Après un quart de siècle d’existence, l’Ecole nationale des régies financières (ENAREF) a eu à injecter dans l’administration burkinabè des milliers de compétences de toutes catégories qui ont su apporter à l’administration, l’amélioration d’une gestion saine. Cela peut-elle être évalué et comment ? Nous sommes allés à la rencontre du Dr N. Amadou Yaro, directeur général de l’ENAREF pour en savoir plus sur le passé, le présent et le futur de cette prestigieuse école dont la renommée traverse nos frontières. Il nous parle à cœur ouvert des activit-és de cet anniversaire, les grands défis de l’ENAREF pour les prochaines années et aussi l’apport de cette école dans la lutte contre la corruption au Burkina Faso.
L’Hebdomadaire du Burkina : L’ENAREF célèbre cette année 2013 le 25e anniversaire de sa création. Dites-nous quelle était à l’origine sa vocation et comment l’école a évolué au cours des deux dernières décennies ?
DR Nebila Amadou Yaro : Pour répondre à votre question, permettez-moi de faire brièvement l’historique de l’Ecole nationale des régies financières. Souvenons-nous qu’au début des années 1980, le ministère de l’Economie et des finances avait un centre de formation. C’est ce centre de formation qui a été transformé depuis 1988 en une école nationale de régies Financières.
En 1990, les pays africains particulièrement francophones se sont confrontés aux mesures d’ajustement structurel de l’époque. Et le problème qui se posait était de savoir comment les Etats africains allaient avoir du personnel formé en quantité et en qualité pour encadrer ces reformes économiques et financières.
On peut aussi se souvenir qu’avant 1988, la plupart de nos cadres étaient formés en France pour ce qui concerne les impôts à Clermont-Ferrand en France ; en ce qui concerne la douane à l’école nationale des douanes en France, etc.
Mais c’était en quantité limités, ce qui fait que si on devait faire une prévision en ce moment, on ne pouvait pas avoir des cadres en quantité suffisante. Donc lors d’une rencontre des ministres des Finances de la Zone-franc à Brazzaville, il a été décidé de créer deux pôles de formation en matière économique et financière pour l’encadrement supérieur.
C’est ainsi que Ouagadougou a été retenu comme pôle régional de formation pour l’Afrique de l’Ouest et Brazzaville a été retenu comme pôle régional de formation pour l’Afrique centrale.
Depuis ce temps, les autorités politiques et administratives au plus haut niveau du Burkina Faso ont mis en marche le processus qui a abouti en juin 1988 à la création de l’Ecole nationale des régies financières (ENAREF), et nous voilà aujourd’hui célébrant déjà son 25e anniversaire.
Après un quart de siècle d’existence, quelles sont les étapes de la vie de cette école qui peut retenir l’attention du public ?
Je pense qu’il faut voir trois étapes essentielles : la première, c’est la formalisation de l’Ecole en tant que structure de formation de l’encadrement superieur.
Pour la première fois les pays africains étaient en mesure de former leur encadrement supérieur où sont issus des agents de haut niveau qui sont à même de concevoir des plans de développement, de les mettre en œuvre, de les évaluer au profit du bien-être de la population.
Je crois que c’est une étape importante que les autorités aient décidé que la formation des haut-cadres doit se passer sur le plan national avec les réalités du milieu et avec un encadrement par des nationaux.
La deuxième étape, c’est l’ouverture de l’école aux pays de la sous-région et de l’Afrique de centrale. Cela constitue un facteur déterminant de ce que nous constatons la confiance qu’on témoigne à notre école. Cette ouverture, à commencer par le Mali, le Niger, le Togo et le Bénin. Ensuite les pays de l’Afrique centrale se sont intéressés à l’école.
La troisième étape, c’est la réalité que nous observons sur le terrain actuellement. Aujourd’hui, nous avons au Burkina entre 70% à 80% des agents du ministère de l’Economie et des Finances qui sont entièrement formés à l’ENAREF.
Sur le plan international, on retrouve également des cadres qui ont bénéficié de la formation de l’ENAREF. Et pour nous, cela constitue une référence essentielle car cela prouve que les agents formés par notre école sont à la hauteur des tâches qu’on leur confie.
Pour revenir au cas du Burkina, je pense que nos finances publiques sont bien gérées et cette bonne gestion est faite par les agents formés par l’ENAREF. Voilà les trois étapes qui sont pour nous des motifs de satisfaction.
C’est un coup de publicité pour votre école ou réellement vous recevez un feed-back de la performance de vos anciens élèves sur le terrain ?
Non, sincèrement, nous avons des échos et depuis quelque temps nous avons commencé à mesurer l’impact de la formation dispensée aux élèves.
Même si cela peut-être considéré comme empirique, nous estimons que s’il n’y a pas de retour pour remettre en cause la compétence de nos élèves, nous tirons la conclusion qu’il y a nécessairement satisfaction dans l’exercice de leur fonction. Il faut aussi noter que bon nombre de nos enseignants vacataires sont des anciens élèves de l’ENAREF.
Donc ils reviennent inculquer non seulement l’enseignement mais surtout la pratique de leur formation aux élèves. Ceci étant, nous avons d’ailleurs engagé depuis l’année dernière une vaste étude d’impact de la formation que nous dispensons. Cela fait partie de nos critères de performances du budget-programme.
Car dans le budget-programme, nous avons retenu deux critères de performances qui sont : premièrement le taux d’exécution des cours et deuxièmement le taux de satisfaction de notre clientèle. Cette année nous allons donc mesurer de manière scientifique notre évaluation, faite par des consultants indépendants.
On parle de plus en plus de la corruption dans l’administration burkinabè. En tant qu’institution de formation et d’éducation, quelle peut être la contribution de l’ENAREF dans la lutte contre ce fléau ?
Vous avez raison de parler de la corruption au Burkina. Je pense que c’est un phénomène qui n’est plus tabou, tant à l’ENAREF que dans les autres institutions.
Nous nous situons dans la dynamique du ministère de l’Economie et des Finances. Il n’y a pas longtemps notre ministère de tutelle a rencontré toutes les structures de luttes contre la corruption, notamment la société civile pour voir dans quelle condition on pourrait conjuguer les efforts pour combattre ce fléau.
Je dois dire que le fait d’en parler est déjà un élément important. Le ministère de l’Economie et des Finances a déjà joué sa partition donc et nous devrions l’accompagner dans cette dynamique. En créant des conditions pour que dès la formation les élèves sachent l’existence du problème et surtout l’intérêt de la combattre.
A ce niveau, nous leur dispensons d’ores et déjà des cours sur la déontologie de la fonction publique, sur la lutte contre la corruption. Il n’y a pas longtemps l’ENAREF a organisé conjointement avec le REN-LAC, l’ASCE, la Cour de comptes une conférence sur la corruption et ses multiples manifestations et les sanctions qui existent en la matière.
Ce 25e anniversaire est justement célébré sous le thème : « la contribution de l’ENAREF à l’amélioration des finances publiques des Etats ». Parlez-nous brièvement des grands axes de réflexion qui seront menés sur ce thème. Quel usage feriez-vous des conclusions de cette réflexion ?
Comme tout anniversaire, c’est l’opportunité de faire une halte pour évaluer le chemin parcouru à travers les hauts et les bas. C’est à partir de ce bilan que nous allons nous projeter dans l’avenir. Ceci étant, nous prévoyons de relire l’ensemble du programme de formation. En ce sens qu’aujourd’hui il y a des nouveaux défis qui se posent qui ne sont plus les mêmes il y a 25 ans.
C’est le défi du développement durable. Nous avons aujourd’hui un référentiel sur lequel nous devrions nous appuyer car la SCADD a une vision à court et moyen terme pour le Burkina.
Et cela nécessite que nous revoyons l’ensemble du programme de formation pour mieux répondre aux nouveaux défis car l’ENAREF a aussi vocation à contribuer à la réflexion. De ce point de vue nous allons organiser un colloque dès le mois de mai sur la fiscalisation du secteur agricole.
Ce thème a été retenu pour la simple raison qu’aujourd’hui le taux de fiscalité au Burkina n’est pas à la hauteur du taux préconisé par les instances communautaires de l’UEMOA. Une des raisons avancées par les spécialistes est le faible taux de fiscalisation ou l’insuffisance de la fiscalisation du secteur agricole.
En organisant ce colloque nous pensons contribuer à la réflexion pour une meilleure prise en compte du secteur agricole dans la prestation fiscale. Il y aura aussi des activités culturelles et sportives. Ce bilan sera conçu dans un document qui va ressortir dans le plan stratégique que nous sommes en train de revisiter.
De même, nous avons engagé depuis l’année dernière un processus de management de qualité qui va nous amener d’ici 2014-2015 à la certification ISO qui reflétera la qualité de notre management.
Quels sont vos rapports avec votre ministère de tutelle qu’est le ministère de l’économie et des finances ?
Ce sont d’abord des rapports institutionnels. Le ministère de l’économie et des finances comme vous venez de le dire est notre ministère de tutelle sur le plan financier et de la gestion. De ce point de vue nous sommes sur la même longueur d’onde de la politique définie par ce ministère pour l’exécution des programmes du ministère dans le volet formation.
Mais je dois vous signaler que nos rapports sont très excellents parce que le ministre de l’Economie et des Finances M. Lucien Marie Noël Bembamba nous appui énormément dans nos initiatives. Donc je profite de l’occasion que vous m’offrez pour rendre hommage au ministre de l’économie et des finances pour l’écoute qu’il a vis-à-vis de ce que l’ENAREF fait aujourd’hui. Et nous aurons toujours l’oreille attentive sur ses conseils et suggestions pour aller de l’avant.
Nous avons ouïe dire que l’ENAREF s’ouvrira au cours de la décennie à venir à de nouveaux partenaires du secteur privé, des associations et ONG. Qu’est-ce qui motive cette nouvelle option ? Peut-on s’attendre aussi à des inscriptions à titre privé à l’ENAREF comme c’est déjà le cas à l’ENSP, ENEP, 2ie etc. ?
Vous soulevez deux problèmes à la fois. Nous voulons anticiper. Nos administrations publiques de manière générale offrent la possibilité de sortir de l’administration et de revenir. Sortir de l’administration, c’est aller dans le privé avec une disponibilité et réintégrer encore l’administration.
Cette vision n’est pas mauvaise car elle permet de faire le lien entre les intérêts du secteur public et du secteur privé. Tout le monde convient qu’aujourd’hui le secteur privé constitue le nerf du développement.
Donc il est important que ceux qui sont formés dans le secteur public puisse venir en aide à ceux qui sont dans le secteur privé pour les faire avancer. Ce qui explique que nous voulons donner l’opportunité au secteur privé d’avoir accès directement à la formation de l’ENAREF mais à des conditions assez précises.
Le deuxième volet de votre question est de savoir si l’école sera ouverte à l’inscription individuelle ? Pour le moment je dirai que non. Le choix que nous avons opté est de ne pas former des gens qui sortent sans emploi. C’est un choix discutable mais jusque-là, c’est ce qui est en vigueur.
Une dizaine de pays africains sollicitent aussi l’ENAREF pour la formation de leurs cadres. Quel type de partenariat lie l’ENAREF à ces Etats ?
En janvier 2013, il y avait des ressortissants de 13 pays africains, qui sont inscrits à l’ENAREF. A l’instar de ce que nous voulons ouvrir l’ENAREF au secteur privé, nous voulons aussi l’ouvrir à certains privés des pays africains.
La décentralisation joue un rôle important. La décentralisation est déjà avancé au Burkina si bien que ce que nous voulons maintenant c’est de nous intéresser à la décentralisation dans son volet financier. Les autres pays sont dans le même processus si bien que nous voulons contribuer à la mise en œuvre de ce processus tant au Burkina que dans les autres pays.
Votre école a certes connu de la notoriété au cours des 25 ans, néanmoins quelles sont les difficultés que vous tentez de surmonter actuellement ?
Les difficultés sont liées à la stabilité du personnel. Il faut voir toute organisation sur la durée. Cette durée est liée à la stabilité de ceux qui sont chargés de gérer la structure. Aujourd’hui nos enseignants permanents n’ont pas de statut.
Ce n’est pas seulement l’ENAREF mais à l’ensemble des écoles de formation professionnelle que ce problème se pose. Evidemment il y a des difficultés d’ordre financier mais le ministre nous appuie à la hauteur de ses possibilités. Présentement il y a une réflexion qui se mène pour voir le statut à donner aux enseignants permanents des écoles de formation professionnelle.
Il y a aussi que nous avons des difficultés à faire venir les enseignants étrangers, car autant nous recevons les étudiants d’autres pays autant nous nous devons de diversifier notre corps enseignant en faisant venir des professeurs de l’extérieur pour nous appuyer.
Monsieur le directeur général pour ce 25e anniversaire, quel message vous tient à cœur à l’adresse de vos étudiants, les enseignants de l’ENAREF, les partenaires et les autorités burkinabè ?
C’est un message d’engagement. Engagement vers la qualité du management d’une manière générale. Vis-à-vis des étudiants nous leur disons que la direction reste ouverte à leur écoute et à leurs suggestions.
A notre ministère de tutelle, je lui demande de continuer à nous soutenir sans relâche. A l’endroit de nos partenaires intérieurs et extérieurs, nous leur disons que nous resterons fidèles au partenariat qui nous lie.
Nos partenaires extérieurs comme l’INCR d’Abidjan, l’Université Senghor d’Alexandrie, le CERPAMAD, le LINPICO en France, etc., nous maintiendrons le cap de notre engagement avec ces institutions. Nous ambitionnons aussi d’ouvrir de nouvelles filières dès la rentrée prochaine.