Baba Hama a publié deux romans en 2014 aux Editions l’Harmattan international. Les Amants de Lerbou et Kalahaldi, la patte de vautour. L’auteur décrit l’univers bucolique du Sahel et de ses communautés, pris entre traditions, islam et modernité. Le réalisme magique de l’écriture donne à voir un monde sahélien où le réel et l’irréel ne s’opposent pas mais se donnent la main pour expliquer le monde.
Avec Baba Hama, on peut dire que le sahel burkinabè a désormais son écrivain. Les deux romans précités ont pour cadre cette région du Burkina, dont ils sont une peinture idyllique en rupture avec la vision qu’en donnent souvent les écrivains burkinabè. En effet, cette région peu présente dans les œuvres burkinabè est perçue comme un pandémonium : lieu de souffrance, de sécheresse et même de mort. Comme dans les recueils de poèmes Ca tire sous le Sahel de Pacéré Titinga et Agonies de Gorom-Gorom de Jacques Prosper Bazié. Baba Hama n’en fait certes pas un paradis, il évoque l’ingratitude des sols, les caprices du ciel, mais montre aussi la beauté des paysages, l’organisation d’une vie sociale adaptée au climat. Il montre la vie dans le Sahel avec ses histoires de cœur, ses conflits politiques, ses splendeurs et ses difficultés.
Les Amants de Lerbou est une histoire d’amour entre deux êtres qui ont grandi dans une même famille, des « presque frères » qui se découvrent une passion. Amour condamné d’avance par la société, compromis par les aléas de la vie, il semble voué à l’échec. Mais la ténacité de cette Juliette du Sahel triomphera de toutes les résistances. Cette œuvre qui rappelle Au Temps du choléra de Garcia Luis Marquez, sans en avoir la puissance lyrique, se laisse lire très vite. La littérature d’Amérique latine, les romans de Baba Hama en sont proches par leur réalisme magique. Les hommes et les génies vivent ensemble, se côtoient, se défient et s’entre-aident et parfois s’aiment. Ainsi, Hamdja, l’agent technique, entretient une relation charnelle avec une femme génie qui, en retour, lui offre des pépites d’or grosses comme des œufs de pintade. Et les hommes sont impénétrables à la lame tranchante des couteaux qui se tordent comme paille au contact de leur épiderme. Des génies habitent les mares et protègent les hommes avec lesquels un pacte les lie.
Dans le roman Kalahaldi, la patte du vautour aussi on retrouve cette interpénétration entre l’outre-tombe et les vivants. Ainsi, on y voit l’âme d’un mort sortir de sa tombe pour assassiner un opposant politique. Ou un lutin perdre à la lutte contre un humain et lui promettre le succès.
C’est cela qui est la marque de ces deux récits traités à l’épure et d’une grande économie narrative grâce, spécialement, aux proverbes qui interviennent à point nommé. Comme l’image, le proverbe vaut mille mots. Les histoires sont relatées par un narrateur omniscient apparemment membre de la société qu’il décrit et dont il ne remet pas en cause la vision du monde ; il décrit celle-ci avec réalisme mais sans rationalisme. Décrit les conflits entre les différentes communautés et les mécanismes de cohabitation. Les hiérarchies relèvent plus du passé que de la condition de l’individu. Kalahaldi a peu de chance de jouer un rôle de leader politique dans la société actuelle parce qu’il est issue d’une caste, il n’appartient pas à la noblesse. Le Spartacus ne renverse pas l’ordre dans ces sociétés-là. Mais à travers ces histoires, il y a une critique des immobilismes et un appel à la modernité. Djewo est une femme qui refuse sa condition et triomphe !
Baba Hama a été ministre dans plusieurs gouvernements de Blaise Compaoré et même le dernier. On ne peut donc lire Kalahaldi, la patte du vautour, qui est l’histoire de l’ascension et de la chute d’un vendeur de friperie qui voulait être leader politique. Il s’agit de l’histoire de l’avènement du multipartisme dans le pays et de la tentative d’implantation du parti au pouvoir dans le Sahel qui lui est hostile. Les populations, se sentant abandonnées du pouvoir, se sont tournées vers l’opposition, un parti de gauche piloté par leur gendre. Il y a des écrivains qui ont été dans des gouvernements mais qui font une critique sans concession du pouvoir qu’ils servent comme le fit Henri Lopès, qui publia son recueil de nouvelles, Tribaliques, en étant ministre. Avec Baba Hama, la critique est feutrée, subtile et homéopathique. Au lieu des banderilles du toréro, il choisit les aiguilles d’acupuncture qu’il plante dans le corps politique. On y découvre un commandant, représentant du pouvoir central dont le hobby est de cocufier ses administrés, un chef de parti qui n’a que le marxisme scientifique à la bouche et qui croit aux forces occultes. Et il affleure un certain humour, léger, allusif et spirituel.
En conclusion, ce sont deux romans agréables à lire et qui restituent sans l’occulter une expérience du monde à travers des jumelles dont les lentilles sont le réel et l’irréel. Un regard d’une Afrique contemporaine mais bien ancrée dans sa philosophie non cartésienne du monde. Ce qui fait la modernité de Baba Hama, ce sont la conduite de la narration avec des récits qui se dispersent, les personnages principaux qui s’estompent longtemps pour laisser place à d’autres et les quêtes des personnages ne dépendent pas de leur abnégation mais du destin. On a l’impression de lire des histoires écrites sur le sable et que le vent balaie. C’est peut-être l’esthétique qui sied à des romans qui veulent dire l’âme du Sahel.
Saïdou Alcény Barry