez-nous la structure que vous dirigez.
Le SP /PAGIRE est une structure dont l’objectif est de contribuer à la mise en œuvre d’une gestion intégrée des ressources en eau adaptée au contexte national, conforme aux orientations définies par le gouvernement burkinabè tout en respectant les principes reconnus au plan international en matière de gestion durable et écologiquement rationnelle des ressources en eau. Il s’agit spécifiquement de :
- Gérer de manière concertée les ressources en eau des bassins hydrographiques du pays à travers les 5 agences de l’Eau (agence du Gourma, l’agence de la Boucle du Nakanbé, l’agence du Mouhoun, l’agence des Cascades, et l’agence du Liptako)
- Assurer l’opérationnalisation du cadre politique, juridique et financier de la gestion des ressources en eau à l’horizon 2015 ;
- Assurer le suivi et développer la connaissance des ressources en eau au bénéfice des usagers à travers le Système national d’information sur l’Eau ;
- Assurer la coordination et le suivi du processus GIRE à travers l’opérationnalisation du SP/PAGIRE
La structure a aussi pour mission de renforcer le partenariat entre le secteur public et privé et apporter une assistance technique aux acteurs de la mise en œuvre de la GIRE et d’assurer la mobilisation des ressources financières. Il s’agit aussi de poursuivre la sensibilisation et la mobilisation des acteurs ainsi que le plaidoyer pour la mise en œuvre de la GIRE dans l’ensemble du pays.
En termes simples, qu’est-ce que la gestion intégrée des ressources en eau qui est un concept de plus en plus utilisé dans les instances internationales ?
La gestion intégrée des ressources en eau est un processus qui vise à amener l’ensemble des acteurs notamment les usagers de l’eau à utiliser cette denrée de manière à satisfaire leurs besoins actuels sans compromettre ceux des générations futures. Il s’agit d’une utilisation rationnelle et concertée d’une ressource vitale mais qui évite de compromettre les besoins des générations futures dans un esprit de développement durable.
On voit bien apparaître la justesse de cette approche mais déjà que les générations actuelles, surtout dans nos pays, sont confrontées au manque d’eau ; comment un tel processus peut connaître une mise en œuvre prospère ?
Il n’y a pas d’alternative à ce processus, nous n’avons pas d’autres choix que de nous y appliquer surtout dans un contexte de ressources très limitées. En effet, il faut éviter le gaspillage de sorte à ce que chacun utilise juste ce dont il a besoin et tenant compte des besoins des autres usagers. En tant qu’usager, je dois savoir qu’il y a d’autres qui sont soit en amont soit en aval dépendants aussi de cette ressource. En termes de quantité, j’utilise juste ce qu’il me faut et en terme de qualité je dois être écocitoyen en évitant tout comportement qui porterait atteinte à la qualité de la ressource. C’est parce que justement les ressources sont limitées qu’il faut y veiller, car dans la vie, tout est question de planification et de gestion. Comme vous le savez, il y a des gens qui ont 100 000 FCFA de salaire qui s’en sortent mieux que des gens qui ont 300 000 F. Il faut donc que nous puissions gérer au mieux le peu de ressources en eau que nous avons. C’est l’unique alternative au regard de notre contexte.
Qu’elle appréciation faites-vous de l’état des ressources en eau au Burkina Faso ?
C’est bien connu que nous sommes dans un pays sahélien qui subit les variations des changements climatiques avec une pluviométrie capricieuse dans le temps et dans l’espace. Pendant ce temps, on assiste à une croissance exponentielle de la démographie et une augmentation des activités économiques d’où des besoins en eau de plus en plus croissants. Il y a de plus en plus d’usines, d’agriculture, d’agrobusiness, de miniers alors que les quantités d’eau sont en diminution. Le deuxième problème auquel nous sommes actuellement confrontés, c’est l’orpaillage qui entraîne des pollutions ; à cela j’ajoute les pollutions domestiques et industrielles avec des produits dangereux qui sont rejetés dans des cours d’eau et bassins versants. Par l’effet du ruissellement et de l’infiltration, les eaux de surface et les eaux souterraines s’en trouvent ainsi polluées. Cette pollution rend impropre une partie de l’eau et réduit par conséquent la quantité d’eau utilisable. A cela, il faut combiner la diminution de la pluviométrie liée au changement climatique avec une baisse tendancielle de celle-ci ces dernières décennies. C’est là la problématique du secteur de l’eau dans notre pays qui nécessite une prise de conscience à l’échelle individuelle et collective.
La problématique semble être bien cernée par les autorités d’autant plus que notre pays s’est doté d’une politique nationale de l’eau ; quels en sont les points saillants ?
Au regard du constat que nous venons de faire et considérant que chaque secteur d’activité gérait les ressources en eau sans concertation avec les autres secteurs, l’Etat, dès 1998, a réfléchi aux solutions en adoptant la gestion intégrée des ressources en eau comme mode de gestion des ressources en eau. Ainsi, l’Etat a adopté une loi d’orientation relative à la gestion de l’eau qui donne le cadre réglementaire dans lequel la gestion de cette ressource doit être axée et qui consacre la GIRE comme mode de gestion. Cette loi a été adoptée le 8 février 2001 par l’Assemblée nationale et les textes d’application ont été élaborés pour montrer la voie à suivre. L’article 19 précise que la gestion des ressources en eau doit être menée à travers les bassins hydrographiques. Bien d’acteurs, notamment l’administration, les collectivités territoriales et les usagers, en ont été sensibilisés et informés. Le cadre législatif a été donc défini, de même qu’un cadre institutionnel. C’est pourquoi un certain nombre de structures ont été mises en place en conformité avec ce cadre institutionnel qui a été défini, allant du niveau national au niveau local. A l’échelle nationale, nous avons le Conseil national de l’eau qui est fonctionnel avec à son actif une trentaine de sessions. Il regroupe toutes les composantes de notre société : l’administration, les collectivités territoriales, les ONG, la société civile dont les autorités coutumières et religieuses. Dès que nous avons un texte ou un projet en lien avec les ressources en eau qui peut les impacter positivement ou négativement, toutes ces composantes donnent leurs avis. Toujours au niveau national, on a créé un comité technique de l’eau qui regroupe neuf (9) ministères-clés qui se prononcent aussi sur les textes et projets dans le secteur de l’eau. En dessous de ces deux structures, il y a les 5 agences de l’eau mises en place sur le territoire national mais cette mise en place a tenu compte des critères socioéconomiques pour gérer les bassins cités plus haut. Le bassin étant une unité hydrographique cohérente, et le cadre le plus approprié pour la gestion des ressources en eau. Au sein de chaque bassin l’ensemble des acteurs font l’état des ressources, identifient les problèmes et trouvent des solutions de manière consensuelle.
A l’échelle du village, comment les choses sont-elles organisées ?
Les choses ne s’arrêtent pas seulement à ces structures précitées ; au niveau régional, on a des comités interservices de l’Eau qui sont une duplication du comité technique de l’eau et dont le rôle est d’éclairer le gouverneur dans ses décisions et les questions en lien avec les ressources en eau. Au niveau local, on a les comités locaux de l’eau à l’échelon du sous-bassin ; ces comités comprennent les différents usagers : les pêcheurs, les maraîchers, les éleveurs, orpailleurs, industriels et les usagers d’eau potable, les collectivités et l’Administration. Ils arrivent ainsi à prévenir les problèmes de pénurie, à gérer les conflits entre ces acteurs, à mener des actions de protection et de restauration. Ces comités, dans leur fonctionnement, ont réellement fait la preuve d’efficacité surtout avec les commissions de règlement de litiges mises en place. Cette année, beaucoup de comités ont fait des travaux de protection et de restauration et ont fait appliquer les règlements qui interdisent notamment de cultiver sur les berges des cours d’eau. Vous savez que cette pratique est très néfaste d’autant plus qu’elle entraîne la pollution de l’eau et l’envasement.
En dépit de tous ces efforts d’organisation des acteurs du secteur, on voit bien que certains industriels prélèvent l’eau sans payer pendant que les orpailleurs, par l’usage de produits comme le cyanure, polluent les eaux de surface et souterraines. Où est-ce que ça coince ?
Nous avons des textes avec des principes forts comme le principe de préleveur- payeur et de pollueur-payeur. Cela veut dire que tout usage de l’eau à des fins économiques doit contribuer à la mobilisation des ressources en eau et tout usager qui pollue l’eau doit contribuer à restaurer sa qualité. On ne peut, à des fins économiques, polluer une ressource et s’attendre à ce que quelqu’un d’autre vienne réparer les préjudices subis par la communauté et l’environnement. Ces deux principes ont été traduits en décrets qui précisent que tout utilisateur qui prélève au-delà de 100 litres d’eau brute par jour et par personne doit contribuer. Pour le moment, le texte a visé les plus grands préleveurs : les miniers, les industriels, les BTP et les producteurs d’eau potable. Pour les miniers, c’est 125f le m3 d’eau prélevée de même que les industriels ; 50f le m3 d’eau pour les producteurs d’eau potable ; et l’ONEA qui a un caractère social, paie 1F/m3.Pour le BTP, on paie 20 F le m3 de béton exécuté et 10 F le m3 de remblais exécuté. L’ONEA et certains industriels comme la BRAKINA paient régulièrement. Concernant le principe du pollueur-payeur, les textes sont encore à l’étude et seront disponibles bientôt. Les textes concernant le secteur agricole, qui occupe près de 90% de la population, sont aussi à l’étude. Au regard de ce qui se passe sur le terrain en terme de pollution surtout du fait de l’orpaillage, il faut des mesures urgentes, car les effets seront catastrophiques à court terme si les choses restent en l’état.
Est-ce qu’il ne faut pas accélérer les choses sinon ce sera le médecin après la mort ?
Effectivement, il y a urgence à agir, mais le domaine de la pollution est vaste et difficile à cerner ; il faut que la réflexion aboutisse à des textes pour faire face au phénomène. Prenons le cas de la pollution agricole ; certains produits utilisés par les maraîchers ne sont pas homologués, et leur importation ne passe pas souvent par des circuits contrôlés par l’Etat.
La journée mondiale de l’eau vient d’être célébrée le 22 mars avec pour thème « l’eau et développement durable ». Qu’est-ce qui justifie le choix d’un tel thème ?
Cette journée a été instituée le 22 décembre 1992 par l’Assemblée générale des Nations unies. Cette année, on a voulu insister sur la relation entre l’eau et le développement durable. L’eau est un secteur important transversal dont dépendent tous les autres. Si nous prenons la santé qui est un domaine hautement social et vital, sans eau en quantité et en qualité, on ne peut être en bonne santé. Si nous prenons le domaine économique, que ça soit le secteur industriel ou agricole, sans eau, il n’y aura aucune activité. Dans notre pays, on parle actuellement du secteur minier. Sans eau, toutes les mines vont fermer. Donc les miniers ont tout intérêt à préserver cette ressource. En somme, il n’y aura pas de développement durable sans prise en compte du secteur eau qui reste central pour les autres activités. C’est ainsi que la gestion intégrée des ressources en eau s’impose à tous ceux qui aspirent à un développement durable ; malheureusement par méconnaissance, cette denrée n’est pas souvent considérée à sa juste valeur. Il faut donc que tous les acteurs, autorités locales, décideurs politiques, au regard du caractère indispensable de la ressource en eau au développement des activités économiques et sociales, plaident pour un renforcement du caractère prioritaire du secteur de l’eau.
Pour terminer, je voudrais souligner qu’on a coutume de dire que « l’eau, c’est la vie », mais il faudra noter que la gestion intégrée des ressources en eau : GIRE est «l’assurance-vie».
Interview réalisée par Abdou Karim Sawadogo